Lire ou relire les « Lettres à un jeune poète »

Compte rendu

Lire ou relire les « Lettres à un jeune poète »

Le 7 Jan 2016
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Il n’est qu’une seule voie. Entrez en vous-même…  Rilke
Entre 1903 et 1908 , Rein­er Maria Rilke écriv­it dix let­tres¹ en réponse à Franz Kap­pas qui lui demandait de réa­gir à ces pre­miers poèmes.

Dans un style tout empreint d’une intim­ité douce et chaleureuse, Rilke abor­de les thèmes que lui inspirent cette cor­re­spon­dance et qui se trou­vent au coeur de son oeu­vre : l’art et la créa­tion, la néces­saire soli­tude, l’affrontement du « dif­fi­cile », la vie intérieure, la tristesse et l’amertume féconde, la beauté et le mys­tère de l’amour, de la mort et de la sex­u­al­ité.
Ces quelques pages que l’on aura plaisir à lire et relire réson­nent dans ces temps tour­men­tés, comme un appel à défendre l’art et son exi­gence ; cela vaut pour l’artiste, bien sûr, mais aus­si pour ceux qui veu­lent témoign­er de son tra­vail.
Lorsque Rilke con­sid­ère que les « … com­men­taires cri­tiques et esthé­tiques sont ou bien des vues par­ti­c­ulières, sclérosées et privées de sens dans leur pétri­fi­ca­tion inerte, ou bien d’habiles jeux de mots où l’emporte aujourd’hui cette opin­ion et demain son con­traire. Les oeu­vres d’art sont d’une infinie soli­tude ; et rien n’est moins apte à les abor­der que la cri­tique. Seul l’amour peut les saisir, les garder et leur ren­dre jus­tice », ne se rap­proche-t-il pas de la con­cep­tion que nous voulons défendre, à Alter­na­tives théâ­trales, en cher­chant à faire partager un lien poé­tique que fait naître en nous l’oeuvre d’art.
J’ai sou­vent pen­sé qu’une ligne de démar­ca­tion exis­tait entre les spec­ta­cles qui cher­chaient à plaire et ceux qui étaient tenus par une exi­gence à laque­lle il ne fal­lait pas céder. Les mots que Rilke con­sacre à la dif­fi­culté sont à méditer longue­ment : « Les gens (grâce à des con­ven­tions) ont pour tout choisi la solu­tion de facil­ité et l’aspect le plus facile du facile ; or il est clair que nous devons nous en tenir au dif­fi­cile ; tout ce qui vit s’y tient, tout dans la nature croît et se défend selon son mode, tire de soi-même sa pro­pre essence, cherche à l’incarner à tout prix et con­tre tout obsta­cle. Nous savons peu de choses, mais qu’il nous faille nous en tenir au dif­fi­cile est une cer­ti­tude qui ne doit pas nous quit­ter ; il est bon d’être soli­taire, car la soli­tude est dif­fi­cile ; qu’une chose est dif­fi­cile doit nous être une rai­son de plus de la faire. »
Fasci­nante aus­si la manière dont Rilke envis­age ce sen­ti­ment de tristesse qui nous sem­ble si sou­vent un abat­te­ment, un « empêche­ment » de vivre. Au con­traire, répon­dant au jeune poète il l’engage à « … ne pas vous effray­er quand se lève devant vous une grande tristesse comme vous n’en n’avez vu de telle : quand une inquié­tude pareille à la lumière et à l’ombre des nuages passe sur vos mains et toutes vos actions. Pensez qu’il se pro­duit quelque chose en vous, que la vie ne vous a pas oublié, qu’elle vous tient dans sa main ; elle ne vous aban­don­nera pas. Pourquoi voulez-vous exclure de votre vie toute inquié­tude, toute souf­france, toute mélan­col­ie alors que vous ignorez leur tra­vail en vous ? Pourquoi vouloir vous tor­tur­er en vous deman­dant d’où tout cela peut bien venir et à quoi tout cela abouti­ra ? Vous savez bien que vous êtes dans des états tran­si­toires et que vous ne désirez rien tant que de vous trans­former. »
Ces leçons d’art autant que de cri­tique, dans leur pro­fonde sim­plic­ité, n’est-ce pas une belle façon de com­mencer l’année ? Entr­er en soi-même, rechercher les raisons pro­fondes qui nous poussent à créer ou à écrire : «… dites vos trist­esses et vos désirs, vos idées fugi­tives et votre foi en une beauté quelle qu’elle soit- dites tout cela avec une sincérité pro­fonde, sere­ine, hum­ble … »

 (1) Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, Fayard, collection Mille et une nuits.
Anne Teresa De Keersmaeker aborde la prose poétique de R. M. Rilke dans Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke, La Monnaie / De Munt, décembre 2015. Le 30 avril 2016 au Concertgebouw Brugge.
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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