Nicht schlafen, ne pas dormir

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Nicht schlafen, ne pas dormir

Le 6 Juin 2017
"Nicht schlafen" d'Alain Platel. Photo Chris Van der Burght
"Nicht schlafen" d'Alain Platel. Photo Chris Van der Burght
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Au moment où je partageais la représen­ta­tion de Nicht Schlafen au KVS (Brux­elles), dernier spec­ta­cle d’Alain Pla­tel, l’Angleterre était à nou­veau le théâtre d’un acte de vio­lence effroy­able sur le « Lon­don bridge ».

Con­comi­tance de la vio­lence représen­tée et de la vio­lence réelle.

On se rend compte ain­si que l’obsession d’Alain Pla­tel pour la souf­france et la mort ne sont pas des effets de style mais plonge au plus pro­fond de la con­di­tion humaine.
Pour ce spec­ta­cle, comme à chaque fois, Pla­tel rebat les cartes et nous entraîne vers de nou­velles expéri­ences artis­tiques. Il a fait appel cette fois pour l’environnement visuel à la plas­ti­ci­enne Berlinde De Bruy­ckere. Gan­toise, comme lui, son tra­vail explore les représen­ta­tions des corps sup­pli­ciés, hommes et bêtes. Les chevaux occu­pent une place cen­trale dans son oeu­vre, influ­encée par les pho­togra­phies de chevaux à l’agonie dans les plaines de Flan­dre lors de la pre­mière guerre mon­di­ale.

Une sculp­ture de trois cadavres de chevaux  occupe le cen­tre de la scène de Nicht schlafen.
On ne s’attendait pas à voir Alain Pla­tel se con­fron­ter à Gus­tave Mahler, le met­teur en scène étant plus sen­si­ble à l’univers de la musique baroque. C’est encour­agé par Ger­ard Morti­er — les deux hommes étaient devenus très proches à la fin de la vie de celui-ci — que Pla­tel a décidé de faire un voy­age à tra­vers l’oeuvre sym­phonique du com­pos­i­teur vien­nois.

"nicht schlafen", d'Alain Platel. Photo Chris Van der Burght.
“nicht schlafen”, d’Alain Pla­tel. Pho­to Chris Van der Burght.

À l’aube du siè­cle dernier, l’Europe va con­naître une défla­gra­tion sans précé­dent plongeant le monde dans le bruit et la fureur : l’horreur de la pre­mière guerre mon­di­ale. On trou­ve dans la musique de Mahler ce roman­tisme cré­pus­cu­laire qui sem­ble annon­cer le désas­tre qui va advenir.
La troupe des neuf danseurs (dont une danseuse) se plonge dans l’univers musi­cal de Mahler (qui quelque­fois les dépasse) avec une fougue impres­sion­nante. Alain Pla­tel nous a habitués à cette défer­lante d’énergie qui laisse le spec­ta­teur scotché sur son siège.

Ici, l’art de la fougue tran­scende l’art de la fugue. Les arché­types de l’esthétique platel­li­enne sont portés à un niveau d’incandescence boulever­sant.
On con­naît la démarche sin­gulière du choré­graphe qui parvient à con­juguer l’ordinaire et le sub­lime pour pro­cur­er une émo­tion déchi­rante.

Comme tou­jours les per­son­nages mis en valeur sont à l’opposé de ceux qui nous sont pro­posés dans les médias : stars au corps « par­faits », beautés stan­dard­is­ées et cal­i­brées aux normes d’une société fade. Ici, ce sont des corps « pro­lé­taires » qui se défon­cent avec l’énergie du dés­espoir- por­tant  ça et là une énergie de l’espoir.

La dis­tri­b­u­tion aus­si a été pro­fondé­ment renou­velée. Au noy­au de danseurs qui accom­pa­g­nent les bal­lets C de la B depuis de longues années se sont ajoutées des per­son­nal­ités nou­velles.

L’expérience de Coup fatal et son groupe de musi­ciens et danseurs de Kin­shasa a pro­fondé­ment mar­qué le choré­graphe (et je crois pour longtemps)¹. Non con­tent d’associer dans son pro­jet la paire d’artistes Boule Mpa­nya et Rus­sell Tshiebua, il a inté­gré au milieu du spec­ta­cle des chants et dans­es africains. Dans une folle sara­bande, les danseurs qui se sont attachés des grelots aux chevilles, atteignent une vibra­tion d’une poésie intense.
En ces temps où men­a­cent le repli sur soi et les nation­al­ismes dan­gereux, Pla­tel livre une fois de plus avec Nicht schlafen un plaidoy­er pour le métis­sage et la diver­sité. La mer­veilleuse troupe bigar­rée où l’on retrou­ve corps à corps Con­go­lais et Fla­mands, Français et Cata­lans, Israéliens et Arabes forme un col­lec­tif d’une puis­sance admirable.
Comme les vête­ments qui finis­sent arrachés du corps des inter­prètes, Nicht schlafen est un spec­ta­cle déchi­rant et inquié­tant. Mais le « mir­a­cle Pla­tel » est que ça et là pointent de la douceur et de la ten­dresse. La mer­veilleuse explo­sion des corps, leurs poten­tiels de trans­for­ma­tion nous ren­voient à l’espoir, certes frag­ile, d’une human­ité plus apaisée.

Les dates du spectacle en tournée
1. Le n°123-124-125 Créer à Kinshasa / Creating in Kinshasa comprend un dossier sur Coup Fatal.

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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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