La beauté d’Antigone entre Orient et Occident

Compte rendu
Théâtre

La beauté d’Antigone entre Orient et Occident

Le 18 Juil 2017
"Antigone", mise en scène Satoshi Miyagi. Photo Christophe Raynaud de Lage.
"Antigone", mise en scène Satoshi Miyagi. Photo Christophe Raynaud de Lage.
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La cour d’honneur du Palais des Papes au fes­ti­val d’Avignon n’aura jamais fini de nous révéler ses mys­tères et ses poten­tial­ités artis­tiques.

À chaque fois, en y péné­trant, on est saisi d’une émo­tion dif­férente.

Cette fois, en 2017, le met­teur en scène Satoshi Miya­gi a choisi de cou­vrir la vaste cour d’honneur d’une eau som­bre. Cette eau, c’est l’Achéron, qui sera l’élément cen­tral de sa mise en scène d’Antigone. Fron­tière entre notre monde et l’au-delà, c’est cet élé­ment liq­uide qui saisit le spec­ta­teur ; des acteurs, tout de blanc vêtus s’y meu­vent tout en douceur, en faisant réson­ner à l’aide de leurs doigts qui glis­sent sur le pour­tour de petites bou­gies de verre, un son qui se déploie imper­cep­ti­ble­ment et qui annonce un étire­ment du temps qui sera au coeur de la représen­ta­tion.

Après un pro­logue où l’histoire et les enjeux de la tragédie de Sopho­cle sont présen­tés sur un mode léger, la pronon­ci­a­tion en français des acteurs japon­ais accen­tu­ant la con­nivence qui va s’établir d’emblée avec les spec­ta­teurs, on est pro­jeté vers l’issue inéluctable à laque­lle seront amenés les pro­tag­o­nistes — et aus­si nous tous qui sommes mor­tels — : une bar­que tra­verse lente­ment la sur­face liq­uide. Ce n’est pas Charon (celui qui dans la mytholo­gie grecque avait pour tâche de faire tra­vers­er les marais de l’Achéron dans sa bar­que aux âmes des défunts qui avaient reçu une sépul­ture), mais un moine boud­dhiste qui con­duit l’embarcation. Il est étrange­ment calme, mais on sait aus­si que rien ni per­son­ne ne pour­ra échap­per au des­tin de l’aventure humaine.

L’action peut ensuite débuter. Elle se con­cen­tre dans un affron­te­ment entre le bien et le mal qui n’apparaît pas de manière uni­voque mais qui est assumé et défendu par cha­cun des prin­ci­paux pro­tag­o­nistes. Le choix du met­teur en scène de dédou­bler les acteurs prin­ci­paux — Antigone, Créon, Hémon, Ismène, per­met de dis­soci­er les voix et les corps. Cette démarche crée une ten­sion entre le dis­cours et sa représen­ta­tion cor­porelle. Ce déploiement de la nar­ra­tion est accen­tué par les ombres immenses pro­jetées sur le mur du Palais et trou­ve aus­si sa réso­nance dans la musique et les per­cus­sions qui ont une présence déter­mi­nante tout au long du spec­ta­cle. Tout comme la reprise par le choeur des répliques des per­son­nages. Cet enchevêtrement des élé­ments de la représen­ta­tion va pro­gres­sive­ment met­tre à dis­tance le réc­it de Sopho­cle et la ques­tion cen­trale qu’il traite : l’affrontement entre la lib­erté indi­vidu­elle et affec­tive d’Antigone face à la rai­son d’État pour entraîn­er le spec­ta­teur vers une réal­ité plus uni­verselle. C’est aus­si le par­ti choisi par le met­teur en scène : pro­pos­er une « voix col­lec­tive » en oppo­si­tion à l’égo mod­erne.

Ce qui se joue à tra­vers toutes les sit­u­a­tions et les aléas des exis­tences humaines, c’est d’arriver à vivre dans la dig­nité face au des­tin et à la mort inéluctable.

C’est sans doute pour cela que nous touche cette beauté qui naît des rythmes fougueux des per­cus­sions en oppo­si­tion avec la démarche calme et maîtrisée des acteurs qui se dépla­cent dans une douceur de mou­ve­ment à peine trou­blée par le vent qui fait flot­ter légère­ment leurs vête­ments.

Charon/Bouddha revient sur sa bar­que à la fin de la représen­ta­tion : il dépose sur l’eau de petites bou­gies qui glis­sent légère­ment sur la sur­face de l’eau. Elles s’éloignent peu à peu et représen­tent, pour Satoshi Mya­gi, les âmes des morts.

C’est à un rit­uel que l’on assiste, celui de la ren­con­tre de deux grandes tra­di­tions — Ori­ent et Occi­dent- qui se con­juguent dans un théâtre à mille lieues de l’agitation des temps présents et qui, indis­pens­able, n’en finit pas de résis­ter à l’air du temps.

Compte rendu
Festival d'Avignon
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Satoshi Miyagi
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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