« L’acte est vierge, même répété. »
René Char
Un désir d’appartenance
AVIGNON renvoie au mouvement cyclique des fêtes antiques, avec leurs résurrections annuelles suivies d’une longue léthargie. Roland Barthes décrivait l’ennui qui suinte de la ville en plein hiver et son acuité se trouve exacerbée pour le visiteur habitué à l’effervescence estivale, à la fièvre du festival qui s’est érigé en marque identitaire. Ce double excès, déceptif et festif, participe du régime propre aux petites villes qui, un mois, s’oublient pour s’épanouir et séduire afin de rechuter après les manifestations de l’excès qu’elles ont accueillis… Elles bénéficient d’un statut d’exception qui les rend mythiques sans les empêcher de revenir ensuite à la normalité. Les villes des extrêmes ! Patrice Chéreau n’avouait-il pas avoir cessé de vouloir faire retour à Bayreuth par crainte de revivre la grisaille de la capitale wagnérienne qui s’instaure une fois le festival fini. C’est ce dont Barthes, à Avignon, déplore aussi l’expérience. Après les noces de l’été, le repli hivernal que l’on craint et fuit ! C’est ce à quoi se sont refusés Hortense Archambault et Vincent Baudriller qui, progressivement, se sont éloignés de Paris pour se déployer sur Avignon et chercher appui dans son territoire pour ne plus l’assimiler à un lieu de passage et l’ériger en foyer d’appartenance. Foyer de fidélité à une communauté et à sa réalité urbaine. Le festival de l’été se nourrit du rattachement hivernal : il se construit à partir de la ville et de ses habitants, les artistes sont appelés à s‘y plonger, les responsables rencontrent régulièrement le public et les associations de spectateurs, et ainsi se constitue une nappe phréatique à même d’entretenir organiquement le lien entre un centre local respecté et une ouverture internationale cultivée. Ce lien inédit et original est devenu consubstantiel au Festival d’Avignon. Et ainsi, affirment les deux directeurs, le Festival peut « s’affranchir des lois du marché » car rien ne leur est plus insupportable que la régulation de l’art par le marché ! Par contre ils souhaitent intégrer les mutations civilisationnelles qui modifient la perception du public, transforment le spectateur marqué par l’expérience des nouvelles technologies et des déplacements planétaires. On ne regarde et on ne fait plus du théâtre à l’abri d’un tel renouvellement !
À travers les dix ans passés, la direction d’un côté s’est appuyée sur un territoire urbain pleinement intégré comme donnée du Festival et de l’autre a élargi son territoire artistique grâce à des choix constamment affirmés. Territoire qui s’est dessiné dans le temps
au point de se reconnaître car Hortense Archambault et Vincent Baudriller ne se livrent pas à d’arbitraires promenades buissonnières, bien au contraire, ils aiment découvrir selon un projet préalable et, tout autant, faire retour. Ainsi, autrement, se reconfirme leur désir d’appartenance qui finit par dégager une identité :
le Festival, durant ces dix années, a refusé la dispersion au profit d’un découpage qui a révélé des aires et des personnalités théâtrales. Il s’est créé une famille, jamais close sur elle-même, mais repérable, concentrée, affirmée. Grâce à ses découvertes et ses fidélités, le Festival