Le cas Hamlet

Entretien
Théâtre

Le cas Hamlet

Entretien avec Yan Duyvendak

Le 26 Avr 2016
Please, Continue (Hamlet), conception Roger Bernat et Yan Duyvendak, 2014. Photo Greg Noo-Wak.
Please, Continue (Hamlet), conception Roger Bernat et Yan Duyvendak, 2014. Photo Greg Noo-Wak.
Please, Continue (Hamlet), conception Roger Bernat et Yan Duyvendak, 2014. Photo Greg Noo-Wak.
Please, Continue (Hamlet), conception Roger Bernat et Yan Duyvendak, 2014. Photo Greg Noo-Wak.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 128 - There are aslternatives!
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À propos de Please, Continue (Hamlet) 

Néer­landais d’origine vivant entre la Suisse et la France, Yan Duyven­dak s’est d’abord for­mé à l’École Supérieure d’Art visuel de Genève. Depuis Keep it in fun, sa pre­mière œuvre d’art vivant (1995), il mul­ti­plie ses inter­ven­tions en tant que plas­ti­cien et per­formeur, dans les plus grands fes­ti­vals et/ou musées européens. Il n’a de cesse d’interroger la place de l’Homme et le sens de la dig­nité humaine dans un monde mis à mal par la société de l’image. Épris de jus­tice, il orchestre (avec Roger Bernat) un vrai procès du cas Ham­let, au moyen des arti­fices du théâtre et de la per­for­mance qui agit au présent. En impli­quant de manière active dif­férentes caté­gories de per­son­nes dans le proces­sus de créa­tion, ici de vrais hommes de loi et des spec­ta­teurs devenant jurés…, Yan Duyven­dak revendique la pra­tique d’un art citoyen et poli­tique.

SML En 2011, avec Roger Bernat, vous avez décidé de créer Please, Con­tin­ue (Ham­let). Invi­ta­tion à pour­suiv­re…, référence à la célèbre pièce de Shake­speare…, d’où vient ce titre étrange ?

YD Ce titre vient de notre pre­mière source de tra­vail. Roger Bernat et moi avions échangé par mail, avant de se voir en rési­dence, sur les choses qui nous trou­blaient dans la société, les pièces qu’on avait vues, les choses qu’on avait lues, notam­ment les PV des procès de Guan­tanamo : vaste farce où les pau­vres « ter­ror­istes », ter­ror­isés, étaient soumis à des pseu­do-procès, faits par une cour de jus­tice mil­i­taire améri­caine. Même leurs avo­cats étaient améri­cains et mil­i­taires. Ces accusés en orange, hébétés, par­laient à peine, déjà fous ou par­tis dans les limbes. Et les juges de leur dire, tout le temps : « Please, con­tin­ue ». Nous avions choisi ça comme titre de tra­vail, et avions sim­ple­ment ajouté « (Ham­let) », une fois le pro­jet trou­vé.

SML Dans cette créa­tion comme dans d’autres, vous déplacez de nom­breux codes de la représen­ta­tion. Please, Con­tin­ue (Ham­let) (PCH) s’est joué dans une mul­ti­tude de lieux (et de pays), dans de vrais lieux de jus­tice. Qu’est-ce que la « vérité » d’un lieu (un tri­bunal pour un procès) ajoute à la fable qui s’y déroule ?

YD Au départ, nous pen­sions qu’il fal­lait expos­er la réal­ité de la jus­tice (intro­duite par le « cas » fic­tif d’Hamlet), dans le lieu de cette réal­ité, à savoir les palais de jus­tice. Comme nous obte­nions dif­fi­cile­ment les autori­sa­tions de jeu, les pre­miers procès se sont déroulés dans des théâtres. Au bout d’un moment, on oublie qu’on est au théâtre. Par la suite, nous avons pu jouer dans des palais de jus­tice, mais c’était sor­dide : pen­dant que nous « jouions » la jus­tice, de vrais accusés croupis­saient quelques jours de plus en déten­tion pro­vi­soire. Je me sou­viens d’une représen­ta­tion où on entendait les détenus hurler et taper con­tre les murs, dans leurs geôles qui se trou­vaient sous la salle des procès d’assises. Éthique­ment, c’était indéfend­able. Le déco­rum d’un palais de jus­tice ajoute seule­ment du piment à la pièce. Quel que soit le lieu, les ques­tions posées gar­dent leur force : qu’est-ce que juger, com­ment fonc­tionne la jus­tice, qu’est-ce que l’intime con­vic­tion ?

SML Vous mélangez des comé­di­ens pro­fes­sion­nels avec des pro­fes­sion­nels de la loi. Ces juges, avo­cats ou experts-psy­chi­a­triques (dif­férents chaque soir) vien­nent faire leur tra­vail sous forme d’improvisations… Com­ment sont-ils pré­parés à cette expéri­ence théâ­trale ? 

YD Comme dans la vraie vie, les pro­fes­sion­nels de la cour reçoivent un dossier d’instruction – ici env­i­ron deux semaines avant les procès. Avec ce dossier, ils se pré­par­ent égale­ment comme dans la vraie vie, c’est-à-dire que cer­tains l’étudient desuite et longue­ment, tan­dis que d’autres le font le jour même du procès. Tous, sans excep­tion, con­nais­sent le dossier par cœur. C’est impres­sion­nant. Un vrai méti­er. Le dossier d’instruction se com­pose de procès-ver­baux d’auditions, de pho­tos de lieux de crimes et de pièces à con­vic­tion. Tout a l’air vrai. Et l’est en par­tie… Ce doc­u­ment est une pièce hybride que nous avons con­sti­tuée en mélangeant le dossier d’un cas réel – un fait divers qui s’est passé dans une ban­lieue sor­dide, avec des gens au bord de la rup­ture sociale –, avec le cas du meurtre de Polo­nius par Ham­let. Dans la pièce de Shake­speare, Ham­let croit que Claudius est caché der­rière le rideau et pense le tuer. Il se trompe de cible mais com­met un meurtre en con­science. Pour le spec­ta­cle, et grâce au con­cours des pro­fes­sion­nels de la jus­tice, nous avons un peu mod­i­fié la « nature » de ce meurtre afin que le doute plane. Le geste d’Hamlet est présen­té de manière plus ambigüe, sa respon­s­abil­ité ques­tion­née de manière à ce qu’il puisse être con­damné ou acquit­té à 50/50. Ce dossier est adap­té dans cha­cun des pays d’accueil du pro­jet, avec l’aide des deux par­ties advers­es (mag­is­trats et avo­cats), ce qui change par­fois un tout petit peu la teneur du dossier, jugé trop clé­ment ou trop accusa­teur selon la lég­is­la­tion en cours. La police sci­en­tifique de Genève – con­sid­érée comme la meilleure à l’international –, vient de nous aider à recon­stituer inté­grale­ment l’accident/meurtre, et à refaire un dossier somptueux avec des pho­tos pris­es par leur pho­tographe sci­en­tifique, des dessins à l’échelle…

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Yan Duyvendak
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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