Rupture ou ®évolution ?

Théâtre
Portrait

Rupture ou ®évolution ?

Un temps d’arrêt dans le parcours de Joël Pommerat

Le 23 Oct 2016
Répétitions de Ça ira (1) Fin de Louis, Théâtre des Amandiers, Nanterre, octobre 2015.
Répétitions de Ça ira (1) Fin de Louis, Théâtre des Amandiers, Nanterre, octobre 2015.

A

rticle réservé aux abonné.es
Répétitions de Ça ira (1) Fin de Louis, Théâtre des Amandiers, Nanterre, octobre 2015.
Répétitions de Ça ira (1) Fin de Louis, Théâtre des Amandiers, Nanterre, octobre 2015.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 130 - Ancrage dans le réel / Théâtre National (Bruxelles) 2004-2017
130

J’ai décou­vert le tra­vail de Joël Pom­mer­at pour la pre­mière fois avec Treize étroites Têtes1 il y a une ving­taine d’années. Ce fut un éblouisse­ment et mon admi­ra­tion depuis ne s’est jamais éteinte. Euphémisme, elle n’a fait qu’augmenter. Depuis les pre­mières pièces intimistes du fon­da­teur de la com­pag­nie Louis Brouil­lard (1990), ambiance feu­trée, voix chu­chotées (presque inaudi­bles, cri­ti­quaient cer­tains), qui aus­cul­taient l’humain au cœur de la famille, dans un espace flot­tant entre rêve et réal­ité2… jusqu’aux spec­ta­cles de l’ouverture au monde, qui se frot­taient plus volon­tiers aux réal­ités économiques et poli­tiques, en pas­sant par l’adaptation de con­tes de fée (Pinoc­chio, Le Petit Chap­er­on Rouge ou Cen­drillon)3, les spec­ta­teurs fidèles recon­nais­saient une couleur « pom­merassi­enne ». Le poids de chaque mot, l’intensité de chaque présence4. L’élégance et l’âpreté de ses camaïeux de gris. L’étrangeté et la force poé­tique de ses pro­jets tis­sés de paroles, de sons et d’images…

Avec Ça ira (1) Fin de Louis (créa­tion 2015), l’écrivain de spec­ta­cles crée une forme inhab­ituelle dans son par­cours : un chef‑d’œuvre recon­nu qui résonne forte­ment dans nos sociétés en crise de sens (poli­tique et philosophique) et tra­verse les fron­tières (brésili­ennes dernière­ment), mais aus­si une forme mon­u­men­tale par rap­port aux créa­tions antérieures ; une « épopée his­torique » écrite, notam­ment, avec l’aide de l’historien Guil­laume Mazeau5, qui traite ou plutôt s’inspire de la Révo­lu­tion française, pour abor­der plus large­ment les thèmes du pou­voir, de l’engagement, de la vio­lence et de l’invention démoc­ra­tique. La scéno­gra­phie de cette fic­tion poli­tique débor­de du plateau pour envahir la salle et pren­dre à par­ti le pub­lic, à la manière d’un théâtre immer­sif. Ça ira… sem­ble son­ner le glas des fameux noirs ciné­matographiques qui annonçaient les change­ments (qua­si mag­iques) de scène. Le tra­vail sonore emprunte à des tech­nolo­gies beau­coup plus sophis­tiquées que par le passé. 

Qu’y a‑t-il de com­mun entre l’auteur des « his­toires improb­a­bles, tor­dues, ban­cales, dans un « équili­bre pré­caire » des pre­mières heures, l’observateur clin­ique à la recherche d’une posi­tion anthro­pologique6 et le créa­teur à plusieurs mains de Ça ira… ? Y a‑t-il quelque chose de pro­fondé­ment changé dans l’œuvre du fau­teur de trou­ble7 au point de par­ler de rup­ture esthé­tique ? Telle est la ques­tion que nous nous posons dans ce dossier, sans jamais préjuger de la qual­ité des pro­duc­tions. De fidèles com­pagnons de route de Joël Pom­mer­at, comme la dra­maturge Mar­i­on Boudi­er8, le créa­teur son François Ley­marie et le scéno­graphe et créa­teur lumières Éric Soy­er, nous livrent leurs réflex­ions sur l’évolution de la com­pag­nie Louis Brouil­lard. La réal­isatrice Blan­dine Armand, auteure d’un pre­mier doc­u­men­taire inti­t­ulé Poésie de l’ordinaire 9, (ARTE, 14 mn, 2007), nous livre le très beau Ver­ba­tim d’un film à venir sur Joël Pom­mer­at.

Leïla Delan­noy, quant à elle, soci­o­logue de for­ma­tion et spé­cial­iste des pra­tiques artis­tiques en prison, s’entretient avec Joël Pom­mer­at à pro­pos d’un tra­vail en cours dans la mai­son d’arrêt d’Arles. Une expéri­ence dans une zone d’inconfort, chère à l’auteur et met­teur-en-scène : « Dans ce tra­vail, ce qui me fait cer­taine­ment évoluer et bouger, c’est de revenir à un endroit de recom­mence­ment, et d’incertitude, un endroit sans habi­tude, sans mod­èle de pro­gres­sion préétabli. Il faut refor­muler du lan­gage com­mun avec mes parte­naires. Redéfinir des buts et des objec­tifs, des néces­sités. »


  1. Treize étroites Têtes retrace la vie d’une pros­ti­tuée car­diaque qui tente, un jour de grève des trans­ports, de tra­vers­er une ville à pied, au péril de sa vie, pour assis­ter à la pre­mière pro­jec­tion d’un film inspiré de sa pro­pre his­toire. ↩︎
  2. Voir l’article de Christophe Tri­au : « Le réal­isme fan­tôme de Joël Pom­mer­at, Ques­tions de per­cep­tion dans la trilo­gie Au monde –D’une seule Main– Les Marchands », in AT, n°100, p.66, et le dossier « Le tra­vail et sa représen­ta­tion » dans le n°94 – 95 d’Alternatives théâ­trales, nov. 2007, (cf. « Les Marchands, tragédie con­tem­po­raine », Sylvie Mar­tin-Lah­mani et « Le sen­ti­ment d’exister, Entre­tien avec Joël Pom­mer­at réal­isé par Sylvie Mar­tin-Lah­mani »). ↩︎
  3. Voir Joël Pom­mer­at, Cen­drillon, un numéro du CNDP-CRDP dirigé par Christophe Tri­au, 4e trim. 2013. ↩︎
  4. Joël Pom­mer­at, Théâtres en présences, Actes Sud-Papiers, 2007 ↩︎
  5. Voir Revue d’Histoire du Théâtre 2015 – 4 n°268 : Révolution(s) en actes, sous la direc­tion de Lisa Guez et Mar­tial Poir­son, Société d’Histoire du Théâtre, 2015. ↩︎
  6. Joël Pom­mer­at : « Je cherche à restituer ce que je vois, sans juge­ments ni préjugés – ni trop d’irrespect…», in S.M.-L., « La vérité n’a pas de face, Je tremble1 et 2 », Alter­na­tives théâ- trales, n°100, p. 61. ↩︎
  7. Joëlle Gay­ot et Joël Pom­mer­at, Joël Pom­mer­at, trou­bles, Actes Sud, 2009. ↩︎
  8. Mar­i­on Boudi­er, Avec Joël Pom­mer­at, Un monde com­plexe, Actes Sud-Papiers, 2015. ↩︎
  9. Elle a réal­isé aus­si un doc­u­men­taire sur Pinoc­chio : Racon­ter l’indicible réal­ité. ↩︎

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Théâtre
Joël Pommerat
Portrait
3
Partager
Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements