Le Festival
EN 2004, je répétais à Marseille et je suis passé pour la première fois à Avignon. À Brazzaville, on connaissait deux choses d’Avignon : le pont et le festival. J’y ai vu quelques spectacles, WOYZECK de Thomas Ostermeier, Wakeu Fogain dans L’ILLUSION COMIQUE (mise en scène de Frédéric Fisbach). En 2005 je n’ai pas pu y aller parce que j’étais en création à Paris mais je suis retourné en 2006, invité par le festival. Je devais choisir le lieu pour ATTITUDE CLANDO. Hortense Archambault et Vincent Baudriller avaient lu mes textes et avaient vu mes spectacles. Ils m’ont fait part à ce moment-là de leur intention de travailler avec moi. J’ai accepté à condition qu’ils viennent à Brazzaville. J’avais consenti à me déplacer, c’étaient à eux de le faire aussi pour qu’un réel échange, une équité parfaite, puisse s’instaurer. Ils sont venus en juin 2006, et on a commencé à collaborer. Cela s’est passé avec un vrai courage et une honnêteté fondamentale. Qu’on me montre tel ou tel artiste ou le spectacle d’untel parce qu’il est beau, parce qu’il est bien, parce que le public va aimer, ça ne m’intéresse pas. Ce qui est important c’est de savoir d’où l’artiste parle. Si l’on comprend d’où parle un artiste les choses qu’il fait prennent un sens. Ce n’est plus seulement un nom dans une programmation. Si la provenance, l’origine, n’est pas prise en compte, le reste est une somme de cerises sur le gâteau sans le gâteau.
En 2006 donc notre relation s’est établie de manière respectueuse. Hortense Archambault et Vincent Baudriller m’ont montré plein de choses et je leur ai fait découvrir des artistes du Congo, des livres, etc. C’est ainsi que j’ai monté ATTITUDE CLANDO en 2007. Grâce au Festival j’ai noué des tas de partenariats, rencontré des tas d’artistes. Rodrigo Garcia par exemple. Je l’ai invité à venir créer un spectacle à Brazzaville avec des Congolais. Il m’a même aidé quand je répétais ATTITUDE CLANDO là-bas, c’est lui qui allumait le charbon.
Il y a Joseph Nadj aussi avec qui on a beaucoup discuté, Nicolas Bouchaud, Frédéric Fisbach… On s’est vu aussi en dehors d’Avignon. Avec Bouchaud surtout, on a beaucoup de projets. Il est venu voir les deux spectacles que j’ai faits après. Ça donne toute une famille d’artistes qui se sont rencontrés à un endroit et qui évoquent, à partir de là, leurs passions, leurs désirs, leurs textes, leurs projets.
L’expérience d’artiste associé
Ça me plait toujours de jouer au Festival. C’est un lieu magique pour faire entendre la poétique d’un auteur. C’est un peu comme la sorcellerie… Chez nous on dit que l’Homme a deux visages, la face et la nuque. C’est une chose que je mets toujours au centre de mon œuvre, le double aspect des choses. C’est ce que j’ai retrouvé au Festival d’Avignon, ce double visage, qui m’a tout de suite intéressé. C’est à la fois un endroit de création intense, une espèce de laboratoire, très foisonnant ; différentes formes d’art et de théâtre. Le Festival ne défend pas une seule et unique façon de faire du théâtre, il y en a plein. Chaque créateur montre sa perception des choses en réfléchissant, en travaillant comme dans le laboratoire d’un scientifique, avec ses produits : chlorure de sodium, éprouvettes, tubes à essai, etc. Tout cela est en perpétuelle recherche et en incessant rendez-vous avec le public. Et ce public, c’est l’autre face. Il est un grand créateur au festival d’Avignon ; il s’accapare les œuvres. Il fait intrusion dans l’humble masure et dans le laboratoire du poète, il s’empare de son œuvre, la mange, la digère, la chie, la pleure, la piétine, en parle, la commente, la partage, etc. Il fait entendre qu’il pense. C’est cela la double face : le créateur qui vient à un rendez-vous avec le public qui récupère l’œuvre et en fait son affaire. Au final le théâtre doit appartenir au public. Chacun repart avec le spectacle chez soi, chez sa femme, son enfant, son mari, au bar où il partagera un verre, le spectacle grandira dans sa vie. L’artiste arrête le spectacle quand la production s’arrête, quand les tournées se terminent, quand on n’a plus de dates. Mais dans la tête du spectateur le spectacle ne s’arrête jamais. En Avignon tu as tout cela en temps réel. Il y a des artistes et des spectateurs et la création des spectateurs. Et là, je renoue avec la sorcellerie.