« Se souvenir de l’avenir »

Hommage
Théâtre
Parole d’artiste

« Se souvenir de l’avenir »

Le 13 Nov 2017
Photo D.R.
Photo D.R.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 117-118 - Utopies contemporaines
117 – 118

À pro­pos des années 1966 – 1967 du fes­ti­val d’Avignon

par Jack Ralite

C’était le 3 août 1966, dans la Cham­bre des Notaires juste au-dessus de l’entrée de la Cour d’Honneur du Palais des Papes où Jean Vilar fon­da en 1947 le Fes­ti­val d’Avignon qui dure tou­jours.

Dans cette Cham­bre des Notaires, mod­este de super­fi­cie, pen­dant cinq jours, de 10h à 13h, en présence de Vilar, une quin­zaine de per­son­nes con­cernées par le théâtre et ses créa­tions se sont retrou­vées der­rière une table en fer à cheval. Pilotés par Michel de Beau­vais, ils « dis­putèrent de cul­ture » et de l’art du théâtre. Dans le U de la table, deux ou trois douzaines de pas­sion­nés de la scène pre­naient des notes.

Ce 3 août, j’étais le con­férenci­er, recom­mandé par Paul Puaux, invité par Jean Vilar, j’exposais la poli­tique cul­turelle et artis­tique nais­sante se dévelop­pant à Aubervil­liers, com­mune de la ban­lieue nord de Paris, très majori­taire­ment ouvrière, patrie du mal loge­ment, que Prévert avait révélée à tra­vers un film d’Eli Lotar, com­mandé par le maire de la Libéra­tion, Charles Tillon, com­man­dant en chef des Francs Tireurs et Par­ti­sans.

J’ai par­lé une heure. Pen­dant la sus­pen­sion de séance, Vilar res­ta assis. « Ralite, c’est bien, peut-être auriez-vous dû ne pas excéder 45 min­utes. Mais c’est bien » et – avec l’ironie qu’il avait quand il con­nais­sait – « vous avez fait flot­ter le dra­peau rouge sur le Palais des Papes ». Deux jours plus tard, il m’invitait à refaire cet exposé au Verg­er.

Les mots ont quelque impuis­sance à ren­dre l’atmosphère de ces moments de fran­chise, de courage et par­fois d’insolence. C’était comme une con­struc­tion qui se fai­sait et on la vivait, assurés de la men­er à son terme, d’autant que le Fes­ti­val s’interrogeait, et son fon­da­teur le pre­mier. Ce débat et tant d’autres, sur les spec­ta­cles, se fai­saient la courte échelle et Avi­gnon s’accordait quinze jours de plus, d’autres arts appa­rais­saient, d’autres lieux de spec­ta­cles ouvraient. Vilar enta­mait sa « per­e­stroï­ka », sa restruc­tura­tion.

Dans la séance d’ouverture de cette année 1966, la 3e année de ces pre­mières Assis­es nationales de la cul­ture, il avait déclaré : « Nous savons bien et n’oublierons pas à quel point les prob­lèmes cul­turels passent sur le plan nation­al après bien d’autres devoirs ou néces­sités civiques et – pour être plus banal, sinon plus clairs– comme quoi la cul­ture vient dans l’ordre des urgences après le fait de nour­rir les hommes et de leur don­ner les moyens de se défendre.

Paci­fique, d’esprit comme vous tous, du moins je le sup­pose, paci­fique donc, et même paci­fiste, j’admets, non sans de pro­fonds regrets, amères et acides sou­vent que Col­bert et Lou­vois dis­posent de cas­settes infin­i­ment plus rem­plies que celles du min­istre – je le dis très respectueuse­ment–  des menus plaisirs.

Mais juste­ment, depuis 1875, sinon depuis 1793, il ne s’agit plus de menus plaisirs en ce qui con­cerne « diver­tisse­ments, loisirs et savoirs » mais de « plaisirs pop­u­laires, de loisirs col­lec­tifs, de « savoirs de masse ». En ne répon­dant pas à cette expan­sion démo­graphique de la cul­ture pop­u­laire, il sem­ble que nos mul­ti­ples Frances répub­li­caines aient con­servé quelque nos­tal­gie, regret de nos rois.

« Quoiqu’il en soit – et je ne pense pas être ici irrévéren­cieux – ce qu’il est très dif­fi­cile d’admettre désor­mais, c’est un cer­tain axiome ancré dans bien des con­sciences de hauts respon­s­ables “qu’en France les artistes comme les 2e class­es se débrouil­lent tou­jours” et donc : « Pourquoi chang­er ? ».

C’était en 1966 où par­al­lèle­ment à la dis­pute vilar­i­enne de la Cham­bre des Notaires se déroulait une dis­pute poli­tique sur la lib­erté de créa­tion. Jusqu’ici, l’artiste n’avait pas cette lib­erté, même si, sous la Révo­lu­tion, Robe­spierre l’avait énon­cée dans un célèbre dis­cours. Mais en 1966, ce prob­lème de l’art était l’objet d’une dis­pute poli­tique. Que Riv­ette ait dû atten­dre un an pour pou­voir pro­gram­mer La Religieuse, que Loren­zi se soit vu sup­primer La Caméra explore le temps, que Tréhard ait per­du une sub­ven­tion à Caen parce qu’il ne voulait pas mon­ter Les Cloches de Corneville, que la ville de Bourges ait ten­té d’interdire V comme Viet­nam à la Mai­son de la Cul­ture, etc., indique qu’il y a un prob­lème, celui de la démoc­ra­tie qui doit faire l’expérience de la cul­ture, celui de « pass­er d’un petit cer­cle de con­nais­seurs à un grand cer­cle de con­nais­seurs », celui que visait le physi­cien Hen­ri Poin­caré en déclarant : « On fait la sci­ence avec des faits comme une mai­son avec des pier­res. Mais une accu­mu­la­tion de faits n’est pas plus une sci­ence qu’un tas de pier­res n’est une mai­son ».

Dans un côte à côte pro­duc­tif, les artistes comme Vilar et un par­ti poli­tique comme le Par­ti Com­mu­niste Français étaient sur le même front.
Vilar dis­ait :

« Dès qu’un art se fige, il meurt. »

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Jack Ralite
Jack Ralite est maire honoraire d’Aubervilliers et ancien ministre.Plus d'info
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