Quoi Louvet ?

Non classé
Théâtre

Quoi Louvet ?

Le 5 Jan 2016
Couverture de la Revue 69
Couverture de la Revue 69
Article publié pour le numéro
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minitieux, offrez-nous un café ☕

Et bien quand je pense à lui, je vois un homme sur son seuil, une main ten­due, on le salue, il salue, Lou­vet est un homme pub­lic, il inter­pelle, con­seille, milite, écoute, c’est un voisin, un ami, un pro­fesseur, un écrivain, une fig­ure qu’on ne croise pas en toute mon­dan­ité, la mon­dan­ité n’a rien à faire avec la fra­ter­nité pop­u­laire, quand Lou­vet est là on s’y heurte, il vous sec­oue, prenez posi­tion s’il vous plaît, ne lais­sez pas fil­er le réel comme si rien ne pou­vait en infléchir le cours, réfléchissez, faites marcher votre cervelle, regardez le monde, regardez et agis­sez, il joue de la voix, appelle à la rescousse, sa solide car­casse de tri­bun du peu­ple vous énerve, vous emballe, vous sub­jugue, dragueur va !

C’est Bernard Dort qui m’en a par­lé le pre­mier lorsque, jeune étu­di­ant, j’avais débar­qué dans son cours en Sor­bonne (autant dire juste après les guer­res napoléoni­ennes, en tous cas large­ment au siè­cle dernier).

« Piemme vous con­nais­sez Lou­vet, dans le Hain­aut, Jean Lou­vet, c’est de chez vous ça ? Non ? Vous ne con­nais­sez pas, il fait des choses intéres­santes ».
Armand Del­campe était revenu à la charge un peu plus tard par­lant de Lou­vet comme si c’é­tait son frère de lait (met­tez-les côte à côte vous ver­rez qu’il y a du vrai là-dedans). Liebens avait fait son­ner le nom une fois encore avec À Bien­tôt Mon­sieur Lang au théâtre du Parvis. Finale­ment, c’est par lui, plus tard, que je ren­con­tr­erai l’ours en per­son­ne, main ten­due vers moi sur le seuil de l’Ensem­ble Théâ­tral Mobile comme sur le seuil de sa porte, prêt à toutes les joutes dialec­tiques qu’on voudra. Pour moi, à ce moment-là, il est le pre­mier auteur vivant que je vois, un vivant à qui on peut pos­er des ques­tions je veux dire. À Nan­cy, j’avais bien assisté un jour à une con­férence d’Adamov (con­férence n’est évidem­ment pas le mot qui con­vient), l’am­phithéâtre était bondé, le fes­ti­val de théâtre expéri­men­tal bat­tait son plein ; j’avais vu Adamov, oui, mais de loin, à la façon dont Fab­rice à Water­loo voit l’empereur. Avec Lou­vet tout était dif­férent. Je pou­vais faire l’in­tel­lectuel, jouer de la com­plic­ité de nos deux orig­ines sociales, ris­quer des analy­ses de textes, penser sot­te­ment, stu­pide­ment, que j’en savais plus que lui sur ses pièces, plonger mes pattes dra­maturgiques dans la mécanique de son écri­t­ure (avec Marc Liebens et Michèle Fabi­en, puis Philippe Sireuil), croire un temps que nos ver­sions scéniques don­naient à ses pièces l’ul­time touche de cohérence qui leur man­quait : foutaise, il suf­fit de lire ses ver­sions et les nôtres pour s’apercevoir que les siennes sont plus rich­es, qu’il écrivait un théâtre plus large, plus généreux, plus dan­gereux, plus attrayant que nos (mes) remis­es en ordre.

Au fond, la sit­u­a­tion n’a rien d’ex­cep­tion­nel, elle traduit le plus clas­sique­ment du monde la rela­tion du texte à sa mise en scène, elle red­it sim­ple­ment que là où un auteur existe, le pas­sage à la scène est un fac­teur de réduc­tion, simul­tané­ment. Pour un auteur de théâtre, quelque chose de fon­da­men­tal naît avec la mise en scène d’une de ses pièces, l’œu­vre devient corps, le temps devient chair, les mots trou­vent une sen­su­al­ité nou­velle, mais cette mise en scène, aus­si réussie soit-elle, est aus­si une manière de tailler du sens dans le sens, de fab­ri­quer à l’œu­vre un cos­tume sig­ni­fi­catif vraisem­blable, de faire son­ner en pre­mier ce qui sonne clair dans l’époque. Et que dit l’époque, juste­ment ? Que Lou­vet est un auteur poli­tique, ce qui doit bien être un peu vrai puisque tout le monde le proclame, à com­mencer par Lou­vet lui-même, pas mécon­tent de pass­er pour autre chose qu’un homme de let­tres. C’est enten­du, Lou­vet par­le de la classe ouvrière, du pro­lé­tari­at wal­lon, des façons d’en être et de ne plus en être, il par­le d’al­ié­na­tion, du devenir-marchan­dise, de la mémoire et de l’ou­bli, des trahisons, de la mau­vaise con­science des intel­lectuels, de leur rêve foireux, oui, bon !

phpThumb_generated_thumbnailjpg

Non classé
Théâtre
Jean Louvet
18
Partager
Jean-Marie Piemme
Auteur, dramaturge. www.jeanmariepiemme.bePlus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements