Le théâtre qui s’image, les chemins (in)certains des projections sur la scène

Théâtre
Edito

Le théâtre qui s’image, les chemins (in)certains des projections sur la scène

Le 30 Juil 2020
Dirk Roofthooft dans Rouge décanté, mise en scène Guy Cassiers, vidéo et lumières Peter Missotten création à Amsterdam, Ro Theater, 2004. Photo Pan Sok.
Dirk Roofthooft dans Rouge décanté, mise en scène Guy Cassiers, vidéo et lumières Peter Missotten création à Amsterdam, Ro Theater, 2004. Photo Pan Sok.
Dirk Roofthooft dans Rouge décanté, mise en scène Guy Cassiers, vidéo et lumières Peter Missotten création à Amsterdam, Ro Theater, 2004. Photo Pan Sok.
Dirk Roofthooft dans Rouge décanté, mise en scène Guy Cassiers, vidéo et lumières Peter Missotten création à Amsterdam, Ro Theater, 2004. Photo Pan Sok.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 141 - Images en scène
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Le théâtre con­tem­po­rain accueille aujourd’hui des pro­jec­tions d’images d’une manière par­ti­c­ulière­ment diver­si­fiée et cette démarche créa­tive sem­ble ne plus éton­ner per­son­ne. La sur­face de pro­jec­tion qui, au départ, con­sti­tu­ait prin­ci­pale­ment une solu­tion scéno­graphique, implique aujourd’hui une éton­nante com­plex­ité inter­pré­ta­tive autant chez les pio­nniers de cette esthé­tique comme Robert Lep­age et Eliz­a­beth LeCompte, que dans la généra­tion plus récente, avec Milo Rau ou Krzysztof Gar­baczews­ki. On oublie par­fois que le chem­ine­ment de l’image pro­jetée dans le spec­ta­cle vivant s’ancre dans l’histoire du théâtre, ain­si que dans les zones de ren­con­tre avec d’autres arts dont le ciné­ma s’avère prob­a­ble­ment le plus fécond. Ce par­cours est par­fois tortueux, car expéri­men­tal aus­si bien que spec­tac­u­laire, mar­quant à la fois des pas esthé­tiques majeurs chez les uns et un lud­isme exces­sif chez les autres. Enfin, ce procédé esthé­tique avance main dans la main avec le pro­grès tech­nologique et par con­séquent suit le développe­ment des dif­férents dis­posi­tifs : ciné­matographique, vidéo, numérique. De l’intermédialité aux human­ités numériques, l’analyse de cette démarche prend aujourd’hui encore plusieurs voies théoriques pour pou­voir com­pren­dre ses enjeux et ses par­en­tés.

Image et technique

Il con­vient de soulign­er que l’image pro­jetée au théâtre s’inspire beau­coup de l’univers des appareils optiques. Puis le pre­mier ciné­ma, à son tour, lui apporte quelques répons­es de nature scéno­graphique. L’influence des avancées tech­niques de l’époque, inté­grées notam­ment dans la machiner­ie scénique, ne reste pas non plus sans impor­tance1.

En 1799, Éti­enne-Gas­pard Robert, dit Robert­son, physi­cien et pas­sion­né de la scène, obtient un brevet pour son appareil de pro­jec­tion sur écran appelé fan­tas­cope. Un an plus tard, il donne la pre­mière soirée de fan­tas­magorie au pavil­lon de l’Échiquier à Paris. Ces soirées ont un suc­cès éblouis­sant car elles font « revenir » des spec­tres et per­son­nages his­toriques et les expéri­ences de gal­vanisme, de mag­nétisme et les effets acous­tiques que Robert­son pro­duit don­nent la chair de poule au pub­lic. Le regard des artistes se porte bien­tôt vers des formes spec­tac­u­laires telles que les féeries, les soirées mag­iques, les spec­ta­cles forains attirés par des thèmes fan­tas­tiques, mythologiques et effrayants. La féerie La Biche au bois fête ses tri­om­phes dans plusieurs con­cep­tions, dont celle conçue par le directeur tech­nique Edmond Floury en 1896, au Châtelet, qui a élaboré les images rétro­pro­jetées sur le décor de la scène. Jacques Ducom, pho­tographe et opéra­teur col­lab­o­rant à cette représen­ta­tion, nomme cette féerie le « théâtre ciné­matographique » en rai­son des pro­jec­tions, des fumigènes et d’autres objets des­tinés à pro­duire des effets sur­prenants.

Les travaux scéniques des artistes des avant-gardes théâ­trales des années 1920 sig­nent une impres­sion­nante diver­sité d’approches et d’expérimentations. D’une part, les créa­teurs sont emportés par la nou­velle vision de l’art qui s’oppose au goût bour­geois et sont fascinés par l’époque de la mécan­i­sa­tion. D’autre part, ils ne restent pas indif­férents aux trans­for­ma­tions économiques, socié­tales et poli­tiques, dont la prise en compte de la classe ouvrière s’avère un paramètre impor­tant. Un Mey­er­hold songe à la « ciné­fi­ca­tion » du théâtre qui inté­gr­erait des écrans et pour­rait de cette manière con­courir avec le ciné­ma. Effec­tive­ment, il place des sur­faces de pro­jec­tion dans son spec­ta­cle Terre cabrée (1923), entre autres, et l’effet inten­si­fie le mes­sage scénique forte­ment poli­tisé qui s’adresse au pro­lé­tari­at, rehaussé par la Révo­lu­tion. Pis­ca­tor se pose égale­ment des ques­tions poli­tiques et les images qu’il intè­gre pren­nent part à la dis­cus­sion de la lutte des class­es. Dans le spec­ta­cle Hoplà, nous vivons ! (1927), il con­stru­it l’action scénique simul­tanée grâce aux solu­tions scéno­graphiques que lui apporte l’échafaudage dans un esprit con­struc­tiviste. Il applique le pho­tomon­tage et des com­men­taires sous forme de pro­jec­tions qui con­stituent un poly-écran. En effet, plusieurs artistes des années 1920 sont attirés par le pro­grès tech­nique, les nou­velles matières, l’art du ciné­ma, et leurs approches sur­pren­nent par leur orig­i­nal­ité2.

Le théâtre prend son temps pour assim­i­l­er ces inno­va­tions. Ce ne sont que les explo­rations des avant-gardes améri­caines des années 1960 qui appor­tent leur pro­pre con­tri­bu­tion à la ques­tion du spec­ta­cle attiré par les dis­posi­tifs de pro­jec­tion. Nous trou­vons l’hybridation entre la per­for­mance et le ciné­ma dans le ciné­ma élar­gi dont Gene Young­blood, théoricien et auteur de Expand­ed Cin­e­ma, dit qu’il « n’est pas du tout un film ».

Car­olee Schnee­mann expéri­mente avec la per­for­mance et l’installation et crée ain­si son « kinet­ic the­atre ». Dans Snows (1967), elle met en inter­ac­tion des films en 16 et 8 mm, des dia­pos­i­tives, une sculp­ture lumineuse en rota­tion, des lumières stro­bo­scopiques et huit inter­prètes. Robert Whit­man, quant à lui, crée des instal­la­tions com­posées d’objets du quo­ti­di­en aux côtés de pro­jec­tions filmiques (Show­er, 1964). Il intè­gre ensuite fréquem­ment de telles pro­jec­tions à ses per­for­mances dont Prune­Flat(1965) et Two Holes of Water 3 (1966) con­stituent des œuvres emblé­ma­tiques sur la ques­tion. Il fait par­tie de l’événement artis­tique 9 Evenings : The­atre and Engi­neer­ing, conçu à New York en 1966. L’équipe pluridis­ci­plinaire, com­posée de créa­teurs et d’ingénieurs, dirigée par Robert Rauschen­berg et Bil­ly Klüver tra­vaille la ques­tion de l’image pro­jetée mais égale­ment du dis­posi­tif tech­nologique com­plexe. Il s’agit là de spec­ta­cles inter­me­dias situés au croise­ment du théâtre, de la per­for­mance et du ciné­ma com­prenant des solu­tions tech­niques impres­sion­nantes pour l’époque.

Peg­gy Phe­lan défend la non-repro­ductibil­ité d’un spec­ta­cle vivant qui préserve son ontolo­gie artis­tique unique­ment au moment où il est présen­té. […] Tout archivage, enreg­istrement et fix­a­tion sur un sup­port tech­nologique, change la nature pre­mière de celui-ci. L’autrice place alors la forme enreg­istrée du spec­ta­cle sur un niveau tout à fait dif­férent, celui des objets médi­atisés.

Image comme acteur

Robert Lep­age signe, en 1995, un pro­jet ambitieux qui demande de l’acteur une per­for­mance physique red­outable et un rap­port extrême­ment pré­cis avec le dis­posi­tif haute­ment tech­nologique. Il s’agit d’Elseneur, spec­ta­cle fondé sur Ham­letde Shake­speare où lui seul joue tous les per­son­nages. Cette mise en scène est pos­si­ble grâce aux pro­jec­tions d’images, à la cap­ta­tion par une caméra infrarouge, au dis­posi­tif sonore et à la scéno­gra­phie mobile dont l’ingéniosité a sur­pris le pub­lic. Elseneur a sus­cité un débat sans précé­dent et a fait grin­cer des dents la cri­tique. Out­re la ques­tion de la dépen­dance tech­nique suite à l’annulation de deux représen­ta­tions à Chica­go et à Toron­to à cause d’une panne du dis­posi­tif, la cri­tique se soucie du futur de l’acteur risquant d’être rem­placé un jour par l’image pro­jetée.

L’acteur et met­teur en scène belge Marc Hol­logne souhaite égale­ment fusion­ner le théâtre avec le ciné­ma sous la forme du « ciné-théâtre » comme il le nomme3. Dans Mar­ciel monte à Paris(1997), Hol­logne, qui joue le pro­tag­o­niste, atteint le som­met de ses prouess­es inter­pré­ta­tives. En pas­sant du plateau à l’écran, ce dernier occu­pant la moitié de la scène, il rend par­faite­ment com­pat­i­ble ses gestes avec l’image. Il met ici claire­ment en jeu l’entrelacement entre l’action scénique et les matéri­aux pré-enreg­istrés dans un esprit ludique et spec­tac­u­laire.

Effec­tive­ment, l’intégralité des par­a­digmes fon­da­men­taux de l’art théâ­tral est déjà rompue à ce moment-là : l’unicité du temps et de l’espace par rap­port aux pro­jec­tions, la cen­tral­ité du texte dra­ma­tique en lien avec l’image et surtout la présence de l’acteur face à son parte­naire filmique. Dans ce débat, large­ment ouvert, les uni­ver­si­taires Philip Aus­lan­der et Peg­gy Phe­lan intro­duisent dans les années 1990 le con­cept de live­ness. Aus­lan­der redéfinit ce par­a­digme sous l’influence du proces­sus de médi­ati­sa­tion et remet en ques­tion la supré­matie du direct par rap­port au médi­atisé4. Phe­lan, quant à elle, défend la non-repro­ductibil­ité d’un spec­ta­cle vivant qui préserve son ontolo­gie artis­tique unique­ment au moment où il est présen­té5. Par con­séquent, tout archivage, enreg­istrement et fix­a­tion sur un sup­port tech­nologique, change la nature pre­mière de celui-ci. L’autrice place alors la forme enreg­istrée du spec­ta­cle sur un niveau tout à fait dif­férent, celui des objets médi­atisés.

Cer­tains artistes poussent ce débat aux lim­ites du théâtre. Rap­pelons que Denis Mar­leau, dans sa fan­tas­magorie tech­nologique Les Aveu­gles (2002), invite le pub­lic dans un espace sans acteur réel où seules les images des vis­ages de deux comé­di­ens, Céline Bon­nier et Paul Savoie, sont pro­jetées sur des masques en plâtres. Hein­er Goebbels dans Erar­it­jar­it­ja­ka (2006) y ajoute sa con­tri­bu­tion : il place au cen­tre de cette représen­ta­tion-instal­la­tion des pianos pro­duisant des sons qui s’inscrivent dans un paysage sonore com­posé de voix humaines.

Marcel.lí Antúnez Roca dans Protomembrana, conception, performance et dessins de Marcel.lí Antúnez Roca, Granada, Facultad de BBVA, 2006. Photo Marcel.lí Antúnez Roca.
Marcel.lí Antúnez Roca dans Pro­tomem­brana, con­cep­tion, per­for­mance et dessins de Marcel.lí Antúnez Roca, Grana­da, Fac­ul­tad de BBVA, 2006. Pho­to Marcel.lí Antúnez Roca.

Il con­vient de soulign­er qu’en 1988, Paul Vir­ilio pub­lie l’ouvrage La Machine de vision dans lequel il évoque l’industrialisation du regard, qui non seule­ment passe tou­jours à tra­vers une inter­face mais qui devient aus­si une action per­cep­tive dont la vitesse et la puis­sance sont crois­santes. La télévi­sion en serait ici un média emblé­ma­tique. Samuel Weber s’interroge dans son texte Tele­vi­sion : Set and Screen(1996) sur la spé­ci­ficité de la trans­mis­sion télévi­suelle qui, en pro­posant une vision à dis­tance, offre égale­ment le dépasse­ment des con­traintes spa­tio- tem­porelles à tra­vers la vue et l’ouïe. De mul­ti­ples images stim­u­lent notre per­cep­tion et nous avons l’impression d’un déplace­ment loin­tain et rapi­de sans avoir bougé réelle­ment notre corps. Nous sommes con­fron­tés à l’illusion et à l’utopie du direct tout en préser­vant une intim­ité de notre per­cep­tion télévi­suelle. Plusieurs met­teurs en scène débat­tent ces ques­tions en les trans­posant sur le plateau. Eliz­a­beth LeCompte se prononce artis­tique­ment à ce sujet à tra­vers son style décon­struc­tion­niste et intè­gre con­stam­ment des moni­teurs depuis son spec­ta­cle Route1 & 9 (1981). La per­cep­tion télévi­suelle, le zap­ping, l’idée du corps morcelé à tra­vers l’image sont ain­si trans­posés dans House/Lights (1998) ou Brace Up ! (1991). À l’opposé de cette explo­ration, Gior­gio Bar­be­rio Corset­ti cherche une « nou­velle spec­tac­u­lar­ité » en don­nant sou­vent à ses spec­ta­cles un aspect ludique. Dans Lacam­er­aas­trat­ta(1987) élaborée avec le Stu­dio Azzur­ro, le pub­lic regarde un jeu de trucages explo­rant l’image pro­jetée. Les moni­teurs sont déplacés sur des rails, tour­nent autour de leur axe, bougent ryth­mique­ment comme le bal­anci­er d’une pen­d­ule et sem­blent gliss­er dans les airs.

Soulignons que la pro­duc­tion et la pro­jec­tion de l’image se com­plex­i­fient sans cesse. Ce déplace­ment va de pair avec l’évolution tech­nologique et les muta­tions socié­tales. Bill Nichols con­state dans son arti­cle The­Workof­Cul­tureintheAge­of­Cy­ber­net­ic­Sys­tems(1988) que l’homme con­tem­po­rain s’autodéfinit par rap­port aux sys­tèmes cyberné­tiques6. Il s’agira non seule­ment d’une influ­ence mais égale­ment d’une trans­for­ma­tion pro­fonde qui touche la société dans son ensem­ble. Pour l’auteur, la muta­tion la plus impor­tante est celle de l’identification : cet Autre imag­i­naire par rap­port auquel nous nous iden­ti­fions désor­mais est con­sti­tué à tra­vers le proces­sus de sim­u­la­tion et par rap­port à l’idée du sim­u­lacre, deux con­cepts- clés de la pen­sée cyberné­tique.

En effet, des dis­posi­tifs écraniques met­tant au cen­tre l’écran intel­li­gi­ble, notam­ment dans les années 1990, s’hybrident avec d’autres sys­tèmes (cap­teurs, exosquelette, bras robo­t­ique). Jean Lam­bert-wild réalise en 2001 le spec­ta­cle Orgia, une créa­tion issue d’un pro­jet de col­lab­o­ra­tion de longue haleine entre l’équipe artis­tique et l’Université tech­nologique de Belfort-Mont­béliard. Trois acteurs jouent dans un espace bleu-vert océanique, peu­plé de médus­es et d’unicellulaires qui appa­rais­sent et ani­ment ain­si l’univers sta­tique de la pièce. Le spec­ta­cle repose sur un envi­ron­nement inter­ac­t­if appelé Daedalus, élaboré par Stéphane Pel­lic­cia. Deux comé­di­ens en font par­tie : ils sont dotés de cap­teurs phys­i­ologiques mesurant les paramètres de leurs corps (dont le rythme car­diaque) qui inter­agis­sent avec les images virtuelles des créa­tures marines.

Une autre approche est dévelop­pée par Marcel.lí Antúnez Roca qui explore, dans sa per­for­mance-con­férence méca­tron­iqueinti­t­ulée Pro­tomem­brana(2006), l’idée de l’interactivité et lie les pro­jec­tions d’images avec un dis­posi­tif en forme de gilet qu’il porte durant la repré- sen­ta­tion. C’est un dresskele­ton : une inter­face cor­porelle com­posée de cap­teurs de mou­ve­ment et d’interrupteurs manuels. Antúnez Roca est en même temps un per­son­nage et un actant manip­u­lant le dis­posi­tif et l’image. Il y intro­duit égale­ment les images de vis­ages de spec­ta­teurs grâce à une autre inter­face, le ran­dom body (corps aléa­toire), qui est un dis­posi­tif visuel et sonore inter­ac­t­if et qui appa­raît comme un masque tubu­laire dans lequel le spec­ta­teur place son vis­age. Nous le voyons presque immé­di­ate­ment sur le grand écran, incrusté déjà dans l’image.

Image entre médias

En 2006, Fre­da Chap­ple et Chiel Kat­ten­belt pub­lient dans un ouvrage col­lec­tif, Inter­me­di­al­i­tyinThe­atre­and­Per­for­mance, le fruit de leurs recherch­es sur les car­ac­téris­tiques de l’« inter­mé­di­al­ité »7. Selon une approche à la fois esthé­tique et ana­ly­tique, ils la définis­sent en tant qu’« opéra­tion de trans­for­ma­tion des pen­sées et proces­sus qui s’accomplit à tra­vers le spec­ta­cle ». Les médias tech­nologiques sont au cœur de ce débat car la pen­sée inter­mé­di­ale tente de saisir des change­ments qui s’opèrent au sein d’une créa­tion sous l’influence des médias, mais égale­ment des trans­for­ma­tions de ceux-ci sous l’impact des com­posantes scéniques. Il s’agit alors des trans­ferts de car­ac­téris­tiques entre l’univers artis­tique et médi­al au sein d’une représen­ta­tion.

Le groupe Hotel Mod­ern nomme le procédé inter­mé­di­al qu’il développe dans sa pra­tique scénique « film ani­mé en temps réel ». L’explorant dans le théâtre des mar­i­on­nettes, il tra­vaille sur deux espaces de jeu (la scène et l’écran) qui s’entrelacent dans un échange con­stant durant le spec­ta­cle. La scène théâ­trale, dont les élé­ments scéno­graphiques sont véri­ta­ble­ment de très petite taille, est simul­tané­ment filmée par une petite caméra et l’image est immé­di­ate­ment pro­jetée sur un écran comme nous pou­vons le voir dans La Grande Guerre (2002) et Kamp (2005). Les acteurs-manip­u­la­teurs ani­ment les mar­i­on­nettes et organ­isent la scéno­gra­phie à vue. Le proces­sus inter­mé­di­al appa­raît surtout dans le ren­verse­ment des spé­ci­ficités de la représen­ta­tion théâ­trale et de celles du film, car la scène devient un plateau de tour­nage dévoilant la fab­ri­ca­tion de l’histoire et l’écran se trans­forme en sur­face métaphorique qui situe le réc­it sur un niveau plus abstrait. Il con­vient de soulign­er l’intérêt crois­sant que le théâtre porte à l’interaction entre l’acteur réel et l’image pro­jetée en la présen­tant sous de mul­ti­ples con­fig­u­ra­tions et en inté­grant des dis­posi­tifs de plus en plus com­plex­es. Guy Cassiers s’y attaque notam­ment dans sa mise en scène Rouge décan­té (2004) qui met en scène un livre auto­bi­ographique de Jeroen Brouw­ers. Il y racon­te l’expérience de l’enfance de l’auteur, lorsqu’il a passé avec sa mère une péri­ode dans le camp de con­cen­tra­tion de Tji­deng, près de Djakar­ta, occupé par l’armée japon­aise entre 1943 et 1945. L’espace du jeu, plutôt épuré, accueille le seul per­son­nage (Dirk Roofthooft) qui par­le de son vécu. Cassiers pré­cise : « Je voulais que tout l’espace devi­enne la per­son­ne, que les spec­ta­teurs ne soient pas seule­ment pas­sifs et dans l’écoute d’une autre per­son­ne mais qu’ils entrent vrai­ment dans la vie de cet homme. » Effec­tive­ment, le rap­port du spec­ta­teur au per­son­nage est hap­pé par son vis­age pro­jeté en gros plan sur l’immense écran au fond de la scène – vis­age cap­té par cinq caméras orchestrées d’une manière vir­tu­ose par l’équipe tech­nique.

Pour sa part, Roy Ascott remar­que dans Télénoïa (1995) que la télé­ma­tique et l’interconnectivité per­me­t­tent de trans­gress­er les fron­tières géopoli­tiques, mais qu’elles pla­cent égale­ment l’individu devant de nou­velles pos­si­bil­ités8. Il souligne que, dans ce con­texte, les lim­ites de la chair elle-même sont redéfinies et que, para­doxale­ment, elles s’approchent ain­si de l’imaginaire ori­en­tal à tra­vers la fig­ure de l’avatar. Il pos­tule pour un corps réin­ven­té qui, en tant que tel, pour­ra explor­er l’espace virtuel grâce à l’interconnectivité et à la téléprésence.

Ce corps poly­mor­phe devient le sujet de plusieurs mis­es en scène dans lesquelles des artistes exam­i­nent l’idée de son mor­celle­ment métaphorique, effec­tué sur le plateau et cela grâce à l’image pro­jetée. En 2001, le Woost­er Group signe À vous, volant ! ou « Phè­dre » revis­itée. Eliz­a­beth LeCompte place la pièce de Racine, adap­tée par Paul Schmidt, dans le con­texte d’un match de bad­minton où les par­ties sont jouées par Phè­dre, Hip­poly­te et Thésée. Nous voyons un plateau-échafaudage blanc, équipé de moni­teurs et de sur­faces en plex­i­glas. Il est peu­plé de juges, de joueurs, de por­teurs de volants. Comme dans ses spec­ta­cles précé­dents, LeCompte décon­stru­it la pièce et la recom­pose dans un con­texte sur­prenant, redéfi­ni à chaque instant par le biais des pro­jec­tions et des effets sonores. Elle com­bine visuelle­ment le corps de l’interprète avec l’image émise et, ain­si, le pro­longe. Le pub­lic, par exem­ple, voit Hip­poly­te et Théramène assis et cou­verts en par­tie par un moni­teur, ce dernier dis­simule leurs jambes tout en mon­trant à l’image cette par­tie de leur corps. Ou encore, il aperçoit au plateau Thésée couché à terre et caressé par des ser­vantes tan­dis que seul son vis­age appa­raît sur l’écran du moni­teur.

L’image face à l’engagement

Il est impor­tant d’évoquer qu’un pas dans l’esthétique analysée ici s’accomplit avec l’apparition du Web 2.0 autour de 2004. Il trans­forme con­sid­érable­ment les modal­ités de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion cul­turelle. Le phénomène de l’utilisation de nou­velles formes de par­tic­i­pa­tion à tra­vers Inter­net et des médias légers est l’une des muta­tions sig­ni­fica­tives aux­quelles on assiste. Le groupe d’artiste Blast The­o­ry appro­fon­dit ces ques­tions depuis plus de vingt ans en col­lab­o­rant avec le Mixed Real­i­ty Lab de l’Université de Not­ting­ham, qui leur per­met des expéri­men­ta- tions avec des pro­to­types de la réal­ité virtuelle.

Dans Uncle Roy All Around You, une forme nom­mée « game » (appar­tenant au « per­va­sive game » : jeu per­vasif, proche du jeu en réal­ité alternée), le groupe explore la réal­ité mixte puisque les par­tic­i­pants jouent autant dans l’espace virtuel que dans l’espace réel et doivent trou­ver l’Oncle Roy en 60 min­utes. « Ils se font pren­dre en pho­to et […] reçoivent un code unique, qu’ils entrent dans leur ordi­na­teur, déclen­chant ain­si le compte à rebours de 60 min­utes » nous explique le descrip­tif.

L’intérêt des artistes s’élargit claire­ment et se déplace vers d’autres champs tech­nologiques tels que les dis­posi­tifs du direct, de la sur­veil­lance, de la robo­t­ique, du Web en impli­quant autant de soft ware et hard ware com­plex­es que de médias légers (Smart­phones, tablettes).

Eric Houzelot dans Orgia, mise en scène de Jean Lambert-wild & Jean-Luc Therminarias, réalisation numérique de Cécile Babiole, création au Théâtre Granit
à Belfort, 2001. Photo Jean Lambert-wild.
Eric Houzelot dans Orgia, mise en scène de Jean Lam­bert-wild & Jean-Luc Ther­mi­nar­ias, réal­i­sa­tion numérique de Cécile Babi­ole, créa­tion au Théâtre Gran­it à Belfort, 2001. Pho­to Jean Lam­bert-wild.

Pré­cisons qu’en 2007, Steve Dixon tente, avec Bar­ry Smith, de saisir les car­ac­téris­tiques de ces spec­ta­cles à com­posante tech­nologique et pro­pose le terme de « dig­i­tal per­for­mance »9. Selon eux, un spec­ta­cle numérique est alors « tout tra­vail scénique où les tech­nolo­gies de l’ordinateur jouent un rôle-clé plutôt qu’un ajout au con­tenu, aux tech­niques, à l’esthétique ou encore comme une forme d’administration. » L’intérêt des artistes s’élargit claire­ment et se déplace vers d’autres champs tech­nologiques tels que les dis­posi­tifs du direct, de la sur­veil­lance, de la robo­t­ique, du Web en impli­quant autant de soft ware et hard ware com­plex­es que de médias légers (Smart­phones, tablettes).

Il appa­raît que le fil­mage en direct est actuelle­ment l’une des préoc­cu­pa­tions majeures des met­teurs en scène. Citons seule­ment Katie Mitchell, Jay Scheib, Krzysztof Gar­baczews­ki, Cyril Teste, Chris­tiane Jatahy, Ivo van Hove. Trou­vant ses inspi­ra­tions dans les années 1960, à la fois dans la pra­tique de l’autofilmage telle qu’exercée par l’art vidéo (Vito Acconci) et dans le ciné­ma direct (Mario Rus­poli, Richard Lea­cock), cette util­i­sa­tion de la caméra pen­dant la représen­ta­tion développe ses pro­pres enjeux et inter­roge le direct à sa manière.

Visage de Paul Savoie dans Les Aveugles, mise en scène Denis Marleau, réalisation vidéo Pierre Laniel, Montréal, création au Musée d’art contemporain de Montréal, 2002. Photo Stéphanie Jasmin.
Vis­age de Paul Savoie dans Les Aveu­gles, mise en scène Denis Mar­leau, réal­i­sa­tion vidéo Pierre Laniel, Mon­tréal, créa­tion au Musée d’art con­tem­po­rain de Mon­tréal, 2002. Pho­to Stéphanie Jas­min.

Krys­t­ian Lupa, qui intè­gre le fil­mage et l’autofilmage dans ses spec­ta­cles et dans son tra­vail avec l’acteur, explore depuis 2009 des screen tests qui accom­pa­g­nent la con­sti­tu­tion d’un mono­logue intérieur – ce dernier étant le fonde­ment de son approche scénique (Salle d’attente, Cité des rêves, par exem­ple). Ivo van Hove explore, lui, des dis­posi­tifs de cap­ta­tion et de dif­fu­sion vidéo dans toute leur diver­sité. Il intè­gre ain­si des caméras minia­tures dans Hus­bands, les images sont pro­duites par une web­cam dans Le deuil sied à Élec­tre ou encore le fil­mage se fait au moyen de télé­phones porta­bles dans Le Mis­an­thrope. Cyril Teste, à son tour, pro­pose au sein du col­lec­tif MxM une per­for­mance filmique qui pré­tend hybrid­er le plateau de tour­nage ciné­matographique avec un spec­ta­cle vivant. Il met ici à l’épreuve la cap­ta­tion live et le tra­vail avec l’image qui recom­pose cette réal­ité devant les yeux du pub­lic. La charte que le col­lec­tif a écrite pré­cise notam­ment : « Les images préen­reg­istrées ne doivent pas dépass­er cinq min­utes […] et [le] temps du film cor­re­spond au temps du tour­nage. » Cyril Teste la développe dans ses mis­es en scène Fes­ten, Nobody et Punck Rock. Comme l’explique Edwige Per­rot, dans son arti­cle Le réel à l’épreuve du direct, cette tech­nique repose sur plusieurs fac­teurs : le pub­lic observe la décon­struc­tion du réel et sa recom­po­si­tion dans l’image. Elle per­met ain­si de jouer le « faux », et les images en direct con­stituent une source impor­tante de la théâ­tral­ité et de la per­for­ma­tiv­ité.

La con­di­tion con­tem­po­raine est au cœur de ces mis­es en scène. Elle préoc­cupe égale­ment Julien Gos­selin qui lie la trans­po­si­tion de l’œuvre romanesque avec le dis­posi­tif du direct. La dom­i­na­tion améri­caine, le ter­ror­isme, la vio­lence, la crise économique se gravent, par exem­ple, dans la mise en scène mon­u­men­tale de dix heures com­posées des romans Joueurs, MaoII, LesNoms(2020), signés par Don DeLil­lo. Gos­selin avoue par rap­port à son spec­ta­cle précé­dent 2666 (2017) : « Je pense que la vio­lence du réel est beau­coup plus forte que la vio­lence de l’action. La seule – et grande – beauté de la lit­téra­ture réside dans sa bataille. Ce n’est pas la vic­toire ou la défaite face au réel qui importe, c’est l’effort lui-même. » L’artiste se prononce dans ses créa­tions sur le monde actuel et entérine ain­si son pro­pre posi­tion­nement face à lui.

Andy Laven­der par­le depuis 2016 du « the­atre of engage­ment », ter­mi­nolo­gie qui désigne des créa­tions impli­quant autant l’enga- gement des met­teurs en scène que celui du pub­lic dans dif­férentes appari­tions et con­fig­u­ra­tions10. Il y inscrit des artistes tels que Rabih Mroué, Rim­i­ni Pro­tokoll, Punch­drunk, Kris Ver­don­ck mais égale­ment des événe­ments cul­turels et des parcs d’attraction. L’engagement des spec­ta­teurs s’effectue, par exem­ple, au tra­vers de nom­breux médias struc­turés par des sources textuelles ain­si que par des cadres soci­aux et cul­turels. Dans Car­go-Con­go-Lau­sanne (basé sur Car­go Sofia‑X, 2006), Rim­i­ni Pro­tokoll invite une cinquan­taine de spec­ta­teurs dans un camion à moitié vit­ré qui réalise un voy­age dans la ville où le spec­ta­cle est présen­té. Le pub­lic regarde tan­tôt des paysages réels de la ville (Lau­sanne), tan­tôt des matéri­aux pré-enreg­istrés tournés ailleurs (Con­go). « Le théâtre est une fenêtre sur la réal­ité. », dit Ste­fan Kae­gi. Effec­tive­ment leurs spec­ta­cles présen­tent une remar­quable diver­sité d’images cap­tées et dif­fusées, ain­si que leur attache­ment au réel.

Image de demain

Nous pou­vons con­stater qu’aujourd’hui plusieurs créa­tions, les médias numériques et la sphère publique con­ver­gent et inter­fèrent. Les fron­tières entre celui qui joue et celui qui regarde sont de plus en plus brouil­lées. Cer­tains artistes expéri­mentent avec ces con­di­tions et font entr­er le spec­ta­teur dans l’image virtuelle. Nous sommes dans le théâtre immer­sif tech­nologique déjà dévelop­pé par Mark Reaney à l’Université de Kansas depuis 1995, notam­ment dans Adding Machine et Wings. Eric Joris et CREW explorent la réal­ité aug­men­tée, entre autres en col­lab­o­ra­tion avec l’Université de Has­selt qui met à dis­po­si­tion du groupe des out­ils coû­teux et des pro­to­types. Ter­ra Nova (2011) intè­gre ain­si une caméra omni­di­rec­tion­nelle placée sur le front du par­tic­i­pant, un masque-écran dis­posé devant ses yeux, des cap­teurs de mou­ve­ment fixés à sa tête ou à ses épaules et un casque audio. Chaque spec­ta­teur est doté de ce dis­posi­tif qu’il revêt grâce à l’aide d’un assis­tant per­son­nel. Il plonge ensuite dans l’exploration de l’Antarctique par Robert Fal­con Scott en 1911, visu­al­isant une image à 360°.

Festen, mise en scène Cyril Teste, montage en direct et régie vidéo Mehdi
Toutain-Lopez, Performance filmique – Création Bonlieu Scène nationale Annecy, 2017.
Photo Simon Gosselin.
Fes­ten, mise en scène Cyril Teste, mon­tage en direct et régie vidéo Meh­di Toutain-Lopez, Per­for­mance filmique – Créa­tion Bon­lieu Scène nationale Annecy, 2017. Pho­to Simon Gos­selin.

Sommes-nous déjà dans le « spec­ta­cle post-numérique », con­cept exposé par Matthew Causey en 2016 ? Pré­cisons que le « post » se réfère ici aux dis­posi­tifs tech­nologiques et surtout à l’état d’esprit qui se con­stitue sous l’influence des tech­nolo­gies de pointe et qui prend en con­sid­éra­tion l’omniprésence de la numéri­sa­tion. Il répondrait à notre manière de penser qui devient « dig­i­tale » et sig­ni­fierait à la fois l’engagement dans le pro­grès et la résis­tance par rap­port à la cul­ture élec­tron­ique. Face à ce champ de réflex­ion, la ques­tion de l’avenir de l’image pro­jetée sur la scène se pose. Elle ne con­cerne pas, à mon avis, son omniprésence mais plutôt le biais par lequel nous allons la percevoir. Allons-nous sim­ple­ment la voir ? Ou plutôt l’expérimenter, la touch­er, la sen­tir sur notre peau, la pro­duire vianos neu­rones et la pro­jeter directe­ment sur l’écran, l’assimiler au tra­vers d’un dis­posi­tif qui fera par­tie de notre chair ?


  1. Béa­trice Picon-Vallin (dir.), Les écranssur la scène. Ten­ta­tions et résis­tances de la scène face aux images, Lau­sanne, L’Âge d’Homme, 1998. ↩︎
  2. Simon Hage­mann, Penser les médias au théâtre.Des avant-gardes his­toriques aux scènes con­tem­po­raines, Paris, L’Harmattan, 2013. ↩︎
  3. Izabel­la Plu­ta, L’Acteur et l’intermédialité. Les nou­veaux enjeux pour l’interprète et la scène à l’ère tech­nologique, Lau­sanne, L’Âge d’Homme, 2011. ↩︎
  4. Philip Aus­lan­der, Live­ness : Per­for­mance in a Medi­a­tized Cul­ture, Lon­don, Rout­ledge, 1999. ↩︎
  5. Peg­gy Phe­lan, Unmarked : The Pol­i­tics of Per­for­mance, New York, Rout­ledge, 1993. ↩︎
  6. Bill Nichols, The Work of Cul­ture in the Age of Cyber­net­ic Sys­tems, Screen, 29, n°1, 1988. ↩︎
  7. Fre­da Chap­ple, Chiel Kat­ten­belt (eds.), Inter­me­di­al­i­ty in The­atre and Per­for­mance, Ams­ter­dam-New York, Rodopi, 2006. ↩︎
  8. Roy Ascott, « Télénoïa », dans Louise Pois­sant (dir.), Esthé­tique des arts médi­a­tiques, tome 1, Sainte- Foy, Press­es de l’Université de Québec, 1995. ↩︎
  9. Steve Dixon, Dig­i­tal Per­for­mance : A His­to­ry of New Media in The­ater, Dance, Per­for­mance Art, and Instal­la­tion, Cam­bridge, Mass­a­chu­setts, Lon­don, The MIT Press, 2007. ↩︎
  10. Andy Laven­der, Per­for­mance in the Twen­ty- First Cen­tu­ry : The­atres of Engage­ment, Lon­don, Rout­ledge, 2016. ↩︎
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