La parole des auteurs

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La parole des auteurs

Cormann, Durif, Piemme, Valletti, Novarina

Le 22 Juin 1994
Patrick Zimmermann dans LE BADGE DE LÉNINE, de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Philippe Sireuil, Théâtre Varia, Bruxelles. Photo Delahaye.

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Patrick Zimmermann dans LE BADGE DE LÉNINE, de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Philippe Sireuil, Théâtre Varia, Bruxelles. Photo Delahaye.
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Le monologue-Couverture du Numéro 45 d'Alternatives ThéâtralesLe monologue-Couverture du Numéro 45 d'Alternatives Théâtrales
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DANS le théâtre français de la fin du vingtième siè­cle, le mono­logue est d’un usage courant. Bon nom­bre de dra­maturges con­tem­po­rains y ont recours. Qu’est-ce qui les pousse vers cette pra­tique ? L’écri­t­ure monologique se dif­féren­cie-t-elle à leurs yeux de l’écri­t­ure dialogique ? Et de quelle façon ? Cinq dra­maturges, cinq cise­leurs de mono­logues — Enzo Cor­mann, Eugène Durif, Jean-Marie Piemme, Serge Yal­let­ti et Valère Nova­ri­na — ten­tent de balis­er cet atyp­ique ter­ri­toire dra­ma­tique.

Cor­mann

Faiseur et adepte de mono­logues Enzo Cor­mann ? Gageons que le terme ne le sat­is­fera pas ! De cette écri­t­ure-là, il par­le comme d’une « forme de faib­lesse à laque­lle il faudrait savoir ne pas céder » et avoue avoir aban­don­né de nom­breuses illu­sions à son égard. Il ne con­sid­ère pas que le mono­logue soit du théâtre… au point qu’il n’en­vis­age plus d’écrire pour une voix seule ! Pour­tant, il est l’au­teur — ancien, s’empresse-t-il de pré­cis­er — de CREDO et du RÔDEUR, régulière­ment joués. D’où vient son actuelle défi­ance ? De ce que le mono­logue fonc­tionne en cir­cuit fer­mé. Il est une machine céli­bataire, donc anti-théâ­trale à son avis. Tout événe­ment scénique fic­tion­nal­isé ne procède-t-il pas en effet de l’échange ? « Le théâtre com­mence à par­tir du moment où deux per­son­nages se par­lent et définis­sent ain­si un espace, pro­duisant un événe­ment auquel le spec­ta­teur assiste en temps réel.» Le mono­logue — on n’y échappe pas — pose le dou­ble prob­lème du rap­port à l’autre et du statut de la parole. Pourquoi quelqu’un, soudain, se met-il à énon­cer à voix haute des mots ? « Le mono­logue n’est con­cev­able qu’à par­tir du moment où on cesse de biais­er l’adresse directe au pub­lic. Et dès lorsqu’on écrit un dis­cours pronon­cé par une per­son­ne publique­ment, il n’y a aucune rai­son de con­serv­er la con­ven­tion du qua­trième mur, parce que le statut même de la parole le fait dans ce cas vol­er en éclats. Le statut con­cret de la parole oblige l’ac­teur à une con­fronta­tion avec le pub­lic.» Enzo Cor­mann estime qu’il ne peut y avoir de fic­tion dans l’e­space que si le pub­lic lui-même est pris dans cette fic­tion. Voilà pourquoi il a délais­sé le mono­logue et lui a sub­sti­tué ce qu’il nomme des dits. Ceux-ci inter­fèrent avec des musiques — l’au­teur s’est asso­cié à des musi­ciens de jazz — et sont conçus dans un souci de mise en bouche : ils sont tra­vail­lés par l’o­ral­ité.
« Entre deux con­struc­tions de phras­es, c’est l’or­eille qui tranche. Je suis obnu­bilé par le son qui sera pro­duit. J’éla­bore une par­ti­tion sonore.»

Ces dits sont faits pour être réc­ités et proférés. lis inter­ro­gent par con­séquent la pra­tique théâ­trale.
« Quand je donne un « con­cert » avec un orchestre, je suis fasciné par la capac­ité d’at­ten­tion et d’é­coute des gens. On leur offre un réc­i­tatif, un ora­to­rio. Il s’avère à mes yeux que ce rit­uel est le seul capa­ble d’as­sumer une parole soli­taire. Il se passe là quelque chose d’essen­tiel et je suis très attaché à ce côté archaïque. Des gens font le choix de venir enten­dre une parole dépouil­lée de tout arti­fice qui leur est sim­ple­ment adressée, de venir enten­dre quelqu’un qui active leur sub­jec­tiv­ité. Pourquoi se dépla­cent-ils ?Cela répond chez eux à un besoin pro­fond de sin­gu­lar­ité.» Une sin­gu­lar­ité qui s’af­firme en total porte à faux avec les pra­tiques haute­ment médi­a­tiques de notre époque. Et qui s’op­pose au solil­oque de la machine céli­bataire. Les dits nous invi­tent au con­traire à un effet de gros plan qui « induit, la con­fi­dence, le secret partagé, à con­di­tion que la com­mu­ni­ca­tion se fasse en vérité, c’est-à-dire exempte de dis­posi­tifs bour­sou­flés. »

L’é­tat du dis­posi­tif ? Il est pri­or­i­taire­ment entre les mains du met­teur en scène dont Cor­mann attend, avant tout, qu’il accom­pa­gne l’ac­teur avec une totale humil­ité. Que lui demande-t-il ? D’une part, qu’il défasse le mono­logue, en d’autres terme que la scène crée un statut à la parole là où aupar­a­vant il n’y en avait pas et, d’autre part, qu’il trou­ve les solu­tions scéniques les plus sim­ples et les plus directes pos­si­bles.« Qu’il aille vers le min­i­mal­isme - occa­sion de met­tre le théâtre à plat — et non pas qu’il s’en­com­bre de décors inouïs qui nient éperdû­ment la présence du pub­lic. Il devrait savoir retrou­ver le presque rien, l’événe­ment dans toute sa fragilité.» Cette fragilité souhaitée ne sera-t-elle pas égale­ment partagée par l’ac­teur en sit­u­a­tion de mono­logue ?
Pas telle­ment ! Le dra­maturge pense que l’ac­teur seul en scène est moins en péril que l’ac­teur con­fron­té à un autre être de chair et de sang qui lui donne la réplique. « Rien n’est plus désta­bil­isant pour l’ac­teur que de se trou­ver face à un autre qui a son rythme, sa façon de bouger dans l’e­space. Cela le dévoile beau­coup plus que lorsqu’il met en forme son pro­pre nar­cis­sisme dans une boîte où tout lui obéit, où il est maître du temps, de l’in­ten­sité,… où il est son pro­pre démi­urge. »

Durif

Eugène Durif n’est pas du même avis. Il con­sid­ère que le comé­di­en seul en scène est dans un état de grande fragilité, plus grande que s’il avait face à lui un autre auquel se rac­crocher. Surtout si le comé­di­en renonce à établir une con­nivence facile avec le pub­lic et s’ex­pose vrai­ment. L’au­teur le voit alors comme un « équilib­riste », en sit­u­a­tion périlleuse : « Dans ce cas il sem­ble réin­ven­ter le texte tel un musi­cien de jazz en train d’im­pro­vis­er. » Auteur de mono­logues con­sciem­ment écrits pour le théâtre, LE PETIT BOIS, CONVERSATION SUR LA MONTAGNE, BMC,… mais aus­si de pièces dialogiques trouées de longues par­ties mono­loguées. Duri n’établit pas de dif­férence entre ces deux formes théâ­trales. « le théâtre ne com­mence-t-il pas à par­tir du moment où il y a adresse ‚adresse à un autre présent ou absent, à Dieu, au pub­lic,… ? Peut-être, sim­ple­ment, le mono­logue pose-t-il avec plus de vio­lence et de rad­i­cal­ité la ques­tion de l’adresse.” À son avis, le mono­logue relève pleine­ment de l’art dra­ma­tique. Cela ne l’empêche pas de remar­quer la défi­ance qui règne générale­ment dans le monde théâ­trale à son égard tant qu’il n’a pas été joué.

Ce qui l’in­téresse par­ti­c­ulière­ment ! L’in­ser­tion dans un texte dialogique d’un mono­logue qui, soudain, pro­duit un brusque décrochage, part ailleurs, vers une parole lyrique, venant con­tre­bal­ancer le car­ac­tère ellip­tique des dia­logues. Le mono­logue lui per­met dès lors de restituer « le rythme de la pen­sée, du

souf­fle avec ses aspérités et ses heurts. Le mono­logue est le lieu où l’on peut saisir la pensée à vif dans une parole, la pensée avec ce quelle a de con­tra­dic­toire puisquà la fois elle avance, se donne, seffon­dre, se retire, identique à des mou­ve­ments physiques. Quand j’écris un monologue » explique-t-il. « j’ai donc tou­jours à l’esprit la

façon dont il va être dit, dont il sera par moments mur­muré, proféré, hurlé, chuchoté, mar­monné. Je songe à des inten­sités physiques, vocales, musi­cales, de même que la pen­sée peut être musi­cale.»

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