Les premières « Bonnes »

Les premières « Bonnes »

Là pièce de Jean Genet mise en scène par Louis Jouvet au Théâtre de l’Athénée

Le 22 Avr 1993
Yvette Etiévant, Monique Mélinand
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Yvette Etiévant, Monique Mélinand
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Claude Regy-Couverture du Numéro 43 d'Alternatives ThéâtralesClaude Regy-Couverture du Numéro 43 d'Alternatives Théâtrales
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ALAIN OLLIVIER : Com­ment as-tu appris que tu allais jouer une pièce de Genet ?

Monique Méli­nand : La pre­mière fois que Jou­vet m’en a par­lé, il m’a mon­tré des vers de Genet que lui avait fait lire…

A. O. : Chris­t­ian Bérard ?

M. M. : Non, c’est Cocteau je crois qui… Et c’est sur­cout Boris Kochno. Boris qui était très ami de Jean Genet, je pense… C’est Boris Kochno qui en avait par­lé à Jou­vet et, comme Jou­vet cher­chait tou­jours des auteurs nou­veaux (il avait essayé de jouer du Romain Gary. IIs ont beau­coup tra­vail­lé, Romain Gary et lui, pour écrire une pièce). Là, il avait trou­vé que c’é­tait vrai­ment une langue très théâ­trale…. La pre­mière fois qu’il m’en à par­lé, il m’a dit : le sujet, c’est deux filles qui ont tué leur patronne (il m’a par­lé des sœurs Papin) et qu’il allait faire une chose là-dessus. C’est comme ça que j’en ai enten­du par­ler la pre­mière fois. Ensuite j’ai lu la pièce. E je l’ai aimée rout de suite…

A. O. : Mais la pièce que tu as lue, ce n’est pas tout à fait celle que vous avez jouée ?

M. M. : Pas tout à fait : il y a eu des remaniements. Jou­vet tra­vail­lait énor­mé­ment avec les auteurs. Il a beau­coup tra­vail­lé avec Genet.

A. O. : Je crois qu’il y avait trois ver­sions : un pre­mier man­u­scrit dont le pro­prié­taire ne veut pas qu’il soit mis à la dis­po­si­tion de quiconque, et dans ce pre­mier man­u­scrit, on pou­vait lire le rôle de Mon­sieur et celui du laiti­er, Mario.

M. M. : Oui, je m’en sou­viens très bien. Je sais que c’est cer­taine­ment Jou­vet qui a con­va­in­cu Genet de sup­primer le rôle de Mon­sieur et celui du laiti­er, Mario.

A. O. : Et ensuite, il y à donc eu un sec­ond man­u­scrit, que Tania Bal­a­cho­va et Arlette Rein­her ont joué en 1954 à La Huchette. Le texte de cette ver­sion à été pub­lié aux cahiers de l’Ar­balète. La pièce que vous avez jouée, selon ce que tu me dis, serait une troisième ver­sion. Mais est-ce que des coupures se sont faites, par­fois, en cours de répéti­tion ?

M. M. : Il y à eu quelques coupures, mais pas beau­coup, je ne crois pas. Non, ils avaient beau­coup cra­vail­lé avant. Pen­danc les lec­tures, il y à eu cer­taine­ment des arrange­ments Mais il ne fai­sait jamais de coupures comme ça, Jou­vet. C’é­tait vrai­ment après avoir beau­coup réfléchi, en écoutant, en voy­ant.

A. O. : Il ne le l’avis de Genet ? fai­sait jamais sans

M. M. : Non, jamais. Te dire qu’il n’au­rait pas influ­encé, s’il avait été per­suadé : bien sûr que si ! il influ­ençait. Mais il n’au­rait pas dit : « Bon, ça, il faut l’enlever ». Ça jamais !

A. O. : Mais quand tu as vu la représen­ta­tion que nous jouons, tu m’as dit, en repen­sant à ce que tu avais joué, qu’il y avait un pas­sage, où il éca­ic ques­tion d’aigu­illes…

M. M. : Non, mais ça, c’est juste une phrase parce qu’à ce moment-là j’é­tais très jeune, je ne pou­vais pas la dire. C’é­tait un moment où elle par­lait de son enfant, l’en­fant qu’elle ne voulait pas avoir et qui était comme une espèce de cail­lou avec des pointes, qui était dans son ven­tre… et ça, je me dis­ais : je ne peux pas y arriv­er ! C’é­tait affreux, tu vois. Ça à été coupé, ça.

A. O. : Et Genet ?

M. M. : Je lui en ai par­lé. Je lui ai dit que ça me… (geste d’écœure­ment) et il a accep­té. Quand même un auteur peut accepter qu’une comé­di­enne lui dise… je lui ai dic : « tu sais, vrai­ment, je n’y arrive pas ». J’ai essayé, tu vois, je le dis­ais et puis chaque fois… je n’ar­rivais pas… Ça ne pas­sait pas.

A. O. : Et il à accep­té ?

M. M. : Ah oui ! S’il n’avait pas accep­té, cer­taine­ment je l’au­rais di, tu vois. Mais je pense que je ne devais pas.… et d’ailleurs je pense aus­si que… ça ne venait pas bien, qu’il y avait quelque chose qui n’é­tait pas bien. Mais, c’é­tait une phrase, deux phrase… Tu sais il y avait d’autres choses, il n’y avait pas que ça ! Mais cette chose-là m’é­tait très pénible, je ne sais pas pourquoi.

A. O. : La générale a été dif­fi­cile. Est-ce que le pub­lic à man­i­festé son refus de la pièce dès la générale ?

M. M. : Non, à la générale, non. Ils n’ont pas crié du tout, ils n’ont pas bronché. Il n’y a pas eu d’ap­plaud­isse­ment. Le rideau est tombé, je crois qu’il y a eu qua­tre ou cinq per­son­nes qui ont applau­di et le silence total. Nous, comme on était habituées à beau­coup de suc­cès, c’é­tait étrange. C’é­tait dur, tu vois, parce que pour ceux qui jouaient L’APOLLON DE MARSAC après l’en­tracte, c’é­tait vrai­ment des ova­tions. Mais tu ne peux pas savoir, incroy­able ! L’APOLLON DE MARSAC, c’est le rire, c’est le charme… Jou­vet y était mer­veilleux, Dominique Blan­chard… mer­veilleuse… Toute la troupe jouait des com­po­si­tions, les
cos­tumes de Dior étaient ravis­sants… Alors, nous… c’é­tait I’hor­reur. On n’a pas joué longtemps. Mais on a joué jusqu’à l’été.

A. O. : Si on en croit les cri­tiques de la créa­tion (cout cela s’est écrit en mars/avril 1947), les répliques du début de la pièce ont immé­di­ate­ment soulevé des répro­ba­tions : le « crachât»…

M. M. : Ah oui, alors ça, le « crachât » , « crachât » ! (rires) il y avait tou­jours un arrêt. On était oblig­ées de s’ar­rêter… on s’ar­rê­tait, on restait com­plète­ment figées à atten­dre que ça se passe.

A. O. : Chez cer­tains cri­tiques s’ex­prime le regret que la pièce ne soit pas d’é­cole nat­u­ral­iste ou réal­iste : autrement dit, ils n’aimaient pas le lan­gage des BONNES. Ça leur parais­sait un con­tre­sens. La réac­tion était d’or­dre vériste. Qu’est-ce que Jou­vet vous avait dit de par­ti­c­uli­er en répéti­tion pour définir le ton de l’in­ter­pré­ta­tion ?

M. M. : On a beau­coup par­lé avec lui de ça, de cette espèce d’amour inces­tueux qu’il y avait entre ces deux filles, avec en même temps, la haine, le déchire­ment. Bon, ce que tu as mis, la même chose, tu sais. Il n’y a pas de doute, c’est quand même assez clair, cette pièce. Sim­ple­ment c’é­tait dans un décor com­plète­ment « Bérarisé » qui était ravis­sant, qui don­nait juste­ment (et c’est ça que voulait Jou­ver) les deux côtés de l’ac­tion, c’est-à-dire les filles dans cet état de dénue­ment intérieur et de haine ren­trée et qui sor­taient comme des boulets de canon, dans cet endroit par­fumé avec le thé, les ros­es etc. Bon, Genet, tu sais de toute façon… Genet… com­ment te dire… Genet, c’é­tait vrai­ment quelqu’un d’assez ter­ri­ble, quand il venait… Il était à la fois extrême­ment con­tent que sa pièce soit jouée, par M. Jou­vet ; c’é­tait quand même pas mal. Mais en même temps, il n’é­tait pas con­tent d’être con­tent.

A. O. : À quoi pou­vait-on le voir ?

M. M. : Jou­vet et Bérard avaient eu beau­coup de mal à I’amen­er à ce décor… qui était extra­or­di­naire… Et moi je pense que le décor était for­mi­da­ble parce que ça don­nait l’en­vers de ce qu’é­taient LES BONNES. Et nous on jouait extrême­ment âpre, dur, il n’y avait aucune sen­ti­men­tal­ité dans notre jeu à toutes les trois : ça, pas ques­tion ! Mais il dis­ait qu’il n’au­rait pas voulu ce décor. Enfin qu’il n’au­rait pas voulu et il voulait bien quand même… Il fai­sait tout le temps de l’obstruction. De l’ob­struc­tion que moi, je n’ai pas telle­ment prise au sérieux (rires). Il était con­tre ce théâtre bour­geois, bah ça, c’est nor­mal.

A. O. : Tu veux dire I’Athénée ? Ce que représen­tait l’Athénée, le pub­lic de I’Athénée ?

M. M. : Le pub­lic de l’Athénée, je ne pense pas. Il voulait que ce soit joué dans de la pau­vreté. Cela dit, moi je pense que c’é­tait pas aus­si sincère, que peur-être lui-même se trompait un petit peu sur lui. Je crois qu’il était quand même assez sat­is­fait que ce soit joué comme ça, c’é­tait telle­ment impor­tant… Ec puis après, comme ça ne mar­chait pas. Ce n’était pas ce qu’on appelle un suc­cès, parce que ça à été vrai­ment la haine, ce spec­ta­cle !

A. O. : Oui, mais la salle était pleine tous les soirs ?

M. M. : Oui, mais pas pour lui. Les gens venaient, bien sûr, mais ils venaient d’abord pour Girau­doux et Jou­vet… Tout de suite, on s’est aperçu (ça a fait l’u­na­nim­ité dans Paris) que le bruit se répandait que c’é­tait une pièce immonde, affreuse… Main­tenant ça nous paraît… c’est fou quand on pense à ça. Mais c’est vrai, ça fai­sait cet effet-la. Donc les gens ont com­mencé à venir pour chahuter : on a inter­rompu des représen­ta­tions… On n’a jamais arrêté, on a tou­jours été jusqu’au bout, mais il fal­lait vrai­ment beau­coup de courage pour aller jusqu’au bout : ce n’é­tait pas facile. Ec la police est venue pour met­tre des gens dehors. Ah oui ! C’é­tait vrai­ment la cabale totale ! On ne peut pas imag­in­er : c’est incroy­able. Il y a eu un change­ment de société absol­u­ment incroy­able. Quand on pense à tout ce qu’on voit main­tenant et tout ce qu’on
dit main­tenant, ce sont des enfants de choeur, LES BONNES.

A. O. : Com­ment Jou­vet réagis­sait-il à la façon dont la pièce était accueil­lie ?

M. M. : Tu sais Jou­vet… Je crois que lui, de toute façon, c’est quelqu’un qui pre­nait tou­jours de plein fou­et les choses. Jou­vet fai­sait son tra­vail comme il dis­ait, « son tra­vail ». Ça mar­chait ou ça ne mar­chait pas. Ça plai­sait ou ça ne plai­sait pas ; les cri­tiques, je ne pense pas qu’il les ait lues : il les lisait crois mois après.

A. O. : Je ne pense pas aux cri­tiques. Je voulais par­ler des réac­tions de la salle… Le soir de la pre­mière par exem­ple ?

M. M. : Le soir de la pre­mière de toute façon, il à sûre­ment eu un choc, mais il allait entr­er en scène dans L’APOLLON qui était joué pour la pre­mière fois. Mais il était plutôt à nous tenir, pour qu’on ait du cran. Parce qu’il fal­lait beau­coup de cran. C’est vrai que c’é­tait dur : d’abord, c’est une pièce ter­ri­ble à jouer : on y est vrai­ment mangé par l’intérieur !

A. O. : C’est ce qu’on éprou­vé Hélène Lausseur et Vio­laine Schwartz.

M. M. : Tu vois, d’est curieux : moi, je me revois, sor­tant de scène et me regar­dant dans la glace, je n’avais plus la même tête. Comme si on était hap­pé par l’in­térieur par quelque chose de ce texte. Après du Genet, je trou­ve qu’on est dans un état un peu de drogue… Et puis ce sont des filles comme « droguées » intérieure­ment.

A. O. : Est-ce que les man­i­fes­ta­tions pen­dant la représen­ta­tion…

M. M. : Oui, alors, ça a com­mencé dès la sec­onde.

A. O. : Donc, comme on dit, il y avait le risque que ça se « décale » un peu peut-être ?

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