Les immersions sensorielles de Laurent Bazin

Théâtre
Critique
Portrait

Les immersions sensorielles de Laurent Bazin

Le 14 Juil 2020
Le Baptême, mise en scène et réalisation Laurent Bazin, création Biennale NEMO, le CENTQUATRE- PARIS, Théâtre de Choisy-le-Roi, 2020. Photo Svend Andersen.
Le Baptême, mise en scène et réalisation Laurent Bazin, création Biennale NEMO, le CENTQUATRE- PARIS, Théâtre de Choisy-le-Roi, 2020. Photo Svend Andersen.

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Le Baptême, mise en scène et réalisation Laurent Bazin, création Biennale NEMO, le CENTQUATRE- PARIS, Théâtre de Choisy-le-Roi, 2020. Photo Svend Andersen.
Le Baptême, mise en scène et réalisation Laurent Bazin, création Biennale NEMO, le CENTQUATRE- PARIS, Théâtre de Choisy-le-Roi, 2020. Photo Svend Andersen.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 141 - Images en scène
141

Lau­rent Bazin met en scène les acteurs, mais aus­si les spec­ta­teurs, dans des pièces de théâtre dou­ble­ment immer­sives : tech­nologique­ment immer­sives grâce à la réal­ité virtuelle, émo­tion­nelle­ment immer­sives grâce à la démarche sen­sorielle qu’il intro­duit dans son fil nar­ratif.

Avec Les Falais­es de V. en 2017 ou plus récem­ment Le Bap­tême en jan­vi­er 2020, Lau­rent Bazin a dévelop­pé une approche par­ti­c­ulière­ment hybride de la mise en scène, reliant théâtre, instal­la­tion immer­sive et réal­ité virtuelle. Une artic­u­la­tion à la fois com­plexe et sen­sorielle, qui procède d’un par­cours de réflex­ion et de créa­tion passé par dif­férentes étapes.

Après des études de philoso­phie pré­moni­toires, où il décou­vre une forme d’expérience esthé­tique dans la lec­ture de L’Éthique de Spin­oza ou des œuvres de George Berke­ley et com­mence à s’intéresser à la « mise en ordre du réel » portée par ces grands penseurs, Lau­rent Bazin se tourne vers le théâtre et vers des gen­res aus­si dif­férents que la comédie musi­cale et le thriller médié­val. Sa comédie musi­cale Signé Cor­beau, aux Folies Bergères, lui enseigne déjà l’importance de l’amplification du pou­voir sen­soriel. Il évoque comme mod­èle Jacques Demy et sa recom­po­si­tion du réel dans un monde chan­té, aux couleurs et décors réin­ven­tés. Le genre lui apprend égale­ment à con­duire une his­toire avec tous ses moyens : le texte, mais aus­si tous les ingré­di­ents audi­tifs, visuels ou sen­si­tifs qu’elle sup­pose. Une leçon qu’il va retenir.

Car depuis quelques années, Lau­rent Bazin écrit et conçoit ses pièces avec l’idée de faire entr­er le spec­ta­teur dans un mode immer­sif, autant bâti sur la tech­nolo­gie de la réal­ité virtuelle que sur une recherche opti­misée de la sen­sa­tion. Qu’il s’agisse des Falais­es de V. ou du Bap­tême, les sens sont le témoin-clé de l’expérience. Les impres­sions les plus intimes du spec­ta­teur font ain­si écho à ses réc­its désor­mais plus som­bres, plus proches des antic­i­pa­tions dystopiques d’un Philip K. Dick que des choré­gra­phies des Demoi­selles de Rochefort. En s’interrogeant sur les « pactes pos­si­bles que la société pour­rait pass­er avec les indi­vidus pour main­tenir son équili­bre », Lau­rent Bazin s’intéresse au pacte s’établissant entre le spec­ta­teur et le per­son­nage prin­ci­pal de l’histoire, celui que l’on suit de façon intéri­or­isée grâce au dis­posi­tif VR. Une quête que Lau­rent Bazin décrit comme une forme d’« auto­bi­ogra­phie maquil­lée », en avouant que « cha­cune de mes créa­tions part d’une sorte d’inquiétude intérieure, d’un malaise dont j’essaie de me décharg­er sous forme de fic­tion1 ».

Empathie et points de passage

Dans Le Bap­tême, un sen­ti­ment de cul­pa­bil­ité nous accom­pa­gne en suiv­ant le par­cours étrange d’un homme per­suadé d’avoir com­mis un meurtre sans que rien ne le prou­ve. Emmi­tou­flé dans son masque VR, on fixe cette his­toire presque sur­réal­iste, dans un scé­nario digne de La Colonie péni­ten­ti­aire de Kaf­ka. Dans Les Falais­es de V., des détenus de longue durée se voient pro­pos­er de faire don de leurs organes con­tre des années de lib­erté. Le rap­proche­ment offert au spec­ta­teur dans l’expérience VR y est encore plus poussé puisqu’il est invité à occu­per la place du con­vict, allongé sur un lit, pour mieux partager son remords ou ses doutes.

La tech­nique de la réal­ité virtuelle par­ticipe bien enten­du grande­ment de cette immer­sion empathique. Les deux pièces s’appuient toutes les deux sur des pris­es de vues réelles et avec des acteurs. Nom­breuses et mon­tées pour Le Bap­tême, elles sont plus réduites dans Les Falais­es de V., mais c’est surtout la part d’inconscient que véhicu­lent ces images chez le spec­ta­teur qui s’avère la plus forte. Der­rière leur con­traste – en noir et blanc pour LeBap­tême, en couleurs pour Les­Falais­es­deV.–, elles ne tar­dent pas à s’apparenter à « des éma­na­tions qui court-cir­cuitent la linéar­ité du sché­ma nar­ratif ». En clair, si ces images exis­tent pour struc­tur­er l’histoire, l’effet qu’elles pro­duisent dans l’expérience intime sen­sorielle du spec­ta­teur s’avère un point cen­tral.

Pour soutenir cette rela­tion entre acteur et spec­ta­teur, Lau­rent Bazin n’hésite pas à créer divers points de pas­sage dans ses pièces entre l’espace virtuel, procé­dant des sit­u­a­tions vision­nées via le casque VR, et l’espace physique. Dans Les Falais­es de V., le spec­ta­teur, atteint par la céc­ité du héros de l’histoire, se retrou­ve physique­ment pris en charge par un comé­di­en-soignant qui le fait déam­buler vers la sor­tie. Dans Le Bap­tême, le fil du réc­it se fait par écou­teurs et con­duc­tion osseuse, mais le comé­di­en jouant la voix off inter­vient aus­si égale­ment au milieu des spec­ta­teurs assis et casqués pour leur susurrer l’histoire à l’oreille. À la fin de cette pièce, le pub­lic est d’ailleurs invité à chang­er de salle pour se réu­nir autour d’une vasque où une comé­di­enne s’extirpant du groupe fini par s’immerger. Un sym­bole presque rit­uel, pour une expéri­ence de mise en scène mul­ti­di­men­sion­nelle.

  1. L’ensemble des pro­pos de Lau­rent Bazin sont extraits d’un entre­tien avec Lau­rent Cata­la, mars 2020. ↩︎

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