Le reflet déformant et instable du réel

Entretien
Théâtre

Le reflet déformant et instable du réel

Entretien avec Sergio Boris

Le 24 Avr 2019
Artaud de Sergio Boris, 2015. Photo Ariel Feldman.
Artaud de Sergio Boris, 2015. Photo Ariel Feldman.

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Artaud de Sergio Boris, 2015. Photo Ariel Feldman.
Artaud de Sergio Boris, 2015. Photo Ariel Feldman.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 137 - Noticias argentinas - Perspectives sur la scène contemporaine argentine
137

LAURENT BERGER
Com­ment s’est passée ton « ini­ti­a­tion » au théâtre dans le milieu de Buenos Aires, et quel est le par­cours que tu as suivi ?

SERGIO BORIS Par­mi les expéri­ences qui m’ont forgé, il y a le spec­ta­cle de Ricar­do Bartís, Postales argenti­nas (1988). J’ai alors dix-neuf ans et il y a une envie de dépasse­ment dans le théâtre under­ground au début des années 1990, une ten­ta­tive de réponse au théâtre psy­chologique hérité des années 1970, avec des propo­si­tions plus expres­sives, plus fortes mais sans encore un véri­ta­ble lan­gage scénique. C’est là qu’arrive ce spec­ta­cle de Bartís qui m’a vrai­ment sur­pris, et il est devenu mon maître ; j’ai étudié auprès de lui pen­dant qua­tre ans. Avec lui appa­rais­sait un regard sur l’ensemble du spec­ta­cle, sur la mise en scène et la dra­maturgie. Ma pre­mière expéri­ence charnière, du point de vue à la fois per­son­nel et théâ­tral, a été la créa­tion de El peca­do que no se puede nom­brar dirigé par Ricar­do Bartís1 (1998). Cette pièce dévelop­pait l’idée d’accumulation dra­ma­tique, pas seule­ment du point de vue nar­ratif mais égale­ment du point de vue des éner­gies, des couleurs, des rythmes, une idée beau­coup plus musi­cale de l’expressivité ; une impor­tance accordée aux con­trastes, à la rela­tion entre temps et espace et aux corps dans le temps.

J’ai ensuite réal­isé ma pre­mière mise en scène, La Bohemia (2001), dont j’avais déjà écrit le texte, mais je m’en suis éloigné en ne gar­dant que la sit­u­a­tion de départ et les noms des per­son­nages. J’ai expéri­men­té un nou­veau proces­sus de créa­tion où je me met­tais à impro­vis­er sur des hypothès­es de petites sit­u­a­tions, sans pren­dre d’engagement sur la date de pre­mière. Dès cette pre­mière pièce, j’ai mis en place des proces­sus de répéti­tion d’une durée de presque deux ans avant la créa­tion, qui est en elle-même le début d’une autre phase d’expérimentation, celle qui cor­re­spond à l’arrivée du regard du pub­lic sur l’objet. Je développe alors l’idée de l’improvisation pour vol­er au réel le dis­cours de l’oralité. Puisqu’il s’agissait de trois per­son­nages aveu­gles, nous sommes allés ren­con­tr­er des aveu­gles pour rassem­bler et enreg­istr­er l’oralité de ces per­son­nes. La dra­maturgie se décou­vre ensuite au fur et à mesure, elle se des­sine comme un dia­logue entre ce qui se passe pen­dant la répéti­tion et ce qui se passe à l’extérieur du plateau. En général, je com­mence à écrire au bout de six mois et j’essaie dif­férentes manières de racon­ter, d’organiser une séquence de jeu.

LB

Ce proces­sus s’est bien enrac­iné depuis dans ta pra­tique. Il guide d’ailleurs toute la dra­maturgie de Viejo, solo y puto, non ?

SB En 2011, je crée Viejo, solo y puto, que je répé­tais depuis 2009 et où j’affirme en effet un peu plus ce proces­sus de tra­vail en tra­vail­lant à par­tir de sit­u­a­tions, en essayant que les mythes qui se jouent appa­rais­sent dans les rela­tions expres­sives entre les corps, et non pas dans l’énonciation de ces thèmes. On n’explique pas ce qui est en train d’arriver mais cela arrive véri­ta­ble­ment, c’est-à-dire que les thèmes eux-mêmes s’incarnent dans le jeu. Ils se dif­fusent dans cette rela­tion entre les corps et cela implique la nar­ra­tion, ce qu’on choisit de racon­ter. Il y a aus­si un dia­logue per­ma­nent entre la répéti­tion et l’écriture ; de cette façon naît une écri­t­ure qui a moins besoin d’expliquer ce qui se passe, qui pos­sède une plus grande con­fi­ance dans le non-dit. Tout cela passe à tra­vers un développe­ment des liens expres­sifs, de l’atmosphère, des cli­mats, des con­trastes, une per­cep­tion musi­cale des choses.

Viejo solo y puto
de Sergio Boris. Photo Verónica Schneck.
Viejo solo y puto de Ser­gio Boris. Pho­to Veróni­ca Sch­neck.

LB

Tu par­les ici des incar­na­tions sen­si­bles qui per­me­t­tent à la dra­maturgie de pro­gress­er, mais qu’en est-il de ton rap­port à l’écriture et au texte ?

  1. Ndr : un spec­ta­cle mon­té par Ricar­do Bartís à par­tir de deux romans d’un auteur culte en Argen­tine, Rober­to Arlt : Los siete locos (1929) et Los lan­za­l­la­mas (1931). ↩︎

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Laurent Berger
Laurent Berger est metteur en scène, dramaturge et Maître de conférences à l’Université Montpellier 3...Plus d'info
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