Éloge de l’indisciplinaire

Entretien
Musique
Théâtre

Éloge de l’indisciplinaire

Entretien avec Wilfried Wendling

Le 23 Nov 2013
Pascal Greggory et Mathurin Bolze dans NInet’InfernO, d’après Les Sonnets de Shakespeare, conception, musique, mise en scène Roland Auzet, avec l’Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya (OBC), Grec Festival de Barcelone, 2015. Photo Christophe Raynaud de Lage.

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Pascal Greggory et Mathurin Bolze dans NInet’InfernO, d’après Les Sonnets de Shakespeare, conception, musique, mise en scène Roland Auzet, avec l’Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya (OBC), Grec Festival de Barcelone, 2015. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 136 - Théâtre Musique
136

CT
Vous êtes directeur de La Muse en cir­cuit, cen­tre nation­al de créa­tion musi­cale. Les CNCM se retrou­vent naturelle­ment impliqués dans la ques­tion de la scène. Du point de vue d’une insti­tu­tion musi­cale, com­ment se pose l’enjeu du rap­port musique-théâtre, ou musique-scène : est-ce qu’il s’agit de pass­er de la forme con­cert à de « vraies » formes théâ­trales ? D’enjeux de com­po­si­tion ? D’un élar­gisse­ment des dimen­sions de la créa­tion musi­cale ?…

WW Cette déter­mi­na­tion est un dis­cours esthé­tique qui est intéres­sant à définir, même chez le spec­ta­teur. La notion de « vrai théâtre » ou de ce qui doit être sur une scène est une ques­tion qu’interrogent sys­té­ma­tique­ment les arts expéri­men­taux – il y flotte un air de lib­erté artis­tique et d’émancipation.

Les CNCM ont été fondés dans les années 1980. Dans le sil­lage des Cen­tres dra­ma­tiques nationaux (CDN) apparus dans l’après-guerre, ils traduisent une volon­té du min­istère de la Cul­ture de créer des out­ils pour des com­pos­i­teurs très atten­tifs à l’époque aux évo­lu­tions de l’électro-acoustique, des out­ils qui seraient partagés par dif­férents artistes. Cela s’est éti­olé avec le temps parce que notre cul­ture poli­tique est beau­coup moins mature que dans le domaine théâ­tral. Ayant vécu dans une famille de théâtre, et gran­di entre le Chail­lot de Vitez et les Amandiers de Chéreau, j’ai rapi­de­ment con­staté que les visions poli­tiques des secteurs du théâtre et de la musique étaient fort éloignées. La musique me paraît arriérée, inca­pable de se fédér­er, mar­quée par un indi­vid­u­al­isme forcené. Dans ce paysage, les CNCM, qui sont portés par des préoc­cu­pa­tions artis­tiques et poli­tiques com­munes, me sem­blent intéres­sants. On en compte sept à ce jour sur l’ensemble du ter­ri­toire1

En ce qui con­cerne la com­po­si­tion, on hérite d’une sit­u­a­tion où la pra­tique de l’écriture est tra­di­tion­nelle­ment isolée, avec une sacral­i­sa­tion de la ques­tion de l’auteur, une hiérar­chi­sa­tion entre l’auteur et l’interprète qui a des inci­dences sur l’appellation de « com­pos­i­teur » aujourd’hui. La pra­tique ances­trale du musi­cien qui crée avec l’idée du partage me sem­ble cepen­dant revenir en force aujourd’hui, notam­ment avec le développe­ment des col­lec­tifs. On com­prend bien cette notion d’auteur pro­pre à la musique en pen­sant à Wag­n­er au XIXe siè­cle… Mais après lui, il a fal­lu atten­dre la fin du XXe siè­cle, avec des fig­ures comme Aperghis ou Xenakis, pour retrou­ver une forme de préoc­cu­pa­tion extra musi­cale et notam­ment scénique. La dimen­sion visuelle, que Wil­son ou Castel­luc­ci représen­tent forte­ment au théâtre, est en par­ti­c­uli­er portée dans le champ musi­cal par Hein­er Goebbels : pour toute ma généra­tion de quadragé­naires, cette fig­ure essen­tielle a créé un véri­ta­ble boule­verse­ment styl­is­tique, à la fois dans son tra­vail avec le col­lec­tif et dans ses rela­tions avec dif­férentes orig­ines musi­cales (rock, world, …), tout en s’attachant au texte. 

CT
Que s’est-il passé entre les pères fon­da­teurs, de Berio à Aperghis, et les années 1980 ? Quel mou­ve­ment ferait que la ques­tion du théâtre musi­cal aujourd’hui hérite de ces pères fon­da­teurs mais ne se pose plus dans les mêmes ter­mes ?

WW Plusieurs courants sont à l’œuvre. Sur la ques­tion wag­néri­enne et de l’opéra, ce n’est pas tant la ques­tion esthé­tique qui pose prob­lème que la ques­tion insti­tu­tion­nelle et poli­tique. C’est-à-dire que la nor­mal­i­sa­tion qui se fait autour d’une forme musi­cale a eu des effets très négat­ifs juste­ment sur l’opéra, la ques­tion de l’orchestre et du chant lyrique a évolué, la façon d’écouter la musique elle-même a évolué, et elle s’est com­plète­ment figée aujourd’hui. C’est très bizarre, par exem­ple, de se dire que les instru­ments n’évoluent plus et qu’ils sont qua­si­ment les mêmes depuis cent ans. Les grands courants vont de pair avec cette fix­a­tion de cer­tains élé­ments au début du vingtième siè­cle. Avec le rock et surtout avec l’électricité est arrivé quelque chose qui a tout changé : la puis­sance sonore dévelop­pée par les haut-par­leurs. Le rap­port à la vocal­ité est alors devenu tout autre. Le rock réin­sère une chose impor­tante et anci­enne, qui est l’oralité à l’intérieur d’une pra­tique col­lec­tive. Cela rejoint d’ailleurs une forme de pra­tique théâ­trale. Cette ques­tion du groupe et de l’amplification élec­trique enri­chit la dimen­sion visuelle et libère com­plète­ment la voix de la pra­tique unique­ment lyrique.

Mais éton­nam­ment, aujourd’hui, on assiste à des manières de faire dans les opéras qui sem­blent s’être figées au XIXe siè­cle, alors que la dimen­sion scénique est dev­enue fon­da­men­tale, d’une matu­rité et d’une plas­tic­ité absol­u­ment folles, inté­grant com­plète­ment les tech­nolo­gies d’aujourd’hui. 

CT
À la ques­tion du théâtre musi­cal, envis­agé comme le fait de met­tre en scène la musique et l’interprète, comme une pro­lon­ga­tion de l’écriture, s’ajoute la ques­tion plas­tique. Les tech­nolo­gies numériques con­stituent-elles pour cela un nou­v­el enjeu ?

WW Oui, mais encore une fois il y a une con­ti­nu­ité – j’en reviens à Wag­n­er : le sim­ple fait de met­tre le pub­lic dans le noir change tout par rap­port à la per­cep­tion de ce qu’est la scène. Et, de la même façon, quand on passe de la bougie au pro­jecteur, on change d’univers égale­ment. Mal­gré tous les nou­veaux out­ils numériques, on trou­ve une con­ti­nu­ité de cette évo­lu­tion-là aus­si, con­fron­tée immé­di­ate­ment à la ques­tion de la scène. Ce rap­port aux arts numériques et à la ques­tion plas­tique est dans la con­ti­nu­ité du domaine du visuel. Les arts numériques aujourd’hui sont presque annex­es, il s’agit plutôt de tra­vailler une forme trans­dis­ci­plinaire. 

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Wilfried Wendling
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Christophe Triau
Essayiste, dramaturge et est professeur en études théâtrales à l’Université Paris Nanterre, où il dirige...Plus d'info
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