Corporéité des idées et jubilation de la pensée

Entretien
Théâtre

Corporéité des idées et jubilation de la pensée

Entretien avec NIcolas Truong

Le 28 Juil 2018
Nicolas Bouchaud et Judith Henry dans Projet Luciole, conception Nicolas Truong, Chapelle des Pénitents Blancs d’Avignon, 2013. Photo Pascal Gély.
Nicolas Bouchaud et Judith Henry dans Projet Luciole, conception Nicolas Truong, Chapelle des Pénitents Blancs d’Avignon, 2013. Photo Pascal Gély.

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Nicolas Bouchaud et Judith Henry dans Projet Luciole, conception Nicolas Truong, Chapelle des Pénitents Blancs d’Avignon, 2013. Photo Pascal Gély.
Nicolas Bouchaud et Judith Henry dans Projet Luciole, conception Nicolas Truong, Chapelle des Pénitents Blancs d’Avignon, 2013. Photo Pascal Gély.
Article publié pour le numéro
135

Jour­nal­iste et respon­s­able des pages « Idées-Débats » du Monde, Nico­las Truong s’interroge depuis de nom­breuses années sur les rela­tions entre la scène et les idées. En 2002, il met ain­si en scène La Vie sur terre, adap­ta­tion théâ­trale de textes issus de la pen­sée cri­tique, dont les Essais, arti­cles et let­tres de George Orwell (Ivréa/L’Encyclopédie des nui­sances, 1995 – 2001). En 2012 et en 2013, il crée au fes­ti­val d’Avignon Pro­jet Luci­ole, puis, en 2016 tou­jours au fes­ti­val d’Avignon, Inter­view avec Nico­las Bouchaud et Judith Hen­ry. Fon­da­teur de la revue Let­tre(1989– 1993), respon­s­able des « Con­tro­ver­s­es du Monde » au fes­ti­val d’Avignon, Nico­las Truong est notam­ment l’auteur, avec Jacques Le Goff, de Une his­toire du corps au MoyenÂge (Liana Lévi, 2006) de Résis­tances intel­lectuelles (L’Aube, 2013), Le cré­pus­cule des intel­lectuels français (L’Aube, 2016), Philoso­phie de la marche (L’Aube, 2018) et a réal­isé plusieurs ouvrages d’entretiens, par­mi lesquels Éloge de l’amour (avec Alain Badiou, Flam­mar­i­on, 2009), Éloge du théâtre (avec Alain Badiou, Flam­mar­i­on, 2013), Ma philoso­phie (avec Stéphane Hes­sel, L’Aube, 2013), Le Sens de la République (avec Patrick Weil, Gras­set, 2015) ou La Ten­ta­tion du Bien est beau­coup plus dan­gereuse que celle du Mal (avec Boris Cyrul­nik et Tzve­tan Todor­ov, L’Aube, 2017).

Quentin Amalou : Pourquoi, de Pro­jet Luci­ole à Inter­view, avez-vous choisi de faire du théâtre avec de la philoso­phie ? Et qu’appelez-vous « théâtre philosophique » ?

Nico­las Truong : Cela fai­sait longtemps que je pen­sais que l’on pou­vait faire du théâtre avec de la philoso­phie, non pas en adap­tant une œuvre du cor­pus philosophique, comme un dia­logue de Pla­ton, ce qui se fait sou­vent en rai­son de son appar­ente prox­im­ité avec un texte dra­ma­tique, mais en par­tant pré­cisé­ment des textes con­cep- tuels eux-mêmes, par­fois les plus ardus, afin d’en prélever des extraits qui, col­lés et mon­tés, per­me­t­tent d’en faire enten­dre la théâ­tral­ité. Ma lec­ture de la philoso­phie mod­erne et con­tem- poraine m’a con­duit à com­pren­dre que non seule- ment les philosophes se répondaient, mais qu’ils réson­naient entre eux à tra­vers une langue, une couleur, un ton qui leur est pro­pre. Les textes des philosophes me font l’effet des Voyelles de Rim­baud (1871) : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu ». A, comme la prose philologique de Gior­gio Agam­ben ; B, comme la poé­tique de la cat­a­stro­phe de Wal­ter Ben­jamin ; R, comme la joie trag­ique de Clé­ment Ros­set ; O, comme la lit­téra­ture poli­tique élevée au rang d’œuvre d’art par George Orwell… Je voy­ais les analo­gies, les cor­re­spon­dances, les dif­férences, les diver­gences et surtout com­ment tous ces textes pou­vaient com­pos­er ensem­ble un livret pour un opéra philosophique. C’est ain­si que j’ai imag­iné une dis­pute entre Guy Debord et Jacques Ran­cière, des accords majeurs entre la pen­sée du désas­tre de Wal­ter Ben­jamin et celle de la destruc­tion de l’expérience chez Gior­gio Agam­ben, des désac­cords mineurs entre celle de Jean Bau­drillard et d’Annie Le Brun. Le théâtre philosophique con­siste sou­vent à faire du théâtre avec de la philoso­phie, sous forme de frag­ments ou de plus longs raison­nements, mais il est égale­ment et peut-être surtout pour une façon de faire penser avec le théâtre. C’est pourquoi Inter­view, réflex­ion sur l’étrange théâtre de la parole qu’est l’entretien médi­atisé, s’inscrit dans ce pro­jet.

QA Gilles Deleuze par­lait, dans les années 1970, de « pop’philosophie », et imag­i­nait une philoso­phie qui soit acces­si­ble à la manière de la musique pop. C’était aus­si votre idée ?

NT Loin d’une « pop philoso­phie » sou­vent réduite à l’interprétation philosophique de la cul­ture pop­u­laire, qu’il s’agisse des tubes ou des séries télévisées, Gilles Deleuze l’entendait comme une inven­tion de con­cepts qui doivent être essayés, comme « des inten­sités qui vous con­vi­en­nent ou non, qui passent ou ne passent pas », que l’on branche à dif­férents plateaux, aus­si bien à la cul­ture clas­sique qu’à la botanique, à la cul­ture pop­u­laire qu’à la géo­gra­phie, aus­si bien à Hen­ri Berg­son qu’à Bob Dylan : « Pro­fesseur, je voudrais arriv­er à faire un cours comme Dylan organ­ise une chan­son, éton­nant pro­duc­teur plutôt qu’auteur. Et que ça com­mence comme lui, tout d’un coup, avec son masque de clown, avec un art de chaque détail con­certé, pour­tant impro­visé », dis­ait-il. Ain­si je crois qu’il est pos­si­ble de faire du théâtre comme les Mille plateaux de Deleuze et Guat­tari, avec des « machines de guerre », des « ritour­nelles » et des « lignes de fuite ». Et pour cela, il fal­lait, sur le plateau, non pas un cou­ple, mais un duo en pleine « noces », deux sin­gu­lar­ités qui tra­cent ensem­ble « un devenir ». Faire du théâtre avec de la philoso­phie est « pop philosophique » en ceci qu’on peut ren­dre la philoso­phie à la fois pop­u­laire et théâ­trale, grâce au col­lage, au cut-up, au pick-up, à la tragédie comme au stand-up.

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Nicolas Truong
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Quentin Amalou
Quentin Amalou, docteur en Sciences de l’Information et de la Communication avec une thèse dirigée...Plus d'info
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