« À la recherche de l’organicité dans l’artificialité »

Entretien
Théâtre

« À la recherche de l’organicité dans l’artificialité »

Entretien avec Duccio 
Bellugi Vannuccini

Le 26 Mar 2020
Tambours sur la digue, sous forme de pièce ancienne pour marionnettes jouée par des acteurs de Hélène Cixous, mise en scène Ariane Mnouchkine, avec Duccio Bellugi Vannuccini (Liou Po, le messager de la brèche) et Sergio Canto Sabido (son manipulateur), Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 1999. Photo Michèle Laurent.

A

rticle réservé aux abonné.es
Tambours sur la digue, sous forme de pièce ancienne pour marionnettes jouée par des acteurs de Hélène Cixous, mise en scène Ariane Mnouchkine, avec Duccio Bellugi Vannuccini (Liou Po, le messager de la brèche) et Sergio Canto Sabido (son manipulateur), Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 1999. Photo Michèle Laurent.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 140 - Les enjeux du masque
140

Dans quelles con­di­tions as-tu porté le masque pour la pre­mière fois au Théâtre du Soleil ?

Comme beau­coup de comé­di­ens, je suis entré au Théâtre du Soleil après un stage, où l’on tra­vail­lait essen­tielle­ment les masques. C’était pen­dant Sihanouk1, en 1986. Et je me sou­viens que tu don­nais à cette époque la pré­pa­ra­tion cor­porelle avant les spec­ta­cles. C’est durant ce stage que j’ai porté pour la pre­mière fois des masques bali­nais. Je n’en avais jamais vu avant, alors que les demi-masques de la com­me­dia dell’arte je les con­nais­sais un peu, car j’avais étudié trois années à l’École Marceau. Ensuite, dans tous les spec­ta­cles, les masques ont été présents. Pas for­cé­ment dans le spec­ta­cle lui-même, mais pen­dant les répéti­tions où ils étaient tou­jours der­rière les rideaux. Même quand on a mon­té Le Tartuffe2, les masques étaient là, rangés dans un casi­er et ils accom­pa­g­naient notre tra­vail de leur présence. Ils étaient nos guides, des « ouvreurs » de théâtre… Plus tard, on s’est éloignés un peu de cette util­i­sa­tion des masques, mais il nous arrive par­fois de les ressor­tir, quand Ari­ane ressent le besoin de renouer avec une théâ­tral­ité plus affir­mée et désire tra­vailler plus à fond les signes de la trans­po­si­tion du jeu, ce qu’elle nomme les « lois fon­da­men­tales du théâtre ».

Pour­rais-tu pré­cis­er la place occupée par le masque dans les proces­sus de créa­tion du Théâtre du Soleil ?

Ces proces­sus dif­fèrent selon les spec­ta­cles. Dans Les Éphémères3, par exem­ple, les masques étaient totale­ment absents. Et pour­tant, je dirais que même dans ce spec­ta­cle, le masque, en tant qu’esthétique de jeu et recherche de théâ­tral­ité, était présent. Le jeu masqué est tou­jours au cen­tre de notre approche du théâtre parce que le masque oblige l’acteur à une trans­for­ma­tion cor­porelle et faciale, qui passe le plus sou­vent par le maquil­lage. Quand on se maquille au Soleil, c’est pour devenir quelqu’un d’autre, et ce maquil­lage est une con­ti­nu­ité du tra­vail du masque. Donc, même dans un spec­ta­cle qui apparem­ment est très éloigné du jeu masqué, comme Les Éphémères – où l’on par­lait de ce qui nous était proche, de nos his­toires, de nos familles, de nos voisins – on avait tou­jours avec nous cet out­il essen­tiel qu’est le masque, pour nous aider à abor­der le per­son­nage comme quelqu’un d’autre que soi. Dans d’autres spec­ta­cles, comme Tam­bours sur la digue4, le masque est le cœur même de notre recherche. 

Et cepen­dant il n’y avait pas de masque à pro­pre­ment par­ler, si ce n’est un masque-maquil­lage…

Nous util­i­sions des bas que nous avions maquil­lés et que nous appliquions sur notre vis­age en les trans­for­mant par l’accentuation de cer­tains vol­umes, notam­ment les joues. Nous ren­dions notre vis­age vrai­ment con­forme à un masque, avec des par­ties rigides et d’autres mobiles, en par­ti­c­uli­er bien sûr les yeux. Et ce masque sou­ple s’alliait à un tra­vail de « mar­i­on­net­ti­sa­tion » du corps pour créer un « masque total », qui rejoint la mar­i­on­nette. La mar­i­on­nette, dans Tam­bours, était notre pro­pre corps, cet out­il pre­mier de la trans­po­si­tion de l’acteur. Dans ce spec­ta­cle, j’ai été, comme l’on dit au Soleil, une « loco­mo­tive », en ouvrant le chemin vers la plas­tic­ité des corps dans l’espace. Car la mar­i­on­nette ce n’est pas qu’un objet, c’est toute une esthé­tique. Comme le masque, elle impose ses lois, une théâ­tral­ité. Les principes gestuels que j’ai appris auprès de Marceau – qui fut un Maître pour moi – m’ont beau­coup servi dans ce spec­ta­cle, comme pren­dre une impul­sion en arrière pour aller de l’avant, ou descen­dre avant de s’élever. Ces lois du mime sont celles du mou­ve­ment, et on les retrou­ve partout, en par­ti­c­uli­er dans le théâtre asi­a­tique. Elles m’ont aidé pour arriv­er à trou­ver un corps en ape­san­teur, ce qui est le pro­pre de la mar­i­on­nette, un corps arti­fi­ciel qui devait sub­limer les con­traintes de la grav­ité. 

Qu’entends-tu par l’expression « mar­i­on­net­tis­er » son corps ?

À un moment, après trois ou qua­tre mois, Ari­ane a voulu qu’on fasse une pause dans notre tra­vail car on n’arrivait plus à avancer. Jusque-là, on se référait à la mar­i­on­nette, mais de loin, alors je me suis dit : « et si j’essayais vrai­ment d’être une mar­i­on­nette ? ». Je me suis mis autour du bras un bam­bou qui pou­vait être manip­ulé, autour de la taille un har­nais que l’on pou­vait tenir et un haka­ma5 qui cachait mes pieds… je voulais essay­er d’être vrai­ment une mar­i­on­nette, de ne rien faire et d’accepter que mes cama­rades me manip­u­lent. Bien évidem­ment, quand je voulais me déplac­er, j’indiquais par un signe où je voulais aller, par exem­ple en bais­sant mon point d’appui pour pren­dre un élan que les manip­u­la­teurs trans­for­maient en un saut. Cela a été une révéla­tion. Un moment de grâce. Ari­ane a tout de suite ressen­ti que c’était par là qu’était la voie du spec­ta­cle, et qu’on avait enfin trou­vé.

Dans ce tra­vail, tu as dû quit­ter ton corps quo­ti­di­en pour accéder à une forme de jeu non réal­iste, ce qui est égale­ment le pro­pre du jeu masqué…

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Théâtre
Duccio Bellugi Vannuccini
4
Partager
Guy Freixe
Metteur en scène, comédien et professeur en Histoire et esthétique des Arts de la scène...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements