L’Éveil du printemps : Ce qui brûle sous terre

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Théâtre

L’Éveil du printemps : Ce qui brûle sous terre

Le 2 Mai 2018
Judith Williquet (Wendla) dans L'Éveil du Printemps, mise en scène Armel Roussel. Photo Hubert Amiel.
Judith Williquet (Wendla) dans L'Éveil du Printemps, mise en scène Armel Roussel. Photo Hubert Amiel.

Aus­si vis­cérale­ment con­cu­pis­cents que sages philosophes, ses per­son­nages d’ados en éveil s’accouplent sur la terre mouil­lée comme ils s’élèvent dans les hautes sphères de la morale. Le met­teur en scène, dans un spec­ta­cle fes­tif et expan­sif, ose flirter avec les extrêmes, entre un jeu pul­sion­nel très physique, par­fois car­i­cat­ur­al, et un lyrisme élé­gant, aux nobles aspi­ra­tions. Il y a de l’outrance à souhait. Et pour­tant, le dosage est har­monieux.

Retour à la terre

Pre­mière réus­site de ce spec­ta­cle : la scéno­gra­phie épurée représen­tant une grande place rurale en terre. Un vaste ter­reau con­tre lequel les ado­les­cents, nus ou habil­lés, se lovent et se roulent, faisant corps avec lui dans un élan vis­céral. Cette prox­im­ité avec la nature brute et avec ce ter­roir ances­tral s’accorde à leur quête de la pul­sion sex­uelle orig­inelle, sym­bol­isant l’accès au souter­rain, à l’inavouable et à la chaleur brûlante des sous-sols. Une terre sur laque­lle les adultes marchent en évi­tant de salir leurs chaus­sures, pen­dant que les ado­les­cents osent y enfon­cer leurs corps inex­péri­men­tés, en quête de l’ivresse des pre­mières fois.

Ils y décou­vrent les désirs enfouis et touchent à ce qui brûle sous les couch­es de civil­i­sa­tion, se dérobant au con­ser­vatisme et au puri­tanisme de leur com­mu­nauté, fuyant ce monde lus­tré dans lequel on ne par­le pas de sexe aux enfants et où les bébés arrivent par la vis­ite de la cigogne.

Cette grande place de terre, de plus en plus visqueuse après la pluie et le foutre, est à la fois un espace privé et pub­lic. Lieu de sexe bru­tal et mal­adroit entre Mel­chior (Julien Frégé) et Wend­la (Judith Willi­quet), de bais­ers secrets entre Ernst (Lode Thiery) et Hans (Romain Cin­ter), elle est aus­si un espace de men­songes et d’hypocrisies, ceux de la mère de Wend­la (Flo­rence Min­der), ou des pro­fesseurs de Moritz (Nico­las Luçon). C’est le lieu du racisme ambiant, du puri­tanisme galopant et du procès inces­sant de la jeunesse, autant que le lieu d’un accès pur et organique aux plaisirs de la chair. Armel Rous­sel, doué pour ce mul­ti­per­spec­tivisme et pour une féconde cohab­i­ta­tion des extrêmes, réus­sit à déploy­er aus­si intel­ligem­ment la ques­tion de l’éveil sex­uel que la cri­tique sociale.

Avec sa dis­tri­b­u­tion de 12 acteurs, le met­teur en scène affirme sa volon­té de racon­ter toutes les sous-intrigues : une manière de faire exis­ter pleine­ment le col­lec­tif et de faire ressen­tir puis­sam­ment la pres­sion sociale vécue par cette jeunesse en fleur. L’hypocrisie des adultes, dans un con­texte où l’on peut observ­er leur influ­ence sur un gros groupe de jeunes, n’en est que plus appar­ente.

De l’outrance à souhait
Proche du grotesque, le jeu des acteurs est volon­taire­ment débor­dant et exces­sif. Ce choix, très assumé, aurait pu faire som­br­er le spec­ta­cle dans un inces­sant caboti­nage et dans un défer­lement dénué de nuances. Il n’en est pour­tant rien. L’agitation men­tale et éro­tique des ado­les­cents est sub­limée par un jeu démon­stratif et une nudité intem­pes­tive qui n’empêchent en rien le sur­gisse­ment de la pen­sée et l’apparition de quelques zones de gris.

L’Éveil du Print­emps, mise en scène Armel Rous­sel. Copy­right Hubert Amiel.

Peu à peu, ces ados fiévreux domptent leurs pul­sions et se mon­trent enclins, tel que le veut Wedekind, à la philoso­phie, à la morale et à la lit­téra­ture, dans un reg­istre de jeu plus posé et avec l’assurance du sage.

La musique live, par le duo brux­el­lois Juicy, con­tribue aus­si à faire de cet Éveil du print­emps un spec­ta­cle non seule­ment fes­tif, mais par­cou­ru de bout en bout par le lyrisme de l’adolescence. Une cham­bre d’échos pour la décou­verte de soi, pour les émo­tions débor­dantes et le trop-plein pul­sion­nel.

Mas­culin-féminin

Dans un monde post #metoo, cette pièce racon­te aus­si une société dans laque­lle l’homme et la femme ont été éduqués à entretenir des rôles d’agressivité et de pas­siv­ité, mais que ces pré­sup­posés, plus fer­me­ment adop­tés par cer­tains (comme le rebelle Mel­chior), ne sont pas du tout naturels chez les autres (le timide Moritz, par exem­ple).

Rous­sel s’amuse à jouer sur les clichés de la féminité et de la mas­culin­ité, notam­ment dans une hila­rante scène où des mâles aux épaules bom­bées affichent une mas­culin­ité car­i­cat­u­rale mais se mon­trent finale­ment bien ris­i­bles. La pièce arrive à la fois à expos­er cette mas­culin­ité tox­ique dans une cer­taine vérité, la ren­dant touchante, puis à la décon­stru­ire en y pointant ce qu’elle a de pathé­tique.

Même si le con­texte est tou­jours celui de 1891 et que Rous­sel a choisi de ne pas actu­alis­er exagéré­ment le texte, lais­sant le spec­ta­teur faire lui-même les par­al­lèles avec notre époque, il a inven­té un envi­ron­nement scénique très actuel. La musique live, les rup­tures de ton, la lib­erté struc­turelle, indiquent bien la volon­té du met­teur en scène d’ancrer le spec­ta­cle dans l’ici-maintenant. Une réus­site.

L'Éveil du printemps
Frank Wedekind / Armel Roussel - [e]utopia[4]

Metteur en scène & scénographe: Armel Roussel
D’après L’Éveil du printemps. Une tragédie enfantine de Frank Wedekind
Assistant à la mise en scène: Julien Jaillot
Création costume: Coline Wauters
Créateur son: Pierre Alexandre Lampert
Créateur lumière: Amélie Géhin
Direction technique, régie générale: Rémy Brans
Administratrice de production: Gabrielle Dailly
Chargé de diffusion: Tristan Barani
 
Avec:
Nadège Cathelineau, Romain Cinter, Thomas Dubot, Julien Frege, Amandine Laval, Nicolas Luçon, Florence Minder, Julie Rens, Sophie Sénécaut, Lode Thiery, Sacha Vovk, Judith Williquet, Uiko Watanabe.

Au Théâtre National (Bruxelles) jusqu'au 5 mai.
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Armel Roussel
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