27 août 2020, pas de festival international des Brigittines pour pallier l’absence de spectacles vivants dans la capitale belge durant cet été. Mais à Molenbeek-Saint-Jean, dans la cour de l’ancienne Raffinerie Graeffe (dont l’une des ailes est occupée par l’antenne bruxelloise de Charleroi danse), des enfants finissent de peindre des installations en bois et des techniciens tentent des glissades sur un toboggan artisanal. Dans quelques heures, Decoratelier1, le lieu-projet de Jozef Wouters et de Menno Vandevelde, accueillera une fête des enfants préparée par l’artiste Ezra Fieremans. Au programme : peinture, piano, danse, toboggan, crêpes et jus. Intitulée « Something when it doesn’t rain », la programmation estivale de Decoratelier fut élaborée dans le contexte du confinement qui a mis en exergue le manque significatif d’espaces publics ainsi que les situations d’injustice spatiale vécues par les Bruxellois. Une problématique à laquelle la structure tente de répondre avec les moyens qui sont les siens, un espace et des outils, un espace qui devient outil : « Durant le confinement, nous avons transformé notre cour intérieure en un parc semi-public avec un théâtre, un cinéma, une salle gym et un café, tous en plein air. Un outil qui peut être utilisé par des organisations qui n’ont pas d’infrastructures leur permettant d’organiser des événements en cette période. Avec ce programme, nous souhaitons mettre à l’honneur le réseau des petites structures à Bruxelles qui ont prouvé leur versatilité et leur efficacité durant ces derniers mois étranges.2 » Cette attention portée au quartier et aux modes de relations qu’un lieu et/ou une installation artistique développe vis-à-vis des habitants et plus largement de la ville est une préoccupation constante des créateurs de Decoratelier. Déjà activement posée au sein du précédent lieu situé à quelques centaines de mètres de la nouvelle adresse3, la question de l’accessibilité et de l’appropriation spatiale se trouve mise en exergue par la nouvelle implantation, en mai 2020, rue Manchester, entre le centre d’art Recyclart4 et la Raffinerie Charleroi danse. De fait, par la proximité avec ces infrastructures artistiques, l’initiative se trouve directement confrontée au défi de résister à la production d’un « cluster culturel » au sein d’un quartier industriel et populaire. Défi auquel la programmation de ce festival estival a tenté, par le partage des ressources, d’apporter des premières tentatives de réponses.
De l’autre côté du canal, les portes du Lac5 demeurent fermées au public depuis la mi-mars, frappé par le confinement comme l’ensemble des structures culturelles belges. Le lieu n’était pas vide pour autant, abritant cinq résidents privés de leur tâche de promotion du lieu. Pensée comme « une expérience anthropologique qui cherche à fabriquer un nouveau paradigme socioprofessionnel6 », l’infrastructure fonctionne depuis le 31 décembre 2017 comme abri en même temps qu’outil de travail, les résidents troquant des heures d’organisation d’événements (concerts, expositions, fêtes) et d’entretien de l’espace contre un logement. Ou plus précisément, comme l’explique son fondateur Louis Neuville, les revenus générés par les activités organisées dans l’espace (deux activités par semaine, trois semaines par mois) servent à payer les loyers des locataires, selon un mode de fonctionnement alternatif au marché du travail et au secteur immobilier. Sur la terrasse de cet ancien bâtiment industriel avoisinant le Petit Château7, ils cultivent un potager en permaculture. L’idée est d’étendre ce mode de fonctionnement à l’ensemble de la structure de façon à en faire un écosystème en développant, selon l’expression de Louis Neuville, des « carrefours d’optimisation » permettant de maximaliser chaque action entreprise, en conformité avec le cadre dans lequel elle se développe : « C’est une manière d’être pragmatique. Ce sont les principes de résilience appliqués au monde de la culture et adaptés au réel. » Ici donc, vie, création, culture et entretien s’entremêlent et rythment le quotidien de ces résidents qui ont choisi d’identifier leur existence, pour une durée variable, à celle du lieu.