« Le théâtre brésilien est une femme brésilienne »

Entretien
Théâtre

« Le théâtre brésilien est une femme brésilienne »

Le 15 Juil 2021
Cris Campos, Gisele Vasconcelos et Renata Figueiredo dans A Carroça é nossa, Grupo Xama Teatro, SESC Palco Giratório (Currais Novos, Rio Grande do Norte), 2016. Photo : Daniel Torres.
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Cris Campos, Gisele Vasconcelos et Renata Figueiredo dans A Carroça é nossa, Grupo Xama Teatro, SESC Palco Giratório (Currais Novos, Rio Grande do Norte), 2016. Photo : Daniel Torres.
Cris Campos, Gisele Vasconcelos et Renata Figueiredo dans A Carroça é nossa, Grupo Xama Teatro, SESC Palco Giratório (Currais Novos, Rio Grande do Norte), 2016. Photo : Daniel Torres.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 - Scènes du Brésil
143

Ces qua­tre brefs « por­traits » d’autrices-actrices brésili­ennes ont été con­sti­tués à par­tir d’extraits d’un dia­logue qui fig­ure par­mi les exten­sions numériques de ce numéro : « Autri­ces en scène. Entre­tien avec Gise­le Vas­con­ce­los, Grace Passô, Janaina Leite et Leonar­da Glück ». Dans ces échanges, elles revi­en­nent sur leurs tra­jec­toires mar­quées par des expéri­ences de théâtre de groupe, mais aus­si sur leurs places et leurs pra­tiques d’autrices et la manière dont elles envis­agent leur auto­ria – mot por­tu­gais, qu’on ne peut traduire en français, désig­nant à la fois le statut et le geste de quelqu’un qui accom­plit un acte, ici de l’ordre de la com­po­si­tion artis­tique. Elles témoignent sur de ce que c’est que d’être artiste de théâtre aujourd’hui au Brésil, et réfléchissent sur la place des sub­jec­tiv­ités minorisées dans leurs travaux.

Gise­le Vas­con­ce­los est comé­di­enne et dra­maturge au sein du Grupo Xama Teatro, un col­lec­tif créé et dirigé par des femmes. Elle est aus­si maîtresse de con­férences à l’Université du Maranh o, au Nordeste du Brésil.

Maran­hão est un foy­er impor­tant de man­i­fes­ta­tions cul­turelles orales cen­te­naires, comme le bum­ba meu boi et le tam­bor de crioula. Ma pra­tique théâ­trale est liée à la cul­ture pop­u­laire, j’étais danseuse et capoeirista, et c’est par ce biais-là que je suis arrivée au théâtre, il y a plus de 25 ans, en suiv­ant un chemin, entre uni­ver­sité et théâtre de groupe, liant ma for­ma­tion académique et ma pra­tique artis­tique.
Dans mon groupe, nous tra­vail­lons autour de la fig­ure de l’actrice-conteuse – qui a aus­si été le sujet de ma thèse de doc­tor­at. L’actrice-conteuse mêle his­toires per­son­nelles et fic­tives, passé-présent-futur, elle mélange la parole, le chant et le con­te.
La com­pag­nie a un réper­toire de spec­ta­cles qui sont créés, recréés, réécrits même après la pre­mière. C’est une auto­ria en con­tinu, une auto­ria con­juguée à tous les niveaux. Car, quand on réflé­chit à une idée de créa­tion, on ne pense pas unique­ment au spec­ta­cle, mais à com­ment on va faire pour tourn­er toute une vie durant avec ce spec­ta­cle. Donc l’auto­ria inclut la ques­tion du déplace­ment du spec­ta­cle, la manière dont on peut le faire entr­er dans une valise, une camion­nette, un avion, elle com­prend le son et l’éclairage et tous les fils et câbles qui vont avec.
Nous avons un très beau pro­jet qui s’appelle Rota, qui con­siste à créer des voies d’accès au théâtre là où il est absent. Dans notre ville, São Luis (qui est la cap­i­tale du Maran­hão), nous n’avons que trois théâtres. Nous ne pou­vons pas dépen­dre de ces théâtres pour présen­ter nos pièces !
En ce moment, je crée un solo : A Vagabun­da (La Vagabonde), qui abor­de des ques­tions sur le genre, et qui s’inspire du roman de Colette.
Je suis portée par une grande inquié­tude, au sujet de la lutte de plus d’un siè­cle de la femme artiste, de tout ce qu’on souf­fre actuelle­ment, de tous les coups qui cherchent à nous faire reculer dans nos pra­tiques.

Gisele Vasconcelos dans As Três Fiandeiras, Grupo Xama Teatro,
São José de Ribamar, 2016.
Photo : Luciano Linhares.
Gise­le Vas­con­ce­los dans As Três Fian­deiras, Grupo Xama Teatro, São José de Riba­mar, 2016. Pho­to : Luciano Lin­hares.

Au Brésil, on appelle « région­al » tout ce qui n’est pas dans l’axe Rio-São Paulo, comme le Nordeste. On peut vite tomber dans l’erreur de décrire le théâtre brésilien en faisant unique­ment référence aux com­pag­nies recon­nues qui se trou­vent depuis longtemps sur cet axe. Ce sont les par­tic­u­lar­ités de chaque endroit qui con­stituent « les Brésil ». Ce que je crée ici, ce n’est pas ce que je vais créer ailleurs, parce que ce que je vais créer ici sera fait avec les gens d’ici, même si ces gens ne vien­nent pas d’ici : la créa­tion c’est tou­jours dans l’ ici, sur une terre par­ti­c­ulière, un sol pré­cis. Le théâtre c’est tout un tas de choses ! Le teatro de boi, les per­for­mances, les inter­ven­tions, les con­ga­dos et les reisa­dos… Il y a telle­ment de théâtres que ça ne ren­tre pas dans le mot théâtre. Comme dit le gri­ot Sotigui Kouy­até : « En Afrique, il n’y a pas de théâtre, il y a nyo­golon, qui veut dire “nous con­naître”. » C’est cet espace où les per­son­nes se ren­con­trent, un lieu d’échanges pour éclair­er nos regards. Alors, si le mot théâtre est dif­fi­cile à définir, vouloir définir le théâtre brésilien avec toute sa diver­sité… c’est un véri­ta­ble abîme…

Grace Passô est comé­di­enne, met­teuse en scène et dra­maturge. Ses pièces ont été pub­liées au Brésil, cer­taines (Por Elise, Amores Sur­dos, Mata teu pai) ont été traduites en français, d’autres (Vaga Carne) sont en cours de tra­duc­tion.

Je suis née en 1980. Je viens de Belo Hor­i­zonte, une ville recon­nue comme une véri­ta­ble pépinière de groupes de théâtre. Après une for­ma­tion de comé­di­enne dans une école de théâtre, je me suis attachée aux pro­jets de groupe en m’intéressant aus­si à la mise en scène et à la fab­rique dra­maturgique. Je n’ai jamais suivi de for­ma­tion uni­ver­si­taire en arts du spec­ta­cle. Ma rela­tion avec le théâtre est de l’ordre d’un tra­vail arti­sanal d’autrice, auto­di­dacte en quelque sorte.
Au Brésil et dans une grande par­tie du monde, il y a un imag­i­naire théâ­tral très pous­siéreux, lié aux grands édi­fices réservés à un groupe restreint, une idée très éli­tiste de l’art. Pour moi et pour un tas de gens, c’est insup­port­able. Il y a aus­si une cer­taine péd­a­gogie théâ­trale dans laque­lle les idées de jeu et de dra­maturgie passent par le culte exac­er­bé de tout ce qui ne nous sig­ni­fie pas. J’ai appris à faire du théâtre avec des références qui étaient très éloignées de moi. Je me sou­viens par exem­ple que dans le cours que j’ai suivi, on avait des cos­tumes pour faire des impro­vi­sa­tions, mais je ne ren­trais pas dedans. Tout était très loin de ce qui pou­vait me touch­er de manière intime.

Mon désir d’autrice est lié à la créa­tion d’œuvres dont l’univers sym­bol­ique se réfère directe­ment au quo­ti­di­en de ma « brésil­ian­ité », au quo­ti­di­en des groupes soci­aux dans lesquels j’ai gran­di. C’est un désir très sim­ple et réel de faire en sorte que ma vie et celles des per­son­nes des groupes soci­aux aux­quels j’appartiens, puis­sent avoir leur part dans le lex­ique et la gram­maire du théâtre que je fais. C’est aus­si sim­ple que ça. Tout ça pour dire que le désir d’être autrice part surtout du désir d’exister, de la néces­sité et de l’urgence de créer d’autres espaces d’existence.
Me penser en tant qu’artiste de cette chose si grande et diverse qu’est la scène brésili­enne, c’est un mélange de frus­tra­tion et de lib­erté.
Avoir le théâtre comme mode d’existence est un exer­ci­ce lié à une tech­nolo­gie du bon­heur, je suis spir­ituelle­ment recon­nais­sante d’avoir été tra­ver­sée dans ma vie par des expéri­ences et par des per­son­nes qui gravi­tent dans l’univers théâ­tral. C’est aus­si un exer­ci­ce lié à mon his­toire, et à celle qui me précède. Le plus impor­tant lorsqu’on fait du théâtre au Brésil, c’est d’être asso­ciée à des com­mu­nautés théâ­trales.
Qu’est-ce qu’un groupe de théâtre noir, par exem­ple ?

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Maria Clara Ferrer
Maria Clara Ferrer est metteure en scène, dramaturge, traductrice et enseignante-chercheuse au sein du Département...Plus d'info
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