Ces quatre brefs « portraits » d’autrices-actrices brésiliennes ont été constitués à partir d’extraits d’un dialogue qui figure parmi les extensions numériques de ce numéro : « Autrices en scène. Entretien avec Gisele Vasconcelos, Grace Passô, Janaina Leite et Leonarda Glück ». Dans ces échanges, elles reviennent sur leurs trajectoires marquées par des expériences de théâtre de groupe, mais aussi sur leurs places et leurs pratiques d’autrices et la manière dont elles envisagent leur autoria – mot portugais, qu’on ne peut traduire en français, désignant à la fois le statut et le geste de quelqu’un qui accomplit un acte, ici de l’ordre de la composition artistique. Elles témoignent sur de ce que c’est que d’être artiste de théâtre aujourd’hui au Brésil, et réfléchissent sur la place des subjectivités minorisées dans leurs travaux.
Gisele Vasconcelos est comédienne et dramaturge au sein du Grupo Xama Teatro, un collectif créé et dirigé par des femmes. Elle est aussi maîtresse de conférences à l’Université du Maranh o, au Nordeste du Brésil.
Maranhão est un foyer important de manifestations culturelles orales centenaires, comme le bumba meu boi et le tambor de crioula. Ma pratique théâtrale est liée à la culture populaire, j’étais danseuse et capoeirista, et c’est par ce biais-là que je suis arrivée au théâtre, il y a plus de 25 ans, en suivant un chemin, entre université et théâtre de groupe, liant ma formation académique et ma pratique artistique.
Dans mon groupe, nous travaillons autour de la figure de l’actrice-conteuse – qui a aussi été le sujet de ma thèse de doctorat. L’actrice-conteuse mêle histoires personnelles et fictives, passé-présent-futur, elle mélange la parole, le chant et le conte.
La compagnie a un répertoire de spectacles qui sont créés, recréés, réécrits même après la première. C’est une autoria en continu, une autoria conjuguée à tous les niveaux. Car, quand on réfléchit à une idée de création, on ne pense pas uniquement au spectacle, mais à comment on va faire pour tourner toute une vie durant avec ce spectacle. Donc l’autoria inclut la question du déplacement du spectacle, la manière dont on peut le faire entrer dans une valise, une camionnette, un avion, elle comprend le son et l’éclairage et tous les fils et câbles qui vont avec.
Nous avons un très beau projet qui s’appelle Rota, qui consiste à créer des voies d’accès au théâtre là où il est absent. Dans notre ville, São Luis (qui est la capitale du Maranhão), nous n’avons que trois théâtres. Nous ne pouvons pas dépendre de ces théâtres pour présenter nos pièces !
En ce moment, je crée un solo : A Vagabunda (La Vagabonde), qui aborde des questions sur le genre, et qui s’inspire du roman de Colette.
Je suis portée par une grande inquiétude, au sujet de la lutte de plus d’un siècle de la femme artiste, de tout ce qu’on souffre actuellement, de tous les coups qui cherchent à nous faire reculer dans nos pratiques.
Au Brésil, on appelle « régional » tout ce qui n’est pas dans l’axe Rio-São Paulo, comme le Nordeste. On peut vite tomber dans l’erreur de décrire le théâtre brésilien en faisant uniquement référence aux compagnies reconnues qui se trouvent depuis longtemps sur cet axe. Ce sont les particularités de chaque endroit qui constituent « les Brésil ». Ce que je crée ici, ce n’est pas ce que je vais créer ailleurs, parce que ce que je vais créer ici sera fait avec les gens d’ici, même si ces gens ne viennent pas d’ici : la création c’est toujours dans l’ ici, sur une terre particulière, un sol précis. Le théâtre c’est tout un tas de choses ! Le teatro de boi, les performances, les interventions, les congados et les reisados… Il y a tellement de théâtres que ça ne rentre pas dans le mot théâtre. Comme dit le griot Sotigui Kouyaté : « En Afrique, il n’y a pas de théâtre, il y a nyogolon, qui veut dire “nous connaître”. » C’est cet espace où les personnes se rencontrent, un lieu d’échanges pour éclairer nos regards. Alors, si le mot théâtre est difficile à définir, vouloir définir le théâtre brésilien avec toute sa diversité… c’est un véritable abîme…
Grace Passô est comédienne, metteuse en scène et dramaturge. Ses pièces ont été publiées au Brésil, certaines (Por Elise, Amores Surdos, Mata teu pai) ont été traduites en français, d’autres (Vaga Carne) sont en cours de traduction.
Je suis née en 1980. Je viens de Belo Horizonte, une ville reconnue comme une véritable pépinière de groupes de théâtre. Après une formation de comédienne dans une école de théâtre, je me suis attachée aux projets de groupe en m’intéressant aussi à la mise en scène et à la fabrique dramaturgique. Je n’ai jamais suivi de formation universitaire en arts du spectacle. Ma relation avec le théâtre est de l’ordre d’un travail artisanal d’autrice, autodidacte en quelque sorte.
Au Brésil et dans une grande partie du monde, il y a un imaginaire théâtral très poussiéreux, lié aux grands édifices réservés à un groupe restreint, une idée très élitiste de l’art. Pour moi et pour un tas de gens, c’est insupportable. Il y a aussi une certaine pédagogie théâtrale dans laquelle les idées de jeu et de dramaturgie passent par le culte exacerbé de tout ce qui ne nous signifie pas. J’ai appris à faire du théâtre avec des références qui étaient très éloignées de moi. Je me souviens par exemple que dans le cours que j’ai suivi, on avait des costumes pour faire des improvisations, mais je ne rentrais pas dedans. Tout était très loin de ce qui pouvait me toucher de manière intime.
Mon désir d’autrice est lié à la création d’œuvres dont l’univers symbolique se réfère directement au quotidien de ma « brésilianité », au quotidien des groupes sociaux dans lesquels j’ai grandi. C’est un désir très simple et réel de faire en sorte que ma vie et celles des personnes des groupes sociaux auxquels j’appartiens, puissent avoir leur part dans le lexique et la grammaire du théâtre que je fais. C’est aussi simple que ça. Tout ça pour dire que le désir d’être autrice part surtout du désir d’exister, de la nécessité et de l’urgence de créer d’autres espaces d’existence.
Me penser en tant qu’artiste de cette chose si grande et diverse qu’est la scène brésilienne, c’est un mélange de frustration et de liberté.
Avoir le théâtre comme mode d’existence est un exercice lié à une technologie du bonheur, je suis spirituellement reconnaissante d’avoir été traversée dans ma vie par des expériences et par des personnes qui gravitent dans l’univers théâtral. C’est aussi un exercice lié à mon histoire, et à celle qui me précède. Le plus important lorsqu’on fait du théâtre au Brésil, c’est d’être associée à des communautés théâtrales.
Qu’est-ce qu’un groupe de théâtre noir, par exemple ?