2011 : Romeo Castellucci crée Parsifal à Bruxelles, sa première mise en scène d’opéra. La même année, Lars von Trier présente Melancholia à Cannes. Le spectacle et le film rencontrent un accueil passionné, mais, étonnamment, la réponse singulière et puissante à la crise environnementale qui les constitue l’un et l’autre passe quasiment inaperçue. Le temps clarifie les œuvres visionnaires : dix ans plus tard, il nous est devenu presque incompréhensible que la parabole de Lars von Trier – une humanité confrontée à sa fin annoncée – n’ait pas été immédiatement lue en regard du réchauffement global. La reprise prévue, mais annulée, du spectacle nous aurait permis de savoir s’il aurait, lui aussi, résonné différemment en 2021. La captation qui nous en reste permet d’explorer cette hypothèse.
« Ce Parsifal commence dans la forêt montagneuse et s’achève en ville », écrit Castellucci dans le programme. Le premier acte s’ouvre en effet sur un décor spectaculaire que son concepteur a voulu hyperréaliste : une forêt splendide, qui envahit toute la cage de scène de la Monnaie ; et le troisième acte, au plus loin de la prairie fleurie imaginée par Wagner pour « l’enchantement du Vendredi saint », se déroule sur un plateau nu, jonché de détritus et de déchets en plastique. Parsifal vient s’y fondre dans une foule anonyme, qui avance sur place : trois cents figurants (parmi lesquels les choristes) sur un tapis de marche, à l’avant-scène, face à nous. Dans les dernières secondes, descend en fond de scène l’image immense d’une ville renversée.
D’une nature sublime à l’aridité d’un monde urbain déchu : quel est donc ce trajet, purement inventé par le metteur en scène pour un opéra dont le livret, à l’inverse, ramène le héros à son point de départ ? À cette question Castellucci, comme toujours, répond par une note d’intention moins faite pour éclairer que pour alimenter l’énigme :
La ville est depuis toujours la scène tragique de l’expérience humaine. Elle représente à la fois la communauté au niveau le plus élevé et la laideur de la vie commune qui atteint l’homme au cœur même de la foule, quand il se rend compte qu’il ne peut communiquer vraiment : il s’agit d’une solitude plus dense et plus profonde qui vous envahit au cœur d’une société à laquelle vous appartenez, mais dont vous vous sentez intimement et définitivement séparé. Le regard tragique sur la laideur de la ville peut transformer l’horreur en épiphanie d’une beauté toute nouvelle. Le tragique se nourrit depuis toujours de la laideur de la vie.
Si un tel propos ne se décortique pas dramaturgiquement, ses paradoxes, ses oxymores, ses obscurités sont autant de sésames pour revenir au concret de la scène, à ce qu’y sont théâtralement la ville et la forêt. Loin de s’opposer dans un rousseauisme primaire, ces expériences se donnent ici comme le recto et le verso d’un même rapport au monde – celui d’une humanité en appel de sens, confrontée à l’énigme de sa propre présence.