Le théâtre en Iran : un passé persan et une présence permanente

Théâtre
Réflexion

Le théâtre en Iran : un passé persan et une présence permanente

Le 25 Juin 2017

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
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Quand on évoque l’histoire de l’Iran, on se retrou­ve de prime abord face à l’Empire perse et à son passé glo­rieux. Il est donc très dif­fi­cile d’accepter que son passé théâ­tral, tel qu’on le con­naît aujourd’hui, reste assez pau­vre par rap­port à son rival de l’Empire grec.
Il est même inimag­in­able que les Pers­es n’aient pas pos­sédé de céré­monies, de pra­tiques et de textes théâ­traux alors que le théâtre grec fait tou­jours par­tie de l’actualité scénique. La rai­son de ce manque de doc­u­ments reste à prou­ver : on peut imag­in­er la destruc­tion totale des œuvres dra­ma­tiques dans l’incendie de Per­sépo­lis par Alexan­dre le Grand en 330 av. J.-C., ou bien con­stater que les Per­sans étaient plutôt intéressés par la cul­ture orale puisque l’on ne trou­ve pas non plus de textes théâ­traux per­sans d’une date ultérieure.

Cepen­dant le goût du peu­ple et des rois de Perse pour l’architecture, la sculp­ture, la bijouterie, etc. nous pousse vers l’hypothèse de l’existence des arts dra­ma­tiques aus­si impor­tants que d’autres domaines artis­tiques ; mais l’ambiguïté his­torique et l’absence de faits doc­u­men­tés con­duisent les chercheurs à pro­pos­er dif­férentes opin­ions con­cer­nant l’existence d’une tra­di­tion théâ­trale authen­tique en Perse. Bahram Beiza’i dans son ouvrage Le théâtre en Iran1, comme Majid Rez­vani dans Le théâtre et la danse en Iran2 s’appuient sur des textes grecs ren­forçant l’idée de l’existence de pra­tiques théâ­trales en Perse. Ain­si, Ctésias et Hérodote ont écrit à pro­pos d’une céré­monie organ­isée par des Achéménides (de ‑550 à ‑30) : pen­dant une journée chaque année, hom­mage était ren­du à l’assassin de Gau­ma­ta, le mage trompeur qui se fai­sait pass­er pour Bardiyâle, véri­ta­ble héri­ti­er du trône. Cet événe­ment nom­mé Mag­a­pho­nia était con­sid­éré comme une céré­monie théâ­trale. Selon M. Rez­vani, « les échanges entre Iraniens et Grecs ne se lim­itèrent pas au seul traf­ic commercial3. » Il ajoute que la lit­téra­ture et le théâtre grecs puisent sou­vent leur inspi­ra­tion dans l’histoire de l’Iran comme Les Pers­es d’Eschyle. Beiza’i explique que, d’après Plu­tar­que, pen­dant l’attaque d’Alexandre et sa vic­toire, quelques acteurs, qui l’accompagnaient en Perse pour fêter cette con­quête, ont présen­té des pièces dans les théâtres déjà exis­tant en Perse. Par ailleurs, il ne faut pas non plus oubli­er l’aspect céré­mo­ni­al des événe­ments illus­trés par les bas-reliefs de Per­sépo­lis ou même les motifs décrivant des rassem­ble­ments rit­uels sur des poter­ies datées des siè­cles précé­dant les Achéménides.

Quoi qu’il en soit, il sem­ble évi­dent que chaque peu­ple dans le monde entier pos­sé­dait des cou­tumes avec des car­ac­téris­tiques rit­uelles et théâ­trales, proches de la per­for­mance dont on par­le aujourd’hui. Quant à l’Iran, il y existe aujourd’hui des formes tra­di­tion­nelles théâ­trales puisant leurs racines dans la mytholo­gie zoroas­tri­enne, la reli­gion de la Perse jusqu’au VIIe siè­cle – avant l’invasion du pays par les arabes. À tra­vers l’Histoire, ses formes se sont enrichies. La nou­velle reli­gion du pays, l’Islam, et la cul­ture arabe ont égale­ment influ­encé une par­tie de ces pra­tiques et ont don­né nais­sance à une tra­di­tion théâ­trale dis­tincte de celle des autres pays musul­mans. On peut même pré­ten­dre que cette fusion et cette inter­cul­tur­al­ité ont généré dans le théâtre iranien une sorte d’ouverture ou de capac­ité d’adaptation cul­turelle et artis­tique à se renou­vel­er sans avoir trop de réti­cences par rap­port aux tra­di­tions ; ce que l’on peut voir aujourd’hui dans le renou­veau du théâtre tra­di­tion­nel.


Ce n’est plutôt qu’à par­tir du Xe siè­cle que les infor­ma­tions écrites con­cer­nant les arts du spec­ta­cle appa­rais­sent et doc­u­mentent l’existence de ces arts : le ta’zieh, qui a même influ­encé les artistes occi­den­taux au XXe siè­cle comme Peter Brook, fait par­tie de ces formes. Le ta’zieh est une représen­ta­tion religieuse à car­ac­tère rit­uel que l’on pour­rait qual­i­fi­er de « théâtre-opéra en vers ». Cette forme théâ­trale aux racines préis­lamiques, notam­ment mazdéennes, s’est enrichie au fil des siè­cles par le chi­isme iranien. Par son ancrage dans la tra­di­tion pop­u­laire et religieuse et grâce au sou­tien de la plu­part des pou­voirs en place, le ta’zieh a con­nu une grande longévité. En effet, même si cette forme théâ­trale a per­du la place dom­i­nante qu’elle occu­pait au sein des célébra­tions religieuses, de nos jours encore des représen­ta­tions ont lieu régulière­ment en Iran. Le ta’zieh, dont le nom est for­mé sur la racine arabe azza qui sig­ni­fie lit­térale­ment « porter le deuil » ou « con­sol­er, soulager », est une spé­ci­ficité com­mé­morant le mar­tyr du troisième Imam, Hos­sein. Les spec­ta­cles ont prin­ci­pale­ment lieu pen­dant les dix pre­miers jours précé­dant la date anniver­saire de son mar­tyr, péri­ode durant laque­lle sont joués dif­férents épisodes de cette his­toire dans les places publiques. Le mar­tyr d’Hossein doit tou­jours être représen­té le jour de son assas­si­nat, c’est-à-dire le 10e jour du mois de Mohar­ram, aus­si nom­mé Achoura (10 octo­bre 680 de notre ère). C’est une des con­di­tions les plus impor­tantes de ce théâtre- opéra com­mé­moratif. D’après les doc­u­ments his­toriques, notam­ment les réc­its de voy­age, on sait qu’à par­tir du XVI­I­Ie siè­cle le ta’zieh a pris de l’ampleur, la pré­pa­ra­tion du spec­ta­cle deman­dant donc beau­coup de temps et le résul­tat étant par­ti­c­ulière­ment impres­sion­nant. Le spec­ta­cle pos­sède une forte dimen­sion sym­bol­ique dans la mise en scène, mais aus­si dans le choix des acces­soires et des cos­tumes.
Lors de la représen­ta­tion, les « amis » de l’Imam Hos­sein vêtus en vert et ses « enne­mis » habil­lés en rouge s’opposent et, chaque jour, représen­tent l’événement cor­re­spon­dant aux faits his­toriques qui se sont déroulés ce même jour en l’an 680.
Les spec­ta­teurs, rassem­blés tout autour de la scène, assis­tent au con­flit tout en con­nais­sant la fin de l’histoire. Ils savent que l’Imam Hos­sein et ses soix­ante-douze alliés vont être mas­sacrés par les Omeyyades représen­tés par Yazid Ier. Dans ce spec­ta­cle, dont la représen­ta­tion annuelle, jouée et organ­isée majori­taire­ment par des bénév­oles, n’a jamais été inter­rompue, le spec­ta­teur tient une place impor­tante. Por­tant des élé­ments ves­ti­men­taires noirs ou verts en signe de deuil, la couleur des amis de l’Imam, il par­ticipe à la for­ma­tion de la représen­ta­tion. Il s’y trou­ve ain­si inté­gré, en inter­ac­tion avec le spec­ta­cle, mais aus­si avec les autres spec­ta­teurs. Le fait d’être « vu » par les « autres » ampli­fie aus­si son par­ti pris par rap­port à la représen­ta­tion. Dans le ta’zieh, sa tristesse et ses pleurs don­nent du rythme et de l’ambiance et pro­duisent une sorte de cathar­sis col­lec­tive. Cela influ­ence la place du spec­ta­teur et le tra­vail des met­teurs en scène dans les représen­ta­tions con­tem­po­raines et surtout dans la per­for­mance où le spec­ta­teur se sens par­fois obligé de par­ticiper.
Si le ta’zieh, avec sa dimen­sion religieuse et spir­ituelle, n’a jamais cessé d’être représen­té, les autres formes de théâtre pop­u­laire, telles que les spec­ta­cles de con­te ou les spec­ta­cles comiques impro­visés joués fréquem­ment depuis plusieurs siè­cles, ont presque dis­paru au XXe siè­cle, notam­ment après l’inauguration de la radio nationale en 1940 et de la télévi­sion nationale en 1958. Dans ces caté­gories, les spec­ta­cles de mar­i­on­nettes ont con­nu un autre sort, car les mar­i­on­nettes ont pu se renou­vel­er et être dif­fusées juste­ment grâce à la télévi­sion.
Bien que les spec­ta­cles tra­di­tion­nels soient égale­ment traités dans le cur­sus uni­ver­si­taire théâ­tral, leurs appari­tions con­tem­po­raines restent assez rares.

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