Carnet d’Aix #3 : Didon et Enée — Vincent Huguet

Opéra
Critique

Carnet d’Aix #3 : Didon et Enée — Vincent Huguet

Le 16 Juil 2018
DIDON ET ENEE - Compositeur : Henri PURCELL, Mise en scene : Vincent HUGUET. Photo : Vincent PONTET.
DIDON ET ENEE - Compositeur : Henri PURCELL, Mise en scene : Vincent HUGUET. Photo : Vincent PONTET.

Jeu­di 12 juil­let

Pour avoir tra­vail­lé à un pro­jet de mise en scène de Didon et Enée, j’ai pu me con­fron­ter aux dif­fi­cultés posées par la con­ci­sion dans laque­lle l’action de ce joy­au de l’opéra baroque est exposée.


Les jeunes filles du pen­sion­nat de Chelsea où l’oeuvre a été créée en 1689 étaient dotées d’une solide cul­ture clas­sique et les per­son­nages de la mytholo­gie gre­co-romaine n’avaient sans doute pas de secret pour elles…
Aujourd’hui qui con­naît encore l’histoire de Didon, princesse qui a fui la Phéni­cie (actuel Liban) pour fonder la cité de Carthage (dans l’actuelle Tunisie) ?
Alors que l’opéra est sou­vent syn­onyme de temps étiré, c’est en une heure à peine qu’Henry Pur­cell et son libret­tiste Nahum Tate déroulent la suite des évène­ments qui font la trame de Dido and Aeneas : l’arrivée d’Enée (qui a fuit la guerre de Troie) et de sa flotte sur les rives de Carthage, sa ren­con­tre avec Didon, leur his­toire d’amour (sans doute con­som­mée), le sort funeste qui leur est envoyé par les sor­cières par l’intermédiaire de Mer­cure, l’abandon de Didon par Enée et la mort (par sui­cide?) de celle qui était dev­enue la reine de Carthage.
Pur­cell est au meilleur de sa forme, il dis­tille airs joyeux, guer­ri­ers et amoureux et fait dia­loguer les per­son­nages avec le choeur au gré d’un réc­it qui file à toute allure.
Ce choeur peut être, comme dans sa con­cep­tion antique, un « com­men­taire » de l’action ou des tour­ments de l’âme, gliss­er dans une fonc­tion irra­tionnelle et devenir la voix des sor­cières (à l’époque de Pur­cell et Shake­speare les spec­ta­teurs en raf­fo­laient) ou devenir un per­son­nage à part entière (comme dans le choeur des marins).
La brièveté de l’opéra induit sou­vent l’ajout d’un pro­logue. La belle idée de cette réal­i­sa­tion mise en scène par Vin­cent Huguet est d’avoir intro­duit dans ce pro­logue (mag­nifique­ment écrit par Maylis de Keran­gal ) un nou­veau per­son­nage qui relate l’histoire de Didon avant qu’elle n’arrive à Carthage. C’est Rokia Tra­oré qui incar­ne cette « femme de Chypre » qu’on peut voir comme une femme d’exil d’hier (le réc­it antique reste présent) et d’aujourd’hui (réc­it de ces femmes venues d’autres par­ties de la Méditer­ran­née pour échap­per à un des­tin néfaste et qui rêvent d’en recon­stru­ire un autre à force de courage et d’abnégation).
Sans crain­dre le téle­sco­page des univers musi­caux, Rokia Tra­oré inter­prète de sa voix chaude et sen­suelle des chants mandingues boulever­sants accom­pa­g­né par Mamah Dia­baté au luth malien.
Aurélie Maestre a choisi pour son décor de fon­dre les dif­férents lieux de l’action (le palais, le port, la plage, la forêt) dans un seul espace sur­plom­bé d’une jetée immense qui mar­que la fron­tière entre la mer et le ciel.
Ces élé­ments dra­maturgiques et scéno­graphiques per­me­t­tent au pro­pos de plac­er le déchire­ment de la sépa­ra­tion et de la mort, sous le signe d’un des­tin trag­ique uni­versel qui se super­pose au sen­ti­ment d’abandon amoureux.
La sobriété et la sim­plic­ité de la mise en et scène, comme l’engagement des chanteurs à y par­ticiper, con­courent à ren­dre lis­i­ble et émou­vante cette approche con­tem­po­raine de l’oeuvre.
La musique poignante de Pur­cell est superbe­ment inter­prétée par le choeur et l’orchestre de l’ensemble Pyg­malion sous la baguette de Vaclav Luks.

P.S. : J’ai lu avec consternation l’article écrit par Marie-Aude Roux dans Le Monde (13/7/2018). Elle n’a pas aimé le spectacle. C’est son droit. La manière grossière et inélégante dont elle parle de Kelebogile Pearl Besong (elle était souffrante à la première et a ensuite dû être remplacée par Anaïk Morel) est déplorable. Pour paraphraser le mépris avec lequel elle traite les chanteurs de cette réalisation je pose à mon tour la question : Que fait cette critique dans le plus important quotidien français ?
Dido and Aeneas d’Henry Purcell, livret de Nahum Tate, nouveau prologue écrit par Maylis de Kerangal interprété par Rokia Traoré, direction musicale Vaclav Luks, mise en scène Vincent Huguet, décors Aurélie Maestre. Chanteurs : Anaïk Morel, Tobias Lee Greenhaigh, Sophia Burgos, Lucile Richardot, Rachel Redmond, Fleur Barron, Majdouline Zerari, Peter Kirk. Choeur et orchestre de l’Ensemble Pygmalion. Au Théâtre de l'Archevêché jusqu'au 23 juillet, dans le cadre du Festival d'Aix-en-Provence.
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Festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence
Vincent Huguet
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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