Quel opéra pour le monde d’après ? Les écosystèmes du théâtre lyrique

Entretien
Opéra

Quel opéra pour le monde d’après ? Les écosystèmes du théâtre lyrique

Entretien avec Alain Perroux

Le 16 Sep 2021
Répétition de La Reine des neiges de Hans Abrahamsen, Opéra national du Rhin, mise en scène de James Bonas, juin 2021. Photo Klara Beck.
Répétition de La Reine des neiges de Hans Abrahamsen, Opéra national du Rhin, mise en scène de James Bonas, juin 2021. Photo Klara Beck.

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Répétition de La Reine des neiges de Hans Abrahamsen, Opéra national du Rhin, mise en scène de James Bonas, juin 2021. Photo Klara Beck.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

Appelé en jan­vi­er 2020 à pren­dre la direc­tion de l’Opéra nation­al du Rhin, Alain Per­roux se voit dès le mois de mars de la même année con­fron­té aux con­séquences de la fer­me­ture des lieux de cul­ture dans la plus grande par­tie des pays d’Europe pour cause de pandémie. Si la ques­tion des écosys­tèmes s’est imposée au monde lyrique depuis plusieurs années, il sem­ble que la récente crise san­i­taire ait incité à accélér­er un cer­tain nom­bre de réflex­ions aujourd’hui essen­tielles. Le point de vue de Alain Per­roux quant à cette sit­u­a­tion et aux pro­jec­tions qui peu­vent être envis­agées a été recueil­li au cours d’un entre­tien mené en visio-con­férence. 

La ques­tion de l’écologie à l’opéra est-elle motivée par une demande du pub­lic ou par des impérat­ifs budgé­taires ?

L’écologie à l’opéra est une préoc­cu­pa­tion dont se sont emparés les respon­s­ables d’institutions d’abord parce que nous avons une respon­s­abil­ité socié­tale. Diriger un opéra, c’est con­stam­ment penser à l’après, à l’avenir, à la manière dont on con­stru­it des choses qui pren­nent du sens avec le temps, on est tou­jours dans l’anticipation. Nous ne pou­vons donc rester insen­si­bles à la ques­tion du développe­ment durable. D’autant que nos tutelles nous y encour­a­gent. J’y réfléchis pour ma part depuis longtemps. La mairie de Stras­bourg, écol­o­giste depuis les dernières élec­tions, y est évidem­ment atten­tive, de même que la région Grand Est, qui a entamé des réflex­ions sur la cul­ture et l’écologie et a mis sur pied des groupes de tra­vail avec les directeurs d’institutions cul­turelles dans le but de trac­er des straté­gies mutu­al­isées sur les court et long ter­mes. Les impérat­ifs budgé­taires ne jouent qu’un rôle indi­rect, car cette préoc­cu­pa­tion réclame aujourd’hui cer­tains investisse­ments – les économies sont atten­dues à moyen terme. Quant au pub­lic, il vient dans les théâtres pour trou­ver une con­fronta­tion avec les œuvres et les artistes, des émo­tions, du plaisir, des débats par­fois. Il ne nous demande pas de comptes (pour l’instant !), mais en revanche nous avons un devoir d’exemplarité à son égard.

La pandémie a‑t-elle ren­du cette réflex­ion plus urgente qu’elle ne l’était ? 

La pandémie per­turbe les nou­velles ini­tia­tives dans ce domaine. Mais elle a aus­si des effets intéres­sants. On s’aperçoit que l’on peut mod­i­fi­er nos habi­tudes, s’adapter. Le monde de l’opéra a d’ailleurs révélé une plas­tic­ité insoupçon­née ! On s’aperçoit en out­re que l’on peut amélior­er cer­taines pra­tiques grâce aux out­ils numériques, pra­tiques qui vont per­dur­er, car ces out­ils per­me­t­tent des économies et nous con­duisent à être plus écore­spon­s­ables. Les présen­ta­tions de maque­ttes, par exem­ple, se prê­tent bien aux visio­con­férences, car on y rassem­ble beau­coup de monde (chefs de ser­vice, artistes inter­na­tionaux) sans avoir plus besoin de faire venir toute une équipe extérieure en avion. La ques­tion des voy­ages se pose lorsqu’il s’agit de ren­con­tr­er des artistes, de se ren­dre à des séances de tra­vail ou de par­ticiper à des con­grès.

Faut-il être rad­i­cal et arrêter d’engager des artistes inter­na­tionaux ? 

Un opéra doit tra­vailler avec son écosys­tème, mais il ne serait pas juste de rejeter en bloc tout ce que la mon­di­al­i­sa­tion nous a apporté. La richesse d’un opéra dans une ville comme Stras­bourg, c’est aus­si de refléter l’immense diver­sité des artistes sur le plan européen et mon­di­al. Toute­fois, dans la pré­pa­ra­tion, on peut rationnalis­er les choses, éviter cer­tains voy­ages, priv­ilégi­er le train par rap­port à l’avion. Cer­tains artistes se posent même la ques­tion de réalis­er des spec­ta­cles zéro car­bone – la met­teuse en scène Katie Mitchell notam­ment. Ce sont des expéri­ences intéres­santes, mais je ne pense pas qu’on puisse les généralis­er. En défini­tive, notre méti­er reste le spec­ta­cle vivant et en aucun cas le numérique ne peut être con­sid­éré comme la seule planche de salut. Le numérique en tant qu’outil de pré­pa­ra­tion, de main­tien du lien avec le pub­lic, est un sou­tien, un pro­longe­ment. Et c’est aus­si un out­il créatif enrichissant cer­tains spec­ta­cles. Mais il ne peut se sub­stituer à notre cœur de mis­sion, qui est aux antipodes du numérique, ce qu’Olivier Py appelle la « présence réelle » des artistes dans un espace partagé avec des spec­ta­teurs.

Le retour au sys­tème des troupes est-il une solu­tion ? 

Une troupe d’opéra per­met d’éviter les voy­ages et les séjours à l’hôtel. Mais elle ne peut fonc­tion­ner que dans des théâtres de réper­toire ou de semi-réper­toire. Or ce sys­tème n’a de sens que lorsqu’on peut jouer beau­coup, sur une longue durée, donc dans des villes qui ont un réser­voir de pub­lic suff­isam­ment grand. En France, le sys­tème de troupe serait trans­pos­able à l’Opéra nation­al de Paris, qui a toute­fois besoin de « stars », lesquelles n’ont aucun intérêt à être en troupe. À Stras­bourg, nous n’avons pas de troupe, mais nous recourons aux jeunes chanteurs de l’Opéra Stu­dio et à cer­tains artistes du chœur pour des rôles sec­ondaires. Ils habitent dans la région, donc nous évi­tons ain­si un cer­tain nom­bre de voy­ages et de frais.

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Alain Perroux
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Sofiane Boussahel
Sofiane Boussahel est dramaturge dans les domaines lyrique et symphonique, ainsi que traducteur littéraire de...Plus d'info
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