Rituels réalistes

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Rituels réalistes

Les doubles documentaires de Milo Rau et l’International Institute of Political Murder

Le 25 Mar 2017
Sébastien Foucault, Bwanga Pilipili et Diogène Ntarindwa dans Hate Radio, texte et mise en scène Milo Rau. Photo Zeno Graton –IIPM.
Sébastien Foucault, Bwanga Pilipili et Diogène Ntarindwa dans Hate Radio, texte et mise en scène Milo Rau. Photo Zeno Graton –IIPM.

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Sébastien Foucault, Bwanga Pilipili et Diogène Ntarindwa dans Hate Radio, texte et mise en scène Milo Rau. Photo Zeno Graton –IIPM.
Sébastien Foucault, Bwanga Pilipili et Diogène Ntarindwa dans Hate Radio, texte et mise en scène Milo Rau. Photo Zeno Graton –IIPM.
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Le Suisse Milo Rau fait grand bruit avec une forme très sin­gulière de « théâtre d’investigation ». Il ne recule ni devant la repro­duc­tion aus­si lit­térale que pos­si­ble d’événements his­toriques, ni devant l’interprétation rad­i­cale de l’historicité, de la réal­ité et de la représen­ta­tion. Nous exam­inerons ici trois straté­gies que Rau et ses acteurs emploient pour forcer l’accès du spec­ta­teur au réel.

On entend sou­vent dire que la nou­velle généra­tion de dra­maturges doc­u­men­taires se dis­tingue de ses prédécesseurs en faisant s’estomper de divers­es manières sur scène la fron­tière entre fait et fic­tion.1 Le tra­vail de Rabih Mroué, Thomas Bellinck, Rim­i­ni Pro­tokoll ou Christophe Schlin­gen­sief est loin de l’ambition pos­i­tiviste des dra­maturges doc­u­men­taires du canon théâ­tral mod­erne, tels qu’Erwin Pis­ca­tor ou Peter Weiss. Ces dra­maturges d’inspiration marx­iste ont util­isé le théâtre doc­u­men­taire pour dévoil­er une réal­ité cen­sée dis­paraître der­rière la mas­ca­rade idéologique entretenue par déten­teurs et dynamiques de pou­voir.

La nou­velle généra­tion ne souscrit plus à la con­vic­tion selon laque­lle le théâtre peut, depuis une posi­tion extérieure cri­tique, mon­tr­er une réal­ité « plus réelle » ou « plus objec­tive » que celle que nous ren­voient les médias ou l’instruction. Elle emploie pré­cisé­ment le théâtre pour prob­lé­ma­tis­er la négo­ci­a­tion per­ma­nente entre la réal­ité et ses représen­ta­tions inélucta­bles (par les médias, la tech­nolo­gie, l’historiographie ou la poli­tique). Elle s’inspire de la décon­struc­tion de con­cepts tels que vérité, his­toric­ité et con­nais­sance.

Sébastien Foucault, Bwanga Pilipili et Diogène Ntarindwa dans Hate Radio, texte et mise en scène Milo Rau. Photo Zeno Graton –IIPM.
Sébastien Fou­cault, Bwan­ga Pilip­ili et Dio­gène Ntarind­wa dans Hate Radio, texte et mise en scène Milo Rau. Pho­to Zeno Gra­ton –IIPM.

Le pio­nnier du film doc­u­men­taire John Gri­er­son affir­ma dès les années 1930 que le doc­u­men­taire est tou­jours un « traite­ment créatif de la réal­ité ». Mais, du fait d’évolutions récentes, le théâtre doc­u­men­taire devient une pra­tique tou­jours plus hétérogène et autoréflex­ive, où les ques­tions de con­tenu sont étroite­ment liées à des ques­tions de forme.2

Le dra­maturge, cinéaste et écrivain suisse Milo Rau occupe dans ce domaine une posi­tion très par­ti­c­ulière. Con­for­mé­ment à la tra­di­tion de la pra­tique du théâtre doc­u­men­taire, cha­cun de ses pro­jets est précédé d’un long par­cours, où le proces­sus de créa­tion artis­tique s’entremêle avec la recherche soci­ologique, his­to­ri­ographique ou jour­nal­is­tique. 

Théâtre d’investigation, tel est le terme par lequel Rau désigne par­fois ses pro­jets. Le nom dont il a bap­tisé en 2007 sa mai­son de pro­duc­tion, Inter­na­tion­al Insti­tute of Polit­i­cal Mur­der (IIPM ; Insti­tut inter­na­tion­al du meurtre poli­tique), non seule­ment indique un intérêt pour le con­tenu, mais mon­tre aus­si l’intention de revendi­quer une zone fron­tière entre pra­tique artis­tique et académique. La rigueur sci­en­tifique est asso­ciée à une recherche formelle appuyée des straté­gies per­for­ma­tives qui dis­ten­dent les formes clas­siques du théâtre doc­u­men­taire.

Notons que Rau, con­traire­ment à de nom­breux col­lègues de sa généra­tion faisant du théâtre doc­u­men­taire, indique explicite­ment vouloir se rat­tach­er à un sys­tème de représen­ta­tion décrié depuis l’avant-garde his­torique – con­damné dans la tra­di­tion mod­erniste, déman­telé par les post­mod­ernes : le réal­isme. Sans hésiter, il qual­i­fie par­fois sa forme théâ­trale de néo-réal­iste. Le terme « néo » est impor­tant, car il sug­gère la répéti­tiv­ité. Le tra­vail de Milo Rau est porté par la con­vic­tion que l’accès à la réal­ité provient de répéti­tions, d’imitations fic­tives ou de dupli­ca­tions.

Ce texte analyse trois straté­gies de la poé­tique théâ­trale néo-réal­iste de l’IIPM. Même si elles ne sont mis­es en œuvre que dans cer­tains pro­jets, ces straté­gies débouchent sur des motifs philosophiques et poli­tiques que l’on retrou­ve dans la plu­part des autres pro­jets de Rau. Dans les straté­gies per­for­ma­tives qu’il utilise pour inter­roger le monde, sa con­cep­tion de la place du théâtre dans ce monde appa­raît en effet claire­ment.

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Milo Rau
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Frederik Le Roy
Frederik Le Roy est docteur assistant au sein de l’unité d’enseignement et de recherche Sciences...Plus d'info
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