La question du regard

Théâtre
Critique

La question du regard

à propos de Kings of War et Les Damnés, mise en scène Ivo van Hove

Le 20 Mar 2017
Kings of War, d’après William Shakespeare, mise en scène Ivo van Hove, Toneelgroep Amsterdam, 2015. Photo Jan Versweyveld.
Kings of War, d’après William Shakespeare, mise en scène Ivo van Hove, Toneelgroep Amsterdam, 2015. Photo Jan Versweyveld.

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Kings of War, d’après William Shakespeare, mise en scène Ivo van Hove, Toneelgroep Amsterdam, 2015. Photo Jan Versweyveld.
Kings of War, d’après William Shakespeare, mise en scène Ivo van Hove, Toneelgroep Amsterdam, 2015. Photo Jan Versweyveld.
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Par­mi les grandes fig­ures inter­na­tionales de la mise en scène actuelle­ment en activ­ité, Ivo van Hove est prob­a­ble­ment un de ceux qui accor­dent le plus d’attention au réc­it. Alors que le post- et le néo-dra­ma­tique, et les recherch­es de nar­ra­tiv­ités sin­gulières ne cessent de domin­er, le directeur du Toneel­groep d’Amsterdam s’obstine avec suc­cès à « racon­ter des his­toires ». Jamais directe­ment auteur de ses spec­ta­cles1, à la dif­férence d’un Castel­luc­ci ou d’une Lid­dell, par exem­ple, il puise ses sujets dans le réper­toire, élar­gis­sant cette notion à l’histoire du ciné­ma2, sans nég­liger toute­fois celle du théâtre. Cet attache­ment au réc­it, aux sit­u­a­tions et aux per­son­nages, ne doit pas laiss­er penser que la réflex­ion sur les out­ils de la nar­ra­tiv­ité con­tem­po­raine serait absente de son œuvre. Au con­traire, au fil de son abon­dante pro­duc­tion, on observe l’élaboration d’une gram­maire scénique pro­pre de plus en plus pré­cise, basée sur le traite­ment com­biné de l’espace et de la vidéo live. Une « sci­ence du hors-cadre » savam­ment élaborée pour traiter de la parole publique et poli­tique aujourd’hui, sci­ence qui trou­ve une forme de point d’aboutissement dans deux de ses récents suc­cès : Kings of War d’après Shake­speare (créé en 2015 à Ams­ter­dam avec l’ensemble du Toneel­groep) et Les Damnés d’après Vis­con­ti (créé en juil­let 2016 au Fes­ti­val d’Avignon avec la Comédie Française). 

La fin des Tragédies romaines, grand suc­cès du Fes­ti­val d’Avignon en 2008, con­te­nait une affir­ma­tion dra­maturgique forte, véri­ta­ble plaidoy­er pro-théâtre. Alors que le dis­posi­tif scénique invi­tait les spec­ta­teurs à côtoy­er les acteurs sur scène durant plusieurs heures et que de nom­breux téléviseurs per­me­t­taient de suiv­re l’action lorsque celle-ci se déroulait hors de la vue, la dernière par­tie du spec­ta­cle bri­sait cette dynamique : les spec­ta­teurs étaient priés de quit­ter l’espace scénique et de regag­n­er le gradin pour suiv­re l’issue d’Antoine et Cléopâtre, dernière pièce du trip­tyque. Ce faisant, Van Hove énonçait sans ambages une vérité sim­ple : pour appréhen­der pleine­ment une sit­u­a­tion dans sa com­plex­ité, il est néces­saire de s’en extraire. Le regard immergé ne saurait englober la total­ité du trag­ique se déroulant sous nos yeux. Il faut du recul, un cadre. Plusieurs années avant que les expéri­men­ta­tions autour de la réal­ité aug­men­tée ne se mul­ti­plient, van Hove sem­blait affirmer l’urgence de la dis­tance, l’importance du point de vue. 

Kings of War pro­pose un ensem­ble de qua­tre heures com­pi­lant trois des drames his­toriques shake­speariens, qui cor­re­spon­dent à trois règnes suc­ces­sifs sur le trône d’Angleterre : Hen­ry V, Hen­ry VI, Richard III. Si on peut y lire une réflex­ion sur le pou­voir, élaborée via un pas­sage en revue de trois manières tranchées de l’exercer, une autre inter­pré­ta­tion de l’œuvre est per­mise. Le traite­ment des qua­tre heures de spec­ta­cle laisse à penser que tout tend vers son issue. En d’autres ter­mes, que van Hove s’intéresse ici à la « généalo­gie » de Richard III : com­ment advient le tyran ? Com­ment son accès au trône est-il ren­du pos­si­ble ? En ne se con­tentant pas des trois pre­miers actes du drame (Richard III est couron­né à la fin de l’acte 3 de la pièce éponyme), mais en con­vo­quant les tra­jets – ici con­den­sés – des deux sou­verains précé­dents, le met­teur en scène fla­mand et son dra­maturge Bart Van den Eyn­de con­tex­tu­alisent bien au-delà de ce qui est con­venu ; ils invi­tent à élargir le regard que l’on porte sur l’action. 

Kings of War, d’après William Shakespeare, mise en scène Ivo van Hove, Toneelgroep Amsterdam, 2015. Photo Jan Versweyveld.
Kings of War, d’après William Shake­speare, mise en scène Ivo van Hove, Toneel­groep Ams­ter­dam, 2015. Pho­to Jan Ver­sweyveld.

Avoir con­fié le rôle de Richard III à Hans Kest­ing, prodigieuse­ment excep­tion­nel (un des plus grands acteurs en activ­ité en Europe), peut être vu comme un indice de la pré­dom­i­nance de la pièce sur les deux autres. Mais c’est le dis­posi­tif vidéo-scéno­graphique, conçu avec Jan Ver­sweyveld (scéno­gra­phie et lumières) et Tal Yarden (vidéo), qui œuvre pri­or­i­taire­ment à cet objec­tif de « sur-con­tex­tu­al­i­sa­tion ». 

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Ivo van Hove
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Antoine Laubin
Antoine Laubin
Metteur en scène au sein de la compagnie De Facto.Plus d'info
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