Ne pas succomber au complexe FAUST de Goethe

Ne pas succomber au complexe FAUST de Goethe

Entretien

Le 28 Mai 1991

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Article publié pour le numéro
Théâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives Théâtrales
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GEORGES BANU : Comme textes dra­ma­tiques vous avez mon­té la dernière œuvre de Tchékhov, LA CERISAIE, et main­tenant vous venez de met­tre en scène LA TEMPÊTE, œuvre tes­ta­men­taire de Shake­speare. Par ailleurs vous envis­agiez de faire La FLÛTE ENCHANTÉE qui, elle aus­si, est le chef‑d’œuvre ultime de Mozart. Éprou­vez-vous un attrait par­ti­c­uli­er pour l’œu­vre ultime ? Est-ce un acci­dent ? Trou­vez-vous quelque chose de pro­pre à ces œuvres ?

Peter Brook : Vous posez une ques­tion fasci­nante par rap­port à un auteur et à la réal­ité qu’il essaie de capter mais, pour l’instant, je voudrais sor­tir du con­texte de la ques­tion parce qu’il s’ag­it de quelque chose qui m’in­téresse réelle­ment. Dans Le MAHABHARATA, dans l’œuvre d’o­rig­ine, on ren­con­tre sans arrêt des sages et la man­i­fes­ta­tion absolue de la sagesse est qu’un sage est quelqu’un d’incapable, qu’il le veuille ou non, de dire autre chose que la vérité. Parce qu’il est par­venu à un niveau spir­ituel très haut, il est attaché à un tel degré à la réal­ité que tout ce qu’il dit est vrai, dans le sens où l’orage est oblig­a­toire­ment et indis­cutable­ment une vérité de la nature, dans le sens où cette chose-là ne peut pas être autrement. C’est pourquoi il est assez dif­fi­cile de com­pren­dre pour les non hin­dous ce fait pro­pre au MHAHABHARATA : si quelqu’un, arrivé à un cer­tain niveau spir­ituel, dit un mot, même sans réfléchir, ce mot devient réal­ité absolue. Peu importe qu’il s’agisse d’une malé­dic­tion ou d’une val­i­da­tion de ce qui se passe. Quand, sans réfléchir, Kun­ti dit à Arju­na qu’il doit partager avec ses frères ce qu’il a gag­né, peu importe que cela soit une femme : ce qui a été dit ren­tre dans la réal­ité et ain­si une nou­velle réal­ité se con­stitue. Pour nous c’est un rap­port étrange de cause à effet, car ce que l’homme sage a dit ne peut être révo­qué de même que l’on ne peut révo­quer l’eau des pom­piers qui a lavé la place de la Bastille où nous nous trou­vons ce matin après la man­i­fes­ta­tion des lycéens. Kun­ti ne peut faire marche arrière et les con­séquences doivent suiv­re car ses mots ne sont pas une opin­ion ni un juge­ment, ils ont con­stru­it une réal­ité.

De la même manière, Shake­speare, Tchékhov ou Mozart sont des­tinés, par la qual­ité de leur art, à exprimer con­tin­uelle­ment une réal­ité plus dense et plus com­plète que ce qu’ils ont eu l’impression de décrire. Ils pour­raient dire comme Kun­ti : « La vérité s’est glis­sée dans mes paroles sans que je m’en aperçoive. »

J’étais ce week-end en Alle­magne où l’on avait organ­isé une dis­cus­sion publique avec Peter Stein et, là, on échangeait nos points de vue sur ce qu’est l’ordre pour Shake­speare et Stein citait la grande tirade d’Ulysse dans TROILUS et CRESSIDA où Shake­speare exprime l’idée courante de l’ordre. Est-ce une vision col­lec­tive for­mée sous l’influence des courants soci­aux et cul­turels de l’époque, ou est-ce le reflet objec­tif du sens fon­da­men­tal que peut pren­dre l’axe chaos / ordre dans l’u­nivers ? Dans le pre­mier cas, tous les ren­seigne­ments four­nis par des spé­cial­istes sur la pen­sée et les idéolo­gies de l’époque sont utiles, dans l’autre cas on n’a pas besoin de chercher ailleurs que dans la réal­ité créée par les paroles de Shake­speare qui con­stituent un monde autonome.

Ce long détour pour dire que des obser­va­tions intéres­santes comme la vôtre peu­vent se trou­ver légitimées a pos­te­ri­ori. Mais elles ne ser­vent pas de point de départ. Je n’ai jamais pen­sé que je tra­vail­lais par­ti­c­ulière­ment sur des œuvres ultimes, mais main­tenant que vous me le faites remar­quer, je me dis que je suis arrivé à cela naturelle­ment.

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Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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