“Nous ne sommes plus le Teatro Valle Occupato. Qui sommes-nous ?”

Compte rendu

“Nous ne sommes plus le Teatro Valle Occupato. Qui sommes-nous ?”

Le 22 Jan 2016
La Boucherie de Job. Photo © Tiziana Tomasulo
La Boucherie de Job. Photo © Tiziana Tomasulo
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Com­ment l’occupation du Teatro Valle a‑t-elle com­mencé ?

Le théâtre était fer­mé depuis trois mois. L’ETI (Ente Teatrale Ital­iano) dont il dépendait n’existant plus, il est devenu pro­priété de l’É­tat, avec l’op­tion d’être repris par la mairie de Rome. L’occupation devait dur­er juste trois jours, en signe de protes­ta­tion con­tre l’é­tat d’a­ban­don de la cul­ture en Ital­ie, pour réa­gir à l’absence de mobil­i­sa­tion à la fin de l’ETI et pour éviter la pri­vati­sa­tion du théâtre. Comme nous n’avions pas de réponse con­crète sur son devenir, nous y sommes restés et avons con­tin­ué les débats avec de plus en plus de monde impliqué. Cela se pas­sait juste après le non au référen­dum de 2011 sur la pri­vati­sa­tion de l’eau. Il y avait un mou­ve­ment très impor­tant autour de la notion de biens com­muns, ces biens qui appar­ti­en­nent à la nature, qui ne sont ni privés ni publics, comme l’air, l’eau… la cul­ture peut-être.

L’en­jeu était de repenser entière­ment le mod­èle des insti­tu­tions publiques ?

Il s’agissait ini­tiale­ment d’un acte fort pour que le Teatro Valle reste une insti­tu­tion publique, mais en effet face au dés­in­térêt des poli­tiques nous avons poussé plus loin notre réflex­ion sur l’idée de bien com­mun. Et nous avons, avec plusieurs juristes et une assem­blée d’artistes et de citoyens, conçu un mod­èle de ges­tion basé sur la démoc­ra­tie directe. Le Teatro Valle est très vite devenu un sym­bole, d’autres lieux fer­més ont été occupés, à Rome, Palerme, Catane, Mes­sine… Quand, au bout de trois ans, des trac­ta­tions ont com­mencé avec la ville, nous deve­nions en fait de plus en plus dérangeants et tout a été fait pour que nous par­tions.

Cette occu­pa­tion a été mar­quée par une forte ému­la­tion artis­tique. Vous cher­chiez aus­si un autre sys­tème de pro­duc­tion théâ­trale ?

On s’est rapi­de­ment con­cen­trés sur la ques­tion de la for­ma­tion pour la rat­tach­er aux réal­ités de pro­duc­tion. On est par­ti sur le principe d’un écosys­tème où les deux seraient liés. C’est à par­tir de là qu’ont été organ­isés des ate­liers d’écriture et de for­ma­tion pour les tech­ni­ciens. La Boucherie de Job est en quelque sorte un résul­tat à mi-chemin entre ce mod­èle et un plus con­ven­tion­nel. Tous les tech­ni­ciens ont été for­més pen­dant l’occupation, la musique a été créée dans l’ate­lier mené par le com­pos­i­teur Enri­co Melozzi. Les acteurs étaient, eux, des pro­fes­sion­nels avec qui je col­lab­o­rais déjà ou que j’ai ren­con­trés sur place.

En quoi ce texte, que vous signez, est-il lié aux ate­liers d’écriture ?

J’ai lancé l’atelier à par­tir d’un pro­jet où je voulais abor­der l’é­conomie bien sûr, puisque nous devions pren­dre posi­tion face à notre présent, à notre crise finan­cière qui est une crise cul­turelle majeure. Nous avons aus­si tra­vail­lé sur la bible, plus pré­cisé­ment Le Livre de Job en liant la crise de con­fi­ance de l’homme en Dieu avec notre pro­pre crise de con­fi­ance par rap­port à notre sys­tème économique. Shake­speare enfin, à tra­vers lequel on pou­vait trou­ver un théâtre pop­u­laire capa­ble de s’adress­er à ce nou­veau pub­lic en train de naître autour de nous. Car il y avait des gens très dif­férents, des habi­tants du quarti­er qui n’étaient jamais entrés dans ce théâtre, des per­son­nes qui n’étaient jamais allées au théâtre. Ils venaient voir si ce que nous fai­sions les intéres­sait, ou pas… Nous avons aus­si prof­ité d’être là pour faire une grande forme con­tem­po­raine. Les grands plateaux étant encore tous réservés chez nous aux clas­siques, les auteurs se restreignent à des mono­logues ou à des dia­logues. De cet ate­lier, com­posé de dix acteurs et de dix auteurs, sont nés plusieurs textes, dont celui-ci.

La Boucherie de Job. Photo © Tiziana Tomasulo
La Boucherie de Job. Pho­to © Tiziana Toma­su­lo

C’est un mode d’expérimentation peu habituel dans l’écriture, qui aboutit générale­ment à des créa­tions col­lec­tives. En quoi s’inscrit-elle dans une recherche au plateau ?

L’idée est de don­ner aux auteurs dra­ma­tiques la pos­si­bil­ité de tra­vailler par étapes, dans l’espace théâ­tral. Nous tra­vail­lons seuls le matin, l’après-midi l’ate­lier est ouvert. Les scènes sont, dès les pre­mières lec­tures, dans les mains d’acteurs face à du pub­lic.

Qu’en est-il désor­mais pour vous depuis la fer­me­ture du lieu ? Vous êtes-vous regroupés en col­lec­tifs ?

Les occu­pants sont encore en deuil. Ce qui nous rassem­blait était le main­tien du théâtre en activ­ité. Des rela­tions, des petits groupes sont nés, des textes ont été créés. Deux ate­liers d’écri­t­ure con­tin­u­ent, dont le mien. Par rap­port à la lutte poli­tique, nous avons per­du la bataille. En ce qui con­cerne la créa­tion artis­tique, on ver­ra…

Ce spec­ta­cle a été crée pour et dans le Teatro Valle Occu­pa­to. Com­ment ressen­tez-vous le fait de le repren­dre aujourd’hui, ailleurs ?

C’est très émou­vant car je ne sais pas si nous sommes au début ou à la fin, si nous com­mençons un par­cours ou s’il s’agit d’un long enter­re­ment. Nous ne sommes plus le Teatro Valle Occu­pa­to, il n’ex­iste plus. Qui sommes-nous ?

La Boucherie de Job, écrit et mis en scène par Fausto Paravidino 
avec Emmanuele Aita, Ippolita Baldini, Federico Brugnone, Filippo Dini, Iris Fusetti, Aram Kian, Fausto Paravidino, Barbara Ronchi, Monica Samassa

du 15 janvier au 23 janvier 2016 à La Commune, centre dramatique national d’Aubervilliers

le 26 janvier 2016 au Théâtre Liberté à Toulon
Production Teatro Valle Occupato, Fondazione Teatro Valle Bene Comune 
distribution à l’étranger Studio Grompone 
avec l’aimable collaboration du Teatro Due de Parma avec le soutien de Angelo Mai, des artistes de Altresistenze13-14, Ex Lavanderia, Nuovo Cinema Palazzo, Scup un remerciement spécial à l’European Cultural Foundation (ECF). 

Cette production a été rendue possible grâce à la large participation et au soutien des occupants et des membres associés fondateurs qui ont permis durant ces trois années d’expérimentation de nouvelles pratiques et politiques artistiques.

L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté (traduction française de Pietro Pizzuti disponible).
Le numéro 128 d'Alternatives théâtrales (à paraître en avril 2016) sera consacré aux nouvelles alternatives théâtrales.
Compte rendu
Théâtre
Entretien
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Chantal Hurault
Docteure en études théâtrales, Chantal Hurault a publié un livre d’entretiens avec Dominique Bruguière, Penser...Plus d'info
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