Diplômé de philosophie à l’Université de Wroclaw en Pologne, Bogumił Misala est compositeur, auteur d’arrangements sonores pour des performances, spectacles, films et installations. Au théâtre, il a notamment travaillé avec Krystian Lupa et Łukasz Twarkowski.
Comment es-tu devenu créateur sonore ?
Quand j’avais douze ans, je possédais un ordinateur Amiga 1200 sur lequel j’avais surtout des jeux mais aussi beaucoup d’autres logiciels (le piratage battait alors son plein dans ces années [1990]). Sur l’une des disquettes, j’ai découvert un programme pour faire de la musique : Pro Tracker v 3.15. La composition consistait en quatre pistes et en des séquences de soixante- quatre pas maximum. Pour une composition plus longue, il fallait savoir quelle commande utiliser avant de passer à la séquence suivante – ce que je ne savais pas. À l’époque on n’avait ni internet ni tutoriels ni manuels, donc je tentais et je voyais ce que ça donnait. Cela prenai des heures ! Concrètement, ça signifie qu’une seule et même séquence tenace de soixante-quatre pas tournait en boucle dans les haut-parleurs. Au bout d’un moment, ma mère a craqué : elle est apparue sur le pas de la porte et a ainsi mis fin à la composition. C’est là que j’ai décidé de devenir compositeur [rire]. Même si ce soir-là je n’ai pas réussi, j’ai continué à expérimenter et ce jusqu’à aujourd’hui. Entre-temps, j’ai obtenu un diplôme en philosophie qui m’a ouvert l’esprit. Mon mémoire en esthétique portait sur la musique de Richard D. James, connu sous le nom d’Aphex Twin, et faisait appel aux outils critiques de T. W Adorno. Je crois qu’on devrait tous avoir la possibilité de suivre un cours de réflexion intense. Cela vous change vraiment un homme. Ma professeure de philosophie classique, Janina Gajda, disait souvent « nous commençons à fréquenter des cabinets de psy, ça devient à la mode en Pologne et nous y laissons beaucoup d’argent, alors qu’il suffirait de lire les Diatribes ou le Manuel d’Épictète, pour se sentir mieux tout de suite ».
Tu collabores avec différents arts scéniques, comment varie le travail de création sonore selon ces projets ?
Bien qu’au théâtre la musique et les sons diffusés soient généralement créés à l’avance, les moments de leur apparition, de pénétration, d’intensifi- cation, de dissimulation, d’émersion, parfois de plongée subliminale – en un mot, de mouvement – se déroulent en direct ! Et donc toujours différemment, toujours à nouveau. La création sonore dépend moins de ce qui se passe sur scène que de la manière dont cela s’y déroule : de l’état des acteurs et du public, de la manière dont le régisseur son réagit, interagit et coexiste avec tout cela. C’est une construction symbiotique, un organisme.
En revanche, lorsqu’il s’agit des installations et des arts visuels ou encore de l’art média, le domaine dans lequel j’ai aussi un fort besoin de m’exprimer, c’est moins théâtral. Il s’agit plutôt d’une situation 1:1, comme l’a montré notre der- nière installation Ifthenelse1. Quand il s’agit d’une œuvre purement interactive ou d’une installation, en tant que IP Group nous essayons d’obtenir une forme d’immersion, surtout dans le travail avec le vidéaste Jakub Lech. Cette immersion est quelque chose qui m’anime, qui me stimule.