Pêcheur de sons

Entretien
Musique

Pêcheur de sons

Entretien avec Félix Blume

Le 15 Avr 2022
Félix Blume en compagnie de Colin Lévêque sur le tournage de Chernobyl 4 ever de Alain De Halleux (Ukraine), 2010.
Félix Blume en compagnie de Colin Lévêque sur le tournage de Chernobyl 4 ever de Alain De Halleux (Ukraine), 2010.

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Félix Blume en compagnie de Colin Lévêque sur le tournage de Chernobyl 4 ever de Alain De Halleux (Ukraine), 2010.
Félix Blume en compagnie de Colin Lévêque sur le tournage de Chernobyl 4 ever de Alain De Halleux (Ukraine), 2010.
Article publié pour le numéro
146

Artiste sonore, péd­a­gogue et ingénieur du son pour le ciné­ma, Félix Blume place l’écoute au cen­tre de son tra­vail et développe depuis de nom­breuses années une œuvre pro­téi­forme, entre pièces sonores, vidéos et instal­la­tions qui invi­tent à mod­i­fi­er notre per­cep­tion de l’environnement au tra­vers de la matière sonore. Il vit entre la France, le Mex­ique et le Brésil.

Lors d’une con­férence au Cen­tre Pom­pi­dou1 tu évo­quais l’idée de brouiller les fron­tières de ce qui relève de l’artistique et ce qui relève de la tech­nique dans les métiers du son, pour­rais-tu dévelop­per un peu plus cette ques­tion ?

Son seul/Wildtrack de Félix Blume au festival
Belluard (Suisse), 2018. Photo de Sara Lana.
Son seul/Wildtrack de Félix Blume au fes­ti­val Bel­lu­ard (Suisse), 2018. Pho­to de Sara Lana.

C’est curieux : lorsque je fais une créa­tion sonore, je suis con­sid­éré comme un artiste et lorsque j’exerce en tant qu’ingénieur du son pour un film réal­isé par quelqu’un d’autre comme un tech­ni- cien. Il y a un change­ment de statut alors que pour moi toutes ces activ­ités sont la con­ti­nu­ité d’une même démarche. J’aime beau­coup le terme « soni­dista » util­isé en Amérique Latine his­pa- nophone pour désign­er celui qui tra­vaille le son comme une matière sans dis­tinguer le tech­nique et l’artistique. Un peu comme « pein­tre » qui peut désign­er à la fois celui qui utilise la pein­ture comme matériel de créa­tion et celui qui peint un mur. Il n’y a pas d’équivalent en français pour « soni­dista », par­fois on utilise « sondi­er » dans le milieu des arts du spec­ta­cle, mais ce mot a une con­no­ta­tion pure­ment tech­nique. J’aime l’idée de tra­vailler le son comme une matière. Une même prise de son peut aus­si bien être con­sid­érée comme tech­nique ou artis­tique selon le con­texte de son écoute. Plus que l’acte de l’enregistrement, c’est l’acte de l’écoute qui déter­mine le statut d’un son. L’artistique n’est pas dans le faire mais plutôt dans la récep­tion. Je con­sid­ère mon tra­vail d’artiste sonore ou d’ingénieur du son comme n’étant qu’un point entre un son qui existe par lui-même et les per­son­nes qui vont l’écouter. Ces sons ne m’appartiennent pas. Certes, je les ai enreg­istrés avec mon micro­phone et j’ai choisi le moment de le faire : dans l’acte d’enregistrer, de choisir un son, d’en faire un mon­tage ou de faire une créa­tion sonore il y a, bien enten­du, une dimen­sion sub­jec­tive, mais finale­ment je ne suis qu’un passeur entre dif­férentes réal­ités et cer­taines oreilles, cer­taines écoutes pos­si­bles. L’objectif pour moi c’est que l’auditeur de mes pièces sonores puis­sent sor­tir dans la rue le lende­main et écouter autrement les sons de leur pro­pre envi­ron­nement. Plutôt que d’inviter l’auditeur à « dévor­er » des paysages sonores, je préfère l’inviter à écouter le monde qui l’entoure et à vrai­ment l’écouter, sans essay­er d’annuler ou d’évacuer tout ce qui pour­rait être con­sid­éré comme étant de la pol­lu­tion sonore, comme quand on met un casque dans le métro pour créer une bar­rière avec le monde réel. On s’attache sou­vent à la ques­tion de l’architecture ou à la cul­ture par rap­port à un lieu ou à un pays, mais on se pose assez peu la ques­tion du quo­ti­di­en sonore d’un lieu, il y a beau­coup de sons dis­parus, d’autres qui sur­gis­sent et on ne se soucie pas d’en pren­dre con­science. Alors que l’écoute est juste­ment quelque chose qui peut nous aider à com­pren­dre l’Autre et les Autres. En pen­sant les Autres pas for­cé­ment comme des humains mais comme des êtres en général. Ce qui me tient à cœur, c’est qu’une écoute puisse dépass­er le sonore.

Le point de départ de ta démarche artis­tique mul­ti-médi­a­tique était le ciné­ma ?

C’est par la musique que je me suis intéressé au sonore, j’ai pra­tiqué la per­cus­sion clas­sique pen­dant dix ans au Con­ser­va­toire. J’ai choisi de faire un BTS audio­vi­suel avec l’idée de tra­vailler pour la sonori­sa­tion des con­certs mais je me suis assez vite ren­du compte que le rythme de vie de ce méti­er ne me con­ve­nait pas. J’ai alors enchaîné avec une for­ma­tion à l’INSAS – Insti­tut Supérieur des Arts, une école de ciné­ma à Brux­elles, en option son. En en sor­tant en 2008, j’ai com­mencé à tra­vailler comme pre­neur de son prin­ci­pale­ment pour des doc­u­men­taires et assez rapi­de­ment j’ai pris cette « éti­quette » du pre­neur de son, un peu aven­tureux, pour des pro­jets dans des pays loin­tains. En 2005, j’étais par­ti dans un petit vil­lage au Mali pour tra­vailler sur un pre­mier pro­jet – un doc­u­men­taire sur les peuls. La ren­con­tre d’une réal­ité com­plète­ment dif­férente fut un choc et la qual­ité d’écoute que ce dépayse­ment a provo­qué en moi était une expéri­ence si forte que j’ai voulu la retrou­ver. Le fait de pou­voir ren­con­tr­er des lieux, l’Autre et d’apprendre à tra­vers le sonore est quelque chose qui a beau­coup mar­qué mon tra­vail.

Dans quelle mesure ces aller- retours entre dif­férentes espaces géo­graphiques ont impacté ta pro­pre écoute ? La rela­tion qu’on peut avoir avec le bruit, par exem­ple, n’est pas du tout la même au Mex­ique, au Brésil ou en France.

Je pense que le statut d’étranger, le fait d’arriver dans un endroit qu’on ne con­naît pas change nos habi­tudes y com­pris par rap­port à l’écoute. C’est la même idée qu’avec le bruit du fri­go : on s’y habitue et on ne l’entend finale­ment que quand il s’arrête. Lorsqu’on va dans un autre endroit tout d’un coup on se dit « Ah, oui, là il y a tel oiseau » ou « il y a telle ou telle chose qui manque » parce que les sons ont changé. On ne ques­tionne pas son envi­ron­nement sonore quand on est dedans, ce n’est qu’à par­tir du moment où celui-ci change qu’on prend con­science du nou­veau et de l’ancien. Cet aspect est très présent dans Los Gri­tos de Méx­i­co (2014). Quand j’étais à Mex­i­co, je vivais en plein cen­tre avec tous ces vendeurs qu’on entend dans cette créa­tion sonore. Avant ça, je vivais à Brux­elles où il y a ce silence un peu partout. Le con­traste avec Mex­i­co pou­vait me don­ner l’impression d’une ville morte quand j’y reve­nais. J’ai pris ain­si con­science de l’identité sonore d’un lieu : quels sons me font penser que je suis à Brux­elles ? Est-ce qu’il y a une mar­que sonore de cette ville ou de ce lieu que j’habite ? Quand j’arrive à Mex­i­co City au con­traire, une seule minute d’enregistrement con­tient déjà assez d’éléments sonores pour recon­naître la ville. Mex­i­co City a une forte iden­tité sonore mais peut-être que les per­son­nes qui y vivent, entourées par tous ces vendeurs, ne s’en ren­dent pas compte parce que cela fait par­tie de leur quo­ti­di­en. Le fait de voy­ager per­met de tra­vailler cette écoute du détail et des dif­férences.

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