Cinquante nuances de Maghreb

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Cinquante nuances de Maghreb

Le 23 Juil 2022
Les danseurs de Nya, chorégraphié par Sofiane Abou Lagraâ, Alger, 2010. Photo Thomas Hahn.
Les danseurs de Nya, chorégraphié par Sofiane Abou Lagraâ, Alger, 2010. Photo Thomas Hahn.

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Les danseurs de Nya, chorégraphié par Sofiane Abou Lagraâ, Alger, 2010. Photo Thomas Hahn.
Les danseurs de Nya, chorégraphié par Sofiane Abou Lagraâ, Alger, 2010. Photo Thomas Hahn.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 147 - Scènes contemporaines des mondes arabes
147

Ils s’appellent Mourad Mer­zou­ki, Héla Fat­tou­mi, Kad­er Attou, Farid Ber­ki…
Le paysage choré­graphique regorge de choré­graphes aux racines famil­iales maghrébines. Cer­tains font de leur héritage cul­turel un élé­ment por­teur de leurs créa­tions, d’autres l’évoquent à peine. Par con­tre, il est rare de ren­con­tr­er des choré­graphes qui ont com­mencé à créer de la danse dans leur pays d’origine pour s’implanter en Europe par la suite. Ceci pour des raisons divers­es, qui tien­nent tout d’abord aux pos­si­bil­ités qui sont plus que lim­itées, en Algérie d’abord, mais même en Tunisie et au Maroc. Dans ces pays, où la danse d’auteur n’est pas soutenue, il est dif­fi­cile de se revendi­quer artiste choré­graphe. L’émergence d’un vrai tis­su de danse con­tem­po­raine au Maghreb est un pro­jet qui ne cesse de renaître et de subir des revers, faute d’un sou­tien insti­tu­tion­nel qui serait pen­sé sur la durée. Dans le paysage choré­graphique, en France et en Bel­gique, l’enrichissement est con­sid­érable. 

7 ans, 5 ans, 2 ans…

La plu­part des choré­graphes qui tra­vail­lent en Europe et font réson­ner dans leurs créa­tions les échos du Maghreb sont nés de cou­ples venus d’ailleurs – c’est le cas d’Abou Lagraa ou de Rachid Ouram­dane – ou bien de cou­ples mixtes (Ali et Hèdi Tha­bet, Sidi Lar­bi Cherkaoui…). Beau­coup d’autres sont arrivés jeunes, très jeunes : Fouad Bous­souf, à l’âge de sept ans. Nac­era Belaza, à cinq ans. Héla Fat­tou­mi, à deux ans. Ces deux ans de vie font-elles une dif­férence avec un cer­tain Angelin Preljo­caj, arrivé dans le ven­tre de sa mère depuis Tirana en 1956 ? Dans les créa­tions du directeur du Cen­tre choré­graphique nation­al (CNN) d’Aix-en-Provence, les traces de liens avec l’Albanie sont infimes. Par ailleurs, il ne par­le que peu la langue mater­nelle de ses par­ents et met rarement le pied à Tirana. Il en va autrement chez les enfants de par­ents maghrébins, où les liens famil­i­aux avec les pays d’origine restent aus­si intens­es que la cohé­sion com­mu­nau­taire dans les pays d’accueil. D’où une dou­ble cul­ture faisant par­tie inté­grale de leur iden­tité, qui peut devenir le moteur d’échanges cul­turels. Ain­si, Nac­era Belaza a enseigné la danse con­tem­po­raine à Alger alors qu’Abou Lagraa et son épouse maro­caine, Naw­al Aït-Benal­la, se sont investis à par­tir de 2010 dans la créa­tion d’une cel­lule de danse con­tem­po­raine au sein du Bal­let nation­al d’Alger, créant avec des danseurs de rue algériens une pièce qui rem­por­ta, en 2011, le Grand prix de la cri­tique française du meilleur spec­ta­cle de danse, Nya, un doux rit­uel ori­en­tal dan­sé sur le Boléro de Rav­el.  

« Je ne peux créer qu’en mon pays. »

Il n’est cepen­dant pas impos­si­ble de se met­tre à la danse à Tunis et de faire une belle car­rière en France, comme le prou­ve le cou­ple et duo Aïcha M’Barek/Hafiz Dhaou, véri­ta­bles passeurs entre les deux rives. En 2002, Hafiz créa à Tunis Zen­zena (Le cachot), un solo sub­tile­ment sub­ver­sif, dénonçant offi­cielle­ment l’empêchement de bouger causé par une blessure au genou. Le pub­lic sut en faire une lec­ture plus poli­tique… En 2005, ils créent en France leur com­pag­nie, Chatha (une danse), et devi­en­nent aus­si une référence en Tunisie. En 2011 et 2012, ils assurent la direc­tion artis­tique des Ren­con­tres choré­graphiques de Carthage. On pour­rait com­par­er leur sit­u­a­tion à celle d’un autre choré­graphe, Rad­houane El Med­deb, qui a lui aus­si com­mencé son par­cours artis­tique à Tunis. Mais c’est le théâtre que Rad­houane a pra­tiqué à Tunis ! En danse, il ne s’est révélé qu’une fois instal­lé en France, avec un solo au titre désar­mant : Pour en finir avec moi. Et il fon­da la Com­pag­nie de SOI, dès le départ iden­ti­fiée comme choré­graphique. Con­clu­sion : les choré­graphes transfuges venant du Maghreb sont bien plus rares qu’on ne le pense. Pourquoi ? Nawel Skan­drani, la pio­nnière tunisi­enne, don­na une part de réponse en 2019, au Fes­ti­val Carthage Dance où elle déclara : « Je ne peux créer qu’en mon pays. » Et ce alors qu’elle doit affron­ter tous les empêche­ments matériels : « En trente ans, je n’ai pas été reçue une seule fois au min­istère pour par­ler de mon tra­vail. » On pour­rait alors par­ler d’exil choré­graphique intérieur. 

La Tunisie, telle une douleur fan­tôme

Rad­houane El Med­deb, nat­u­ral­isé français depuis 2008, a choisi l’exil géo­graphique et cul­turel. Vivre à Paris lui offre plein de pos­si­bil­ités. Sauf une. À l’heure de la révo­lu­tion tunisi­enne en 2011, il était con­damné à suiv­re les événe­ments en ligne, au lieu de pou­voir être présent et soutenir ses proches et son peu­ple. C’est à par­tir de ses remords qu’il créa en 2012 son solo Tunis, 14 jan­vi­er 2011, une per­for­mance où il se mêla aux spec­ta­teurs pour partager sa détresse par un état de corps tour­men­té, tirail­lé, insta­ble et au bord du vide. Celui-ci resur­git en 2016 dans son solo À mon père, une dernière danse et un pre­mier bais­er : « À mon père, j’ai envie de racon­ter la révo­lu­tion, le change­ment, l’espoir de tout un peu­ple arabe d’un monde meilleur, libre et juste. Avec mon père, j’ai envie de partager notre désar­roi, la men­ace d’une pen­sée extrémiste, obscure et la pen­sée d’un futur meilleur. À mon père, je veux hurler ma colère, mes angoiss­es dans un monde de plus en plus vio­lent, hurlant, chao­tique. » Il le fait d’un geste désarçon­né, sur le mode de la con­fes­sion et sur les Vari­a­tions Gold­berg de Bach. Dans ses solos, El Med­deb révèle donc sa con­di­tion d’exilé, plus que tout autre choré­graphe d’origine maghrébine. Un dou­ble exil même, car son corps dont il assume la dif­férence, par sa générosité des vol­umes et de la volup­té, est en soi un étranger dans le paysage de la danse. Mais El Med­deb crée aus­si des pièces de groupe et quand celles-ci se réfèrent au monde arabe, il dévoile sa part roman­tique. À l’occasion de Face à la mer, pour que les larmes devi­en­nent des éclats de rire (2017), il écrit par rap­port à sa rela­tion avec la Tunisie, cette autre moitié de lui-même qu’il voit lui échap­per :

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Thomas Hahn
Thomas Hahn est journaliste de danse. Correspondant de la revue tanz (Allemagne), il collabore aux...Plus d'info
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