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En Flandre, où elle a atterri à l’âge de cinq ans avec sa mère et ses deux frères, il y a trente ans, Sachli Gholamalizad est une vedette de cinéma et surtout de séries TV. Dans Bunker, qui déroule ses enquêtes policières dans le cadre d’une équipe de la Sûreté de l’État, son personnage, Farah Tehrani, est à son image : une jeune Flamande, fière de ses origines iraniennes et qui n’a pas froid aux yeux. Mais Sachli Gholamalizad a une identité plus subtile et d’autres ambitions esthétiques : créer sa propre oeuvre de haut niveau, mêlant cinéma et théâtre documentaire, pour raconter son histoire d’exilée et sa relation agressive, complexe à sa mère, sa famille et ses deux pays, l’Iran et la Belgique. On a pu voir cette saison, au KVS, en flamand, puis au Théâtre National, en français, deux volets d’une trilogie. Elle y règle ses comptes, en Belgique, avec sa mère, dans A Reason to talk, un solo qui a remporté un premier prix au prestigieux Fringe Festival d’Edimbourg (2014).
Dans (Not) my paradise (2016), elle poursuit de sa hargne, en Iran, le reste de sa famille, un oncle, une tante, une grand-mère, qu’elle assiège de rudes questions, dont l’agressivité n’exclut ni l’humour ni, parfois, la tendresse. Le tout au service d’une recherche d’identité et d’une chasse au mensonge intrafamilial.
Pourquoi tant de dissimulation, au sein d’une famille ?
Au départ il y a cette fuite, aux raisons longtemps dissimulées : la peur que le fils aîné ne soit mobilisable à l’âge de douze ans, en pleine guerre irano-irakienne.
Au centre de la controverse, dans A Reason to talk, un affrontement mère/fille, iranien et universel, résumé par l’autrice : En venant en Belgique, ma mère a fait de moi une étrangère, une situation difficile à vivre, puisque cette différence a entraîné des conflits avec mon environnement et à l’ école où je me sentais rejetée. En même temps, je suis frustrée de ne pas être capable de lui parler, de ne pas comprendre sa peine. Et furieuse contre moi-même d’être une mauvaise fille, de lui faire un procès public alors qu’elle s’est comportée en mère parfaite, protégeant ses enfants. Au fond, ma colère contre elle est une colère contre moi-même.
Une recherche formelle constante
Comment éviter le pathos scénique dans ces situations familiales à fond mélodramatique ? En utilisant divers procédés, dont le film enregistré.
Si je transformais ma mère et les autres membres de ma famille en personnages de théâtre, le public ne les aurait ni compris ni « sentis ». En créant une version documentaire, le public peut mieux se relier à eux. L’actrice/narratrice, qui avoue croire au cinéma plus qu’au théâtre, est bien présente mais de dos, tapant un texte projeté sur l’écran, autre distanciation.
C’est un peu comme si je jouais du piano, je suis un rythme et les hésitations de ma pensée sont ressenties par le public qui accroche et que je sens connecté, même si je ne le vois pas et qu’ il n’est qu’un lecteur actif.
Parfois la vidéo en direct met l’actrice en danger et le public en confidence :
Faire face à un public me rendrait moins vulnérable que de lui permettre de voir en gros plan, en direct, ce que je ressens, seconde par seconde.
Dans (Not)my paradise, elle risque une nouvelle forme, en devenant la voix off du récit, une sorte de fantôme des générations présentes et passées, qui resurgit « théâtralement » a la fin pour accueillir sa mère, en un curieux happy end de théâtre « réaliste ». Mais le cinéma enregistré et diffusé sous divers angles prend le pouvoir dans la scénographie.
Ces recherches formelles qui exposent l’actrice vont puiser dans plusieurs sources avouées, principalement iraniennes. Au centre, le cinéaste Abbas Kiarostami et la cinéaste belge Chantal Ackerman, tous deux admirés pour l’honnêteté de leur démarche, à la fois réaliste et poétique dont elle se sent proche. Comme du metteur en scène de théâtre Amir Rezâ Koohestâni, découvert au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles.
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