Sachli Gholamalizad ou la rage des origines

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Portrait

Sachli Gholamalizad ou la rage des origines

Le 9 Sep 2019
Let Us Believe In The Beginning Of The Cold Season © Danny Willems / KVS
Let Us Believe In The Beginning Of The Cold Season © Danny Willems / KVS
(extrait) 

(…)

En Flan­dre, où elle a atter­ri à l’âge de cinq ans avec sa mère et ses deux frères, il y a trente ans, Sach­li Gho­la­mal­izad est une vedette de ciné­ma et surtout de séries TV. Dans Bunker, qui déroule ses enquêtes poli­cières dans le cadre d’une équipe de la Sûreté de l’État, son per­son­nage, Farah Tehrani, est à son image : une jeune Fla­mande, fière de ses orig­ines irani­ennes et qui n’a pas froid aux yeux. Mais Sach­li Gho­la­mal­izad a une iden­tité plus sub­tile et d’autres ambi­tions esthé­tiques : créer sa pro­pre oeu­vre de haut niveau, mêlant ciné­ma et théâtre doc­u­men­taire, pour racon­ter son his­toire d’exilée et sa rela­tion agres­sive, com­plexe à sa mère, sa famille et ses deux pays, l’Iran et la Bel­gique. On a pu voir cette sai­son, au KVS, en fla­mand, puis au Théâtre Nation­al, en français, deux volets d’une trilo­gie. Elle y règle ses comptes, en Bel­gique, avec sa mère, dans A Rea­son to talk, un solo qui a rem­porté un pre­mier prix au pres­tigieux Fringe Fes­ti­val d’Edimbourg (2014).

A rea­son to talk © Lucila Gui­chon / KVS

Dans (Not) my par­adise (2016), elle pour­suit de sa hargne, en Iran, le reste de sa famille, un oncle, une tante, une grand-mère, qu’elle assiège de rudes ques­tions, dont l’agressivité n’exclut ni l’humour ni, par­fois, la ten­dresse. Le tout au ser­vice d’une recherche d’identité et d’une chas­se au men­songe intrafa­mil­ial.

Pourquoi tant de dis­sim­u­la­tion, au sein d’une famille ?

Au départ il y a cette fuite, aux raisons longtemps dis­simulées : la peur que le fils aîné ne soit mobil­is­able à l’âge de douze ans, en pleine guerre ira­no-iraki­enne.

Au cen­tre de la con­tro­verse, dans A Rea­son to talk, un affron­te­ment mère/fille, iranien et uni­versel, résumé par l’autrice : En venant en Bel­gique, ma mère a fait de moi une étrangère, une sit­u­a­tion dif­fi­cile à vivre, puisque cette dif­férence a entraîné des con­flits avec mon envi­ron­nement et à l’ école où je me sen­tais rejetée. En même temps, je suis frus­trée de ne pas être capa­ble de lui par­ler, de ne pas com­pren­dre sa peine. Et furieuse con­tre moi-même d’être une mau­vaise fille, de lui faire un procès pub­lic alors qu’elle s’est com­portée en mère par­faite, pro­tégeant ses enfants. Au fond, ma colère con­tre elle est une colère con­tre moi-même.

Une recherche formelle constante

Com­ment éviter le pathos scénique dans ces sit­u­a­tions famil­iales à fond mélo­dra­ma­tique ? En util­isant divers procédés, dont le film enreg­istré.

Si je trans­for­mais ma mère et les autres mem­bres de ma famille en per­son­nages de théâtre, le pub­lic ne les aurait ni com­pris ni « sen­tis ». En créant une ver­sion doc­u­men­taire, le pub­lic peut mieux se reli­er à eux. L’actrice/narratrice, qui avoue croire au ciné­ma plus qu’au théâtre, est bien présente mais de dos, tapant un texte pro­jeté sur l’écran, autre dis­tan­ci­a­tion.

C’est un peu comme si je jouais du piano, je suis un rythme et les hési­ta­tions de ma pen­sée sont ressen­ties par le pub­lic qui accroche et que je sens con­nec­té, même si je ne le vois pas et qu’ il n’est qu’un lecteur act­if.

Par­fois la vidéo en direct met l’actrice en dan­ger et le pub­lic en con­fi­dence :

Faire face à un pub­lic me rendrait moins vul­nérable que de lui per­me­t­tre de voir en gros plan, en direct, ce que je ressens, sec­onde par sec­onde.

Dans (Not)my par­adise, elle risque une nou­velle forme, en devenant la voix off du réc­it, une sorte de fan­tôme des généra­tions présentes et passées, qui resur­git « théâ­trale­ment » a la fin pour accueil­lir sa mère, en un curieux hap­py end de théâtre « réal­iste ». Mais le ciné­ma enreg­istré et dif­fusé sous divers angles prend le pou­voir dans la scéno­gra­phie.

(Not) my par­adise © Dan­ny Willems / KVS

Ces recherch­es formelles qui exposent l’actrice vont puis­er dans plusieurs sources avouées, prin­ci­pale­ment irani­ennes. Au cen­tre, le cinéaste Abbas Kiarosta­mi et la cinéaste belge Chan­tal Ack­er­man, tous deux admirés pour l’honnêteté de leur démarche, à la fois réal­iste et poé­tique dont elle se sent proche. Comme du met­teur en scène de théâtre Amir Rezâ Koohestâni, décou­vert au Kun­sten­fes­ti­valde­sarts de Brux­elles.

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Christian Jade
Christian Jade est licencié en français et espagnol de l’Université libre de Bruxelles ( ULB)...Plus d'info
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