Les États Généraux du « Jeune » Théâtre, ou l’écho d’une parole : celle de jeunes et moins jeunes compagnies ne bénéficiant pas de subvention annuelle.Un théâtre qui se dit pluriel, différent, précaire.
Prologue
AU CANADA1, en 1980, puis en France, en 1991 – 1993, enfin en Belgique, en 1994, toute une masse d’intermittents du spectacle se rassemble pour postillonner, baver et cracher sur sa condition. Cela, pour mettre les États Généraux, de ce qu’on appelle encore faute de mieux, le « Jeune » Théâtre de la Communauté française de Belgique dans une perspective de francophonie. Cela, pour dire aussi qu’ils ne sont pas seulement l’initiative de quelques figures de proue éphémères, mais bien aussi l’effet d’une contagion. Rassembler ceux que tout sépare, sauf peut-être le titre générique de leur occupation, « gens de théâtre » , était l’objet majeur des assemblées en vase clos belges2. Pendant sept journées, un peu partout à Bruxelles et en Province, des professionnels-de-la-profession se sont mobilisés parce qu’une rencontre « historique » se préparait entre le Ministre de la culture, un « Prince » élu, et des artistes à élire. Si l’on attendra longtemps encore avant de savoir ce que la rencontre « Prince » /Artiste du 29 mars dernier a eu de réellement historique, pour beaucoup, les plus jeunes surtout, c’était une première. La première fois qu’il faut faire état de sa profession, à la fois en voie de développement et de disparition, devant une autorité politique et avoir du poids et se faire entendre …
Acte 1 : Esthétique, aujourd’hui peut-être ou alors demain …
« Le théâtre a perdu son rôle dans ‘imaginaire collectif de l’Occident, on peut légitimement s’interroger sur son statut exact dans la culture contemporaine »3. Parce que cette question est aussi légitime qu’urgente, les aînés assis dans la salle, lourds des pavés de 68, légers de l’imaginaire engagé qu’ils y trouvaient en dessous, espéraient peut-être des États Généraux, de cet ensemble hétéroclite, de ce rassemblement d’individus unis par la négative (la précarité), un projet esthétique. Et bien non ! Risquant le jugement sans appel : « Le Jeune Théâtre n’a rien à dire ! », les États Généraux, reflétant encore une fois une position partagée d’un côté à l’autre de l’océan, ont refusé le débat esthétique. Pendant que l’interrogation sociale, économique et législative brûle le bas de ses robes à la rampe, la réflexion artistique est dans le trou du souffleur, aphone. Qui arriverait à définir une mouvance esthétique dans cette « foire du sens » ? Chacun peut « librement » s’emparer des images, symboles, mythes ou références de son choix. Aucun ordre symbolique n’est capable de structurer et d’unifier ces fragments épars, si bien qu’il devient très problématique pour les membres de nos sociétés contemporaines de donner une cohérence affective, imaginaire ou intellectuelle à leur expérience du monde4. Des points de repère flous et mouvants, un manque généralisé de discours, de formation politique, et la confrontation, presque journalière avec un public qui a toujours envie de zapper (même au théâtre) ; voilà la société pour, ou contre, laquelle ils auraient dû se définir. En cette fin de siècle, seule l’impossibilité à caser le Jeune Théâtre dans un seul et même moule est historique. Est-ce vraiment dommageable ?
Cette foire baroque n’est-elle pas « le terreau nécessaire au développement »5 ? À la question ministérielle « quel théâtre ? », la réponse, ce jour-là, a été de dire et redire la pluralité des esthétiques. À « quel public ? »6, qui soulève la sempiternelle et difficile question du Service Public, le silence, ou presque. Mais comment dire qu’à chercher son public avant de trouver son art, on triche ? Comment le dire sans désobliger celui qui gère l’argent public ? Comment le dire sans lui donner l’arme avec laquelle il peut tuer ? Comment dire enfin que le public est une affaire d’État certes, mais aussi de direction, d’intendance, de gestion, surtout une affaire de longue haleine et que le théâtre non subventionné annuellement en est au coup par coup sans savoir ni où, ni quand, ni combien de temps il va pouvoir montrer sa « production » ? À la question sous-entendue, « Le Jeune Théâtre a‑t-il quelque chose à dire ? », la réponse tout aussi sous-entendue semblait évidente : plus qu’à dire, ils ont à faire. Et pour ce « faire », ils veulent d’abord en définir les conditions.
Acte 2 : On est trop nombreux c’est la merde, qu’est-ce qu’on fait ?7
Pour une même réalité, des discours différents. Structurer l’impossible, la pluralité des points de vue, c’est ce qu’ont essayé deux groupes.
Côté cour, le premier groupe8 cherche et propose des solutions à l’engorgement : 150/160 Cies piétinent devant les 33 entrées des Artistes9. Une vue pyramidale qui part du premier projet non subventionné à la première sélection pour l’octroi d’une subvention, de la première subvention à la première exigence de coproduction, et, de sélection naturelle en preuves tangibles, de la première coproduction à la résidence, l’intégration, voire la direction d’un théâtre institutionnalisé. À chaque palier, des problèmes, à chaque problème des solutions et/ou questions. Exemple : En Belgique, dès qu’un directeur a « pris » la tête d’une Institution théâtrale, il est d’usage de l’y laisser jusqu’à … enfin, il peut y trôner 41 ans10 durant sans craindre une remise en question de sa fonction. Solution : « Fixer la durée du mandat du directeur et la procédure de renouvellement. Nous proposons un mandat de quatre ou cinq ans renouvelable une fois. »11 Côté jardin, le second groupe12 propose une vue plutôt horizontale. Il pose, en s’aidant de sondages et statistiques13 faisant apparaître que le Jeune Théâtre représente un tiers de la production théâtrale en Communauté française, un des préalables à la négociation : Les Pouvoirs publics doivent reconnaître l’existence du « Jeune » Théâtre comme une composante essentielle du théâtre. Il y a plus de 160 Cies14 et leur avenir n’est pas nécessairement lié à l’intégration dans l’Institution théâtrale existante. Sans nier pour autant la volonté pour certains de s’intégrer ou d’être« les prochains directeurs », ils demandent la création d’outils spécifiques au Jeune Théâtre. « Cet outil comprendrait au minimum un réseau de salles de répétition, des services d’aide à la production et à la promotion »15. Outil évidemment indépendant du filtrage institutionnel.