Bergman et le théâtre comme pratique testamentaire

Bergman et le théâtre comme pratique testamentaire

Le 22 Mai 1991

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Théâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives Théâtrales
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EN 1984, lorsque Ing­mar Bergman est revenu en Suède après son fameux exil bavarois, se sen­tant vieux et usé par la vie et par les injus­tices fis­cales, il a com­mencé une nou­velle car­rière théâ­trale avec LE ROI LEAR, se met­tant dans l’attitude de l’artiste en fin de car­rière. Ce choix pathé­tique n’était pas une réus­site. Bergman et Shake­speare n’ont jamais très bien com­mu­niqué. Au ciné­ma, et peut- être encore plus au théâtre, Bergman a tou­jours été le met­teur en scène de l’intimité. C’est une ques­tion de for­mat, mais surtout une ques­tion de rythme, de souf­fle. Les grandes plages poé­tiques de Shake­speare ne sont pas faites pour être pronon­cées par un comé­di­en face au mur blanc de sa cham­bre, angois­sé devant l’absence de Dieu, pour pren­dre un cliché usé du lan­gage bergmanien. Bergman a beau faire des coupures dans le texte (son ROI LEAR a été défig­uré par les coupures dans l’intrigue par­al­lèle de Glouces­ter et ses fils), il n’arrive pas à maîtris­er Shake­speare. Les mêmes prob­lèmes, essen­tielle­ment, se repro­duiront en 1986, lorsque Bergman fera un nou­v­el essai de mon­ter Shake­speare avec HAMLET.

Mais Bergman, vieux renard du théâtre, a vite com­pris. De nou­veau, il s’est tourné vers Strind­berg et tout de suite cela a fait des étin­celles : MADEMOISELLE JULIE (1985) dans une ver­sion nou­velle, util­isant le texte comme Strind­berg l’avait voulu lui-même et non pas la ver­sion courante, adap­tée au code moral de l’époque et de l’éditeur, et LE SONGE (1986), retra­vail­lé pour le petit for­mat, jouant moins le côté onirique et fan­tas­tique que les rela­tions humaines tout sim­ple­ment, y com­pris une étude éton­nante du per­son­nage de la Fille d’Indra, inter­prétée par trois comé­di­ennes d’âges dif­férents, la jeune fille, la femme adulte et la femme vieil­lis­sante. C’est aus­si dans le théâtre de Strind­berg, que Bergman retrou­ve l’atmosphère du début du siè­cle, qui imprég­nait encore la mai­son du pas­teur où il a vécu son enfance, trem­blant devant le père et devant Dieu-le-Père, et qui hante depuis la plu­part de ses films.

Le milieu claus­tro­pho­bique de la famille, qui étouffe les rêves et les pas­sions au prof­it de la cul­pa­bil­ité, c’est le cli­mat que l’on retrou­ve aus­si dans LONG VOYAGE VERS LA NUIT de l’Américain Eugene O’Neill, admi­ra­teur et imi­ta­teur de Strind­berg, que Bergman a mon­té en 1988.

On peut dire que le réper­toire de Bergman après son retour en Suède en 1984 ren­voie à celui d’avant son exil. La con­ti­nu­ité a été vite rétablie. On se sou­vient de la série des grandes mis­es en scène de Strind­berg, LE SONGE (1970), LA SONATE DES SPECTRES (1973) et LE CHEMIN DE DAMAS (1974), qui avaient précédé son exil, et des drames con­tem­po­rains de l’Américain Edward Albee, que Bergman avait intro­duit en Suède avec QUI A PEUR DE VIRGINIA WOOLF (1963). De cette époque date aus­si HEDDA GABLER (1964) de Hen­rik Ibsen, sans doute une des plus belles réus­sites de toute sa car­rière. Le réper­toire bergmanien se lim­ite donc au théâtre Scan­di­nave de la fin du XIXe siè­cle, à Ibsen et à Strind­berg, et aux pièces du réper­toire con­tem­po­rain qui mon­trent des liens de par­en­té évi­dents avec cette tra­di­tion. Cette ligne dans le réper­toire est inter­rompue à des inter­valles plus ou moins réguliers par des essais entêtés de mon­ter Shake­speare et les autres clas­siques (Molière, Büch­n­er, etc.).

Comme tou­jours chez Bergman, que ce soit au ciné­ma ou au théâtre, ce sont les femmes qui intéressent. C’est là peut-être une des raisons pour lesquelles son ROI LEAR ne pou­vait fonc­tion­ner : les filles de Lear ne sont pas assez cen­trales dra­maturgique­ment pour pou­voir sup­port­er tout le poids de l’interprétation de la pièce. De la même manière, faire de HAMLET le drame exis­ten­tiel d’Ophélie ne fonc­tionne pas jusqu’à la fin de la pièce, surtout après la mort au qua­trième acte du sujet d’une telle inter­pré­ta­tion.

En revanche, nous con­nais­sons tous l’obsession de la femme chez Strind­berg, le per­son­nage prin­ci­pal de HEDDA GABLER est une des grandes fig­ures trag­iques du théâtre mod­erne et Mary Tyrone dans LONG VOYAGE VERS LA NUIT réu­nit en elle tous les traits car­ac­téris­tiques de la femme et la mère, la maîtresse et la vierge, le bour­reau et la vic­time, assez pour faire d’elle un des grands per­son­nages dra­ma­tiques du théâtre con­tem­po­rain. Et si, dans LA MARQUISE DE SADE de Yukio Mishi­ma, Bergman fait jouer, en 1989, tous les rôles par des femmes et non pas, comme cela a été fait en France et ailleurs, par des hommes, cela n’a rien d’étonnant.

Si, à l’instar de Strind­berg, Bergman est obsédé par les des­tins féminins, il tient aus­si à ses inter­prètes, nous le savons pour avoir vu ses films, avec une insis­tance presque aus­si obses­sion­nelle. Ain­si, Bibi Ander­son, comé­di­enne fétiche de ses films, qui dans les pièces citées a joué le sec­ond rôle féminin dans QUI A PEUR DE VIRGINIA WOOLF, revient dans le rôle de Mary Tyrone. Lena Olin, la Cordélia de son ROI LEAR, inter­prète aus­si la Fille d’Indra à l’âge adulte dans Le SONGE, et c’est Pernil­la Öster­gren, l’Ophélie de 1986, qui main­tenant fait Nora dans la dernière mise en scène de Bergman, MAISON DE POUPÉE de Hen­rik Ibsen, dont la pre­mière eut lieu le 1er novem­bre 1989.

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Ingmar Bergman
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