Baby Macbeth est un spectacle d’objets en vieil anglais de la compagnie bruxelloise Gare centrale, créé en 2017. Il est destiné à des spectateurs de tous âges, à partir de douze mois. Ce spectacle, interprété et mis en scène par Agnès Limbos, a été conçu pour une jauge d’une cinquantaine de spectateurs, dont une vingtaine de bébés. Il est d’une durée de vingt-cinq minutes : un format tout à fait habituel pour des créations accessibles aux tout-petits, car la concentration se perd au-delà de cette durée1. Le dispositif a été conçu par la scénographe Sophie Carlier et il est inspiré par le théâtre londonien du Globe. Il a également la particularité d’être placé à hauteur d’enfant. En effet, nous nous trouvons ici dans un petit théâtre élisabéthain, avec la présence de bébés sur des chaises hautes, d’enfants assis sur des coussins, et des adultes disposés sur des bancs, jamais éloignés des bébés ou des enfants – de façon à ce que les plus jeunes puissent partager, avec leurs proches, leurs joies ou leurs craintes face à telle ou telle apparition, et cela permet de rassurer les parents également.
Cette création, ouverte à une pluralité de sens, et jouant de (et avec) la proximité des spectateurs, est la première création où Agnès Limbos inclut une adresse au très jeune public. Pour ce faire, elle place la barre très haut et convie les spectateurs à un condensé de l’œuvre shakespearienne. Au sujet de celle-ci, rappelons que c’est un monument du théâtre, et qu’elle est abordée ici comme une métaphore du théâtre, bien qu’elle soit évidemment inconnue des plus jeunes et ne fasse, pour eux, l’objet d’aucune attente particulière. Pour bien des artistes, faut-il le préciser, cette absence d’attente à propos d’une œuvre du répertoire est souvent ce qui les séduit avec le jeune public.
Ici, l’univers shakespearien rencontre l’univers des tout-petits. Cette rencontre est fondamentale. Quant au choix, curieux, de l’ancien anglais, il est aussi audacieux qu’astucieux : il permet d’établir une juste distance entre Agnès Limbos et les petits spectateurs – défi majeur, comme le savent bien tous les artistes ayant œuvré auprès des très jeunes publics. L’équilibre, pour le formuler sommairement, est à tenir. Peu y arrivent tant la gageure est difficile et périlleuse – par ailleurs, l’exercice est plutôt récent2. La scène est une table de manipulation autour de laquelle est assis le public, en arc de cercle. Dans cette table sont incorporés cinq sièges où sont invités de très jeunes enfants préalablement accueillis par l’artiste et costumés. Ces enfants sont les témoins privilégiés du spectacle (et leur place ne manquera pas de troubler les familiers de l’œuvre de Shakespeare, qui savent à quel point son théâtre, et Macbeth en particulier, est hanté par la question de l’infanticide). Face à eux et au reste du public, la marionnettiste va jouer une série de drames miniatures, tantôt sombres, tantôt bouffons, à l’aide d’objets familiers et de figures animées. Ces objets, une centaine, sont pour la plupart des objets de récupération. Parmi eux, un livre imposant, présenté oralement par ce mot : « Shakespeare ! ». Les figures sont des bâtons rudimentaires recouverts de tissus de velours formant d’amples robes et coiffés de petits chapeaux inspirés de la peinture de la Renaissance. Les gestes sont également rudimentaires (tel le lancer, du bout des doigts, d’un petit arbre sur la table, lequel, en en rejoignant d’autres, composera une forêt). Le détournement peut aussi apparaître subitement, mais ici encore en épousant un geste simple, comme lorsqu’une guirlande lumineuse se transforme en bijou une fois placée autour du cou de l’interprète. Deux traits saillants caractérisent ce spectacle marionnettique : d’une part, il y a davantage d’expositions d’objets que de déplacements d’objets ; d’autre part, prime la simplicité (que l’on ne confondra pas avec le simplisme).
Outre les morceaux choisis de l’œuvre de Shakespeare (Macbeth, Roméo et Juliette, Le Songe d’une nuit d’été, Le Roi Lear, Hamlet), le spectacle provoque également une rencontre avec le répertoire musical : chaque courte scène s’accompagne d’une musique originale jouée au piano (avec la présence du musicien sur un côté de la table) inspirée d’œuvres diverses, comme Roméo et Juliette de Prokofiev.
De bout en bout, la dramaturgie est en prise avec un répertoire théâtral (fait rare dans la création pour les très jeunes publics), tant sur le plan visuel que sur les plans vocal et musical. La ligne dramaturgique, épousant le matériau shakespearien, est également fidèle à une esthétique baroque : elle œuvre à ériger un théâtre dans un théâtre, où les tout-petits sont au centre, et dont ils constituent le cœur battant.
Le spectacle s’adresse à la fois aux enfants et aux adultes réunis, tout en ménageant des gestes dont certains trouveront particulièrement un écho chez les enfants (tel s’emparer , comme dans certains jeux de manège d’un objet, ici la couronne d’Écosse accrochée à un fil, au bout d’un bâton tendu au-dessus de leurs têtes). D’autres gestes concernent spécifiquement les adultes – ainsi la fameuse scène, dite du balcon, de Roméo et Juliette, avec des figures surgissant de la poitrine de l’interprète. En effet, le « balconnet » faisant découvrir la poitrine renvoie au « balcon » de la scène shakespearienne – espace littéral, simple de nouveau, et qui provoque bien des rires chez les adultes.
Les enfants ne sont pas sans réaction : ils exultent, s’étonnent, rient beaucoup. Quant aux adultes, ils réactivent des postures d’enfance, le spectacle provoquant par ailleurs de stupéfiantes redécouvertes de l’œuvre pour celles et ceux qui connaissent un peu Shakespeare. Ainsi, enfants et adultes font de l’expérience spectatorielle une expérience à vivre ensemble.
- Les créations pour la petite enfance, encore appelées « théâtre très jeune(s) public(s) », ont en commun – ce qui les distingue de spectacles accessibles à des enfants plus âgés – de proposer des formes courtes, pouvant inclure l’entrée et la sortie du spectacle, outre que beaucoup tournent régulièrement dans des lieux qui ne sont pas exclusivement des théâtres. ↩︎
- Proposer aux plus petits des spectacles en dehors du seul domicile familial est un phénomène à placer dans le sillage de l’histoire du théâtre jeune public, qui prend, institutionnellement en tout cas, son envol plus tardivement, avec des expériences menées dans les années 1980 – 1990, pour s’affirmer, dans une visée artistique, au cours des années 2000. ↩︎