Que faites-vous ensemble ?
Nous, c.-à‑d. Timeau De Keyser, Simon De Winne et Hans Mortelmans, faisons du théâtre ensemble depuis dix ans. Après nos études d’art dramatique, nous ne voulions plus jouer. Pendant un temps, nous avons créé des œuvres abstraites, mais depuis dix ans, le jeu d’acteur et le théâtre sont revenus au cœur de nos activités.
Comment vous êtes-vous trouvés ?
Nous étions dans la même promotion à l’Académie à Gand (KASK). En deuxième année, nous avions 19 ans, et nous avons monté un spectacle ensemble. Ce spectacle a aussitôt été sélectionné pour la catégorie « jeunes talents » au festival Theater Aan Zee, à Ostende. Cette collaboration s’étant bien déroulée, nous avons dès lors monté un spectacle ensemble chaque année.
Quels sont vos objectifs ?
Réaliser du travail à la fois beau et intéressant. Et en outre développer une réflexion autour de la question de ce qui est « beau et intéressant ».
Qui plus est, avoir une compagnie entraîne un aspect très pratique : veiller à ce que tous les acteurs puissent vivre de notre travail. C’est une dimension qui nous préoccupe et qui nous procure à la fois de la satisfaction.
Comment travaillez-vous ?
C’est différent pour chaque spectacle. Avant, il y avait uniquement une idée au début. Nous commencions littéralement à partir de rien. Ces dernières années, nous partons d’un texte. Nous ne créons en tout cas rien au préalable : pas de décor, ni de costumes, ni de concept de mise en scène, etc. Le premier jour des répétitions, les rôles ne sont même pas distribués. Tout part des acteurs. Ils sont la matière première. Ensuite, nous voyons comment les acteurs réagissent au texte. Ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas. En observant ce qui se passe, une dramaturgie émerge ainsi qu’un concept de mise en scène. Quand on imagine tout à l’avance, on aboutit à des spectacles sans vie. Nous essayons bien plus de réagir que de mettre en scène. Quand un metteur en scène tente d’être plus intelligent que son spectacle, cela donne en général quelque chose de très prévisible. Il faut prendre du recul. Et bien regarder ce qui se passe, voir ce qu’on ne pouvait pas envisager préalablement.
Comment se prend une décision ?
Les décisions se prennent le plus souvent d’elles-mêmes. Je crois qu’il s’agit plutôt d’ajuster que de prendre des décisions. En général, nous disons à un acteur ce qui est beau dans ce qu’il ou elle fait et que c’est sur cet aspect qu’il ou elle devrait continuer à travailler. Ce qui est moins bon dans son jeu, nous ne le formulons pas et la plupart du temps, ça disparaît. Lentement, un concept plus vaste se dessine, une idée qui chapeaute l’ensemble et à partir de laquelle on peut organiser les éléments. Il s’agit alors de poursuivre cette organisation de manière conséquente jusque dans toutes les ramifications du spectacle. Les costumes, l’usage du texte, la voix, le mouvement, le décor, etc.
Quelle est la vie organique du
groupe ? Qui entre, qui sort ?
(Comment se vit la fidélité ?)
Nous n’organisons jamais d’audition. Quand nous apprécions un acteur et que nous pensons qu’il convient au groupe, nous lui demandons de venir jouer avec nous. Jusqu’à présent, tout le monde a toujours dit « oui ». Nous ne sommes jamais autoritaires. Les spectacles sont toujours portés par le groupe. Pour certains créateurs, le conflit est stimulant. Pas pour nous. Tibaldus est un groupe chaleureux.
La composition d’un groupe d’acteurs est comme la composition d’un groupe de musique. Il faut des gens qui peuvent bien tenir le rythme, des personnes stables. Des personnes capables d’improviser très librement, qui osent mettre le spectacle en danger. Des personnes qui peuvent apporter des accents subtils et qui sont douées pour les solos. Un groupe d’acteurs dans lequel chacun joue le premier violon n’est pas intéressant. Ce qui compte, c’est la façon dont les acteurs sonnent conjointement.
Quelle est la durée de vie
de cette association ?
Avec Simon et Hans, je travaille donc depuis dix ans. Au cours des dernières années, nous avons travaillé avec quelque vingt-cinq actrices et acteurs différents. La plupart d’entre eux ont joué dans plus d’un spectacle de Tibaldus.
Quelles sont vos influences
(théâtrales et non théâtrales) ?
Le monde du théâtre est un petit monde. Nous connaissons donc peu ou prou personnellement la plupart des gens de théâtre en Flandre. Cet aspect personnel est souvent dans le chemin quand on souhaite étudier une œuvre. Le travail est trop humain. Il s’agit souvent de séparer l’ego de l’artiste du travail.
Nous sommes surtout influencés par le cinéma. Nous aimons le style de jeu exubérant d’acteurs non professionnels, comme dans les films de Pier Paolo Pasolini ou de Glauber Rocha. Nous choisissons aussi souvent des acteurs sans formation ou des professionnels qui n’appliquent pas sagement les paradigmes du jeu d’acteur. Et nous combinons ceci avec une dramaturgie élaborée et un accent sur la mise en scène, comme dans les films de Jean Renoir et les comédies musicales de Vincente Minnelli.
Y a‑t-il une dimension politique
à votre démarche collective,
un projet politique à affirmer
et défendre ?
À l’origine, oui. Initialement, nous souhaitions travailler en collectif comme alternative à une structure hiérarchique patriarcale. Aujourd’hui, c’est moins le cas. Cette forme d’organisation nous convient tout simplement. Nous nous renforçons mutuellement. Nous nous sentons chez nous lorsque nous sommes ensemble, nous nous complétons sur le plan artistique, ce qui génère du meilleur travail.