Approches d’un espace japonais

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Approches d’un espace japonais

Textes d’Isozaki A rata

Le 24 Avr 1985

A

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Le butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives ThéâtralesLe butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives Théâtrales
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L’e­space-temps au Japon — Ma

Les con­cepts d’e­space et de temps s’ex­pri­ment en japon­ais par un même terme : ma, que le Dic­tio­n­naire des ter­mes anciens d’Iwanami définit comme « l’intervalle naturel entre deux objets (ou plus) au sein d’un ensem­ble con­tinu », ou comme « l’espace délim­ité par les piliers et les cloi­sons (d’une pièce)», ou encore « le délai naturel ou l’in­ter­valle entre deux événe­ments (ou plus) au sein d’un proces­sus con­tinu » — for­mu­la­tions tan­tôt spa­tiales, tan­tôt tem­porelles. Ce mot ma ne reflète donc pas la dif­férence que perçoit l’Oc­ci­dent entre les notions sérielles d’e­space et de temps, le Japon ayant préféré con­sid­ér­er ces deux dimen­sions en ter­mes d’in­ter­valles. Le mot ma s’ap­plique aujour­d’hui à presque tous les aspects de la vie japon­aise, tous fondés sur cette notion cen­trale : ain­si l’ar­chi­tec­ture, les beaux-arts, la musique et le théâtre sont tous appelés des « arts du ma ».

Cette con­cep­tion uni­taire du temps et de l’e­space est peut-être ce qui dis­tingue le plus les formes artis­tiques japon­ais­es des occi­den­tales — tout en parais­sant éton­nam­ment mod­erne dans sa con­ver­gence avec les théories actuelles qui uni­fient l’e­space et le temps.

La per­cep­tion de l’e­space est née de son découpage de l’e­space envi­ron­nant en sur­faces et en vol­umes, découpage qui ne peut que se con­former aux visions de la nature et du cos­mos pro­pres à un moment his­torique don­né. Il se peut que cette con­cep­tion de l’e­space, chez les Japon­ais de jadis, soit née d’un effort pour visu­alis­er et for­malis­er les divinités (kami) dont l’u­nivers entier était cen­sé être imprégné. Ce sont les mou­ve­ments du soleil, perçu comme le kami pri­mor­dial, qui réglaient les grandes divi­sions, tant spa­tiales que tem­porelles : le jour et la nuit, la lumière et l’om­bre, le monde divin et celui des enfers — les Japon­ais retrou­vant ain­si la trace de cette organ­i­sa­tion céleste à tous les niveaux de leur envi­ron­nement naturel. Cer­taines mon­tagnes, cer­tains rochers et arbres étaient ain­si vénérés comme les sym­bol­es des kami divins qui étaient cen­sés habiter ces objets sous la forme d’in­fimes par­tic­ules spir­ituelles. Qua­tre poteaux ou une sim­ple corde par­fois ser­vaient à la fois à pos­tuler le choix d’une demeure par les kami et à sig­naler le site ain­si sanc­ti­fié, générale­ment un espace vierge, où les kami étaient dès lors appelés à descen­dre. L’in­stal­la­tion de tels lieux et l’at­tente de leur avène­ment ont joué un rôle cru­cial dans le développe­ment pro­gres­sif d’une visu­al­i­sa­tion de l’e­space. L’e­space, croy­ait-on, était essen­tielle­ment fait de vide et môme les objets solides com­por­taient des par­ties creuses sus­cep­ti­bles d’ac­cueil­lir les kami qui y descendaient à cer­tains moments, occu­pant ces creux par la force spir­ituelle (ki) de l’âme (kami), et la représen­ta­tion de cette présence occa­sion­nelle don­na lieu à maints efforts artis­tiques. Ain­si on voit que la per­cep­tion de l’e­space se con­fondait avec les événe­ments ou phénomènes qui s’y déroulaient, l’e­space n’é­tant donc perçu qu’en rap­port avec l’é­coule­ment du temps.

Kagami-no-ma (chambre du miroir)
Kaga­mi-no-ma (cham­bre du miroir)

Cette per­cep­tion de l’espace pro­pre aux seuls Japon­ais a entraîné un sens très par­ti­c­uli­er de la vie quo­ti­di­enne ain­si que des formes artis­tiques fon­da­men­tale­ment dif­férentes de celles que l’on ren­con­tre en Occi­dent : alors qu’i­ci le con­cept d’e­space-temps don­nait nais­sance à des images fix­es et absolues d’un con­tin­u­um homogène et illim­ité (chez Descartes par exem­ple), le Japon n’a jamais cessé de con­cevoir l’e­space et le temps comme inter­dépen­dants et omniprésents plutôt que dis­tincts, l’e­space ne pou­vant être défi­ni indépen­dam­ment du temps au sein d’une notion chao­tique et mêlée. De même, l’idée abstraite d’un écoule­ment réguli­er et homogène du temps fit place à une con­cep­tion où le temps n’existe que par rap­port à des mou­ve­ments ou des espaces.

Traduit de l’anglais par Daniel De Bruy­ck­er

Gliss­er

A l’origine, la mai­son de style Shin­den1, le pre­mier style archi­tec­tur­al typ­ique­ment japon­ais, ne com­por­tait qu’une seule grande salle planchéièe2 : c’est seule­ment plus tard que des tata­mi plus con­fort­a­bles furent posés sur ce planch­er, d’abord à l’endroit qui ser­vait de couche, puis pro­gres­sive­ment sur toute la sur­face du planch­er. (…)

Le planch­er ain­si recou­vert de tata­mi intro­duisit une con­tra­dic­tion dans le mode de vie de l’époque : le sol était à la fois un endroit pour s’asseoir et marcher, un peu comme si on mar­chait sur des mate­las.

Or le planch­er est plus sou­ple que la terre battue, et le tata­mi plus sou­ple que le planch­er, de sorte que lorsque l’on marche sur un planch­er ain­si recou­vert de tata­mi, une réac­tion sub­tile se pro­duit : pour peu que l’on appuie les pas. le sol « résonne » et donne l’im­pres­sion de marcher sur un échafaudage insta­ble.

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Isozaki A rata
(Oita, 1931), après avoir été le collaborateur de Tange Kenzo, s'est affirme depuis les années...Plus d'info
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