Pour une sémiotique de l’espace théâtral au Japon

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Pour une sémiotique de l’espace théâtral au Japon

Le 23 Avr 1985

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Le butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives ThéâtralesLe butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives Théâtrales
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Le con­cept d’e­space peut s’en­vis­ager selon deux angles opposés : celui de l’e­space indi­vidu­el sub­jec­tif et celui d’un espace col­lec­tif rel­a­tive­ment objec­tif et quan­tifi­able.

Au sein de chaque cul­ture, l’e­space indi­vidu­el est naturelle­ment flex­i­ble, qual­i­tatif plutôt que quan­ti­tatif, l’e­space où nous vivons nos rêves est si amor­phe qu’on ne peut pas même par­ler de con­tiguïté. L’e­space col­lec­tif, à l’autre extrême, est la base con­ceptuelle sur laque­lle s’or­gan­ise le plus sou­vent toute com­mu­ni­ca­tion poli­tique, sociale et économique.

Chaque cul­ture possède en pro­pre un con­cept col­lec­tif de l’e­space, élaborant par exem­ple ses pro­pres principes pour une mesure sci­en­tifique de l’e­space. Chaque con­cep­tion de l’e­space (indi­vidu­elle, com­mu­nau­taire, urbaine, cul­turelle, admin­is­tra­tive) peut être vue comme un type de texte ou sous-texte d’une cul­ture. C’est dans le cadre de ces sous-textes que les mem­bres d’une cul­ture affir­ment leur iden­tité et puisent dans le code cul­turel par lequel ils com­mu­niquent. S’agis­sant d’une con­cep­tion admin­is­tra­tive ou légale de l’e­space, soit d’un type de sous-texte particulièrement rigide, les mes­sages véhicules par ce code seront plutôt des mes­sages soci­aux ; dans le domaine de l’e­space indi­vidu­el, par con­tre, nous dis­posons de codes plus flex­i­bles, reflétant notre per­son­nalité, dans le cadre desquels nous pou­vons décoder nos pro­pres mes­sages inexprimés.

On peut dire des formes théâtrales qu’elles reflètent un niveau semi-con­scient de la con­cep­tu­al­i­sa­tion de l’e­space, met­tant en rap­port, en un sens, les images spa­tiales de l’imag­i­na­tion col­lec­tive avec notre cadre archi­tec­tonique con­cret.

Dans cha­cun de ces trois cas cepen­dant — espace intérieur, extérieur ou théâtral -, le sujet tend à organ­is­er le sous-texte spa­tial dans le cadre duquel il conçoit sa posi­tion dans le monde selon deux pôles opposés : le cen­tre et la périphérie. Ce sont ces deux ter­mes que nous allons main­tenant exam­in­er.

Hanamichi (pont aux fleurs)
Hanamichi (pont aux fleurs)

Aspects topographiques

On a sou­vent évoqué l’ab­sence d’un espace cen­tral dans les cités rurales du Japon, con­trastant la pau­vreté du schéma urbain japon­ais en parcs et autres lieux col­lec­tifs avec, par exem­ple, la plaza cen­trale caractéristique des cités ital­i­ennes. Alors que dans d’autres cul­tures pau­vres en lieux publics (les cul­tures africaines, entre autres) le marché rem­plit ce rôle d’e­space cen­tral de ren­con­tre, d’échange d’in­for­ma­tions et d’os­ten­ta­tion d’un statut social et poli­tique nou­velle­ment acquis, il sem­ble que dans le Japon pré-mod­erne, le rôle cru­cial soit revenu non à cet espace cen­tral, mais bien à la lim­ite du vil­lage, cet espace ambiva­lent où le « dedans » se fond dans le « dehors » (d’où les con­no­ta­tions à la fois fastes et néfastes asso­ciées par exem­ple au pont bâti sur la riv­ière qui con­stitue cette lim­ite).1

Avant l’ap­pari­tion des tem­ples, de nom­breux vil­lages dis­po­saient d’un édi­fice pub­lic nom­mé jijo-dô, où les prêtres itinérants frayaient avec les vil­la­geois, célébrant les rites d’ex­pi­a­tion de leurs sectes mais aus­si réc­i­tant des con­tes et exé­cu­tant des spec­ta­cles rudi­men­taires, basès sou­vent sur les chan­sons de geste.2 Comme ces prétres-amuseurs col­por­taient égale­ment les nou­velles d’autres régions et de la cap­i­tale, cet espace mar­gin­al et ambigu devint le point de con­tact entre le micro­cosme vil­la­geois et le monde extérieur :en ce lieu de rassem­ble­ment ouvert à divers types de com­mu­ni­ca­tion, l’e­space du dedans se rafraichis­sait au con­tact d’un « air » venu du dehors. Même la célébra­tion des fêtes liturgiques au sanc­tu­aire du vil­lage n’a pu don­ner corps à l’idée d’un espace cen­tral, ceci du fait que ces fêtes avaient lieu selon un strict cal­en­dri­er saison­nier, faisant ain­si pré­domin­er l’aspect tem­porel de la vis­ite des dieux sur son aspect spa­tial.

La cos­molo­gie japon­aise a choisi la mon­tagne pour représen­ter le cen­tre du monde ; mais le sym­bole visuel de la mon­tagne évoque en même temps la mater­nité, comme l’il­lus­tre la légende pop­u­laire de Kin­taro3, élevé par­mi les bêtes sauvages par sa nour­rice et mère adop­tive Yama-Uba (“nour­rice des mon­tagnes »), un mon­stre femelle qui s’i­den­ti­fie avec la déité incar­nant l’e­sprit de la mon­tagne. La mon­tagne fig­u­rait ain­si pour l’habi­tant du vil­lage japon­ais un espace car­di­nal à l’ex­térieur de celui-ci, et ce en fonc­tion d’une triple sym­bol­ique : celle de l’ax­is mun­di, celle du som­met où se rejoignent la terre et le ciel et celle du sein mater­nel. D’où les ten­ta­tives, abon­dantes dans toute la cul­ture japon­aise, de représen­ter la mon­tagne à l’in­térieur du vil­lage :tant les huttes minia­tures sur­mon­tant les habi­ta­tions tra­di­tion­nelles de la région de Kyô­to et Nara que le cimi­er ouvragé des casques de samu­rai ren­voient à la notion de yama et à l’im­age de la mon­tagne, de même encore que le shime-yama (« Mon­tagne au poteau décoré »), où elle est fig­urée par une petite émi­nence cou­verte de sable et souron­née par un mât décoré de ban­delettes de papi­er ou entourée par une corde ten­due entre qua­tre poteaux.4

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Yamaguchi Masao
Yamaguchi Masao, né en 1931, est diplümé de la faculté des lettres de l'Université de...Plus d'info
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