Pour faire s’esclaffer un Japonais, parlez-lui de sexe !

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Pour faire s’esclaffer un Japonais, parlez-lui de sexe !

Entretien avec Don Kenny

Le 21 Avr 1985

A

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Article publié pour le numéro
Le butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives ThéâtralesLe butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives Théâtrales
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Daniel De Bruy­ck­er : Poésie esthéti­sante du nô, hyper-lyrisme mélo­dra­ma­tique du kabu­ki, sar­casmes provo­cants du shô-gek­i­jô, mor­bid­ité ram­pante du butô, sens du sacré et fas­ci­na­tion pour la vio­lence pas­sim… — au hasard de sa fréquen­ta­tion occa­sion­nelle du théâtre japon­ais, l’Oc­ci­dent a bien pu s’en faire une idée d’ensem­ble pass­able­ment sché­ma­tique et qui passe sous silence au moins un aspect cru­cial : la per­sis­tance, de jadis à aujour­d’hui, d’une veine comique pleine de vital­ité et qui est peut-être même plus typ­ique­ment japon­aise que tout le reste !

Don Ken­ny : Absol­u­ment, puisqu’on en retrou­ve la trace dès le pro­to­type mythologique de toute la danse japon­aise, ce fameux numéro, mi-piétine­ment rit­uel, mi-strip-tease, qu’exé­cu­ta une déesse pour faire sor­tir la déesse solaire Amat­era­su de la cav­erne céleste où elle s’é­tait réfugiée1 ; ce Sur quoi on insiste net­te­ment moins, par con­tre, c’est la réac­tion qu’éveil­la cette danse par­mi les divinités assem­blées en céna­cle : un for­mi­da­ble éclat de rire !
Danse comique, donc, et qui a inspiré, via lés miko-mai des vestales shin­to, la danse sam­basô, la plus anci­enne et la plus sacrée par­mi les 257 pièces au réper­toire du kyô­gen, le genre comique asso­cié au drame nô. J’en prof­ite pour régler son compte, au pas­sage, à l’idée peu exacte qu’on se fait des rap­ports entre les deux gen­res, encore aujour­d’hui alors que l’on sait que le nô, loin d’être une créa­tion ex nihi­lo, est en fait la styl­i­sa­tion tar­dive d’un réper­toire bien plus ancien, celui du saru­gaku — théâtre tout à fait comique quant à lui et qui con­serve jusqu’à nos jours par­mi son réper­toire de farces les pro­to­types de nom­breuses pièces du nô. Quant au kyô­gen, lui aus­si dérivé de ces sources médié­vales (le san­gaku, le saru­gaku et le den­gaku, après tout, étaient autant de théâtres fon­cière­ment comiques), il serait plutôt antérieur au nô que l’in­verse2 :dif­fi­cile, dès lors, d’en faire la sim­ple par­o­die légère de son noble com­pagnon, au réper­toire duquel fig­urent curieuse­ment des ver­sions « sérieuses » prob­a­ble­ment ultérieures de cer­taines des pièces les plus archaïques du kyô­gen ! Plutôt que de par­o­die, il vaudrait sans doute mieux par­ler de styles sim­ple­ment con­trastés, encore que même là l’élé­ment comique ne soit pas entière­ment absent du nô le plus raf­finé : ain­si la pièce Uget­su met en scène un vieux cou­ple habi­tant une hutte délabrée qui est au cen­tre de leurs dis­putes, l’homme souhai­tant répar­er le toit de son logis afin de pou­voir jouir pleine­ment du son de la pluie, tan­dis que sa femme n’aime rien tant que con­tem­pler la lune par les fentes du pla­fond !

De même le kyô­gen com­prend aus­si, out­re ses farces les plus typ­iques, de véri­ta­bles petits mélo­drames comme Kawaka­mi3, quelques chefs-d’œu­vre de l’hu­mour le plus noir — dont Aku­ta­gawa et Saru Zatô4 — et un petit nom­bre de pièces authen­tique­ment poé­tiques comme Yüzen5.

On retrou­ve la veine du kyô­gen et des traces de son réper­toire aux orig­ines du kabu­ki :on sait que la danseuse O‑kuni, la fon­da­trice du genre6, tra­vail­lait en col­lab­o­ra­tion avec deux acteurs ama­teurs issus du kyô­gen — dont l’ancêtre de la grande dynas­tie des Kan­z­aburô —dont les farces, d’abord jouées en inter­lude entre les dans­es hyper-sen­suelles de la miko7, ont pro­gres­sive­ment don­né nais­sance à la part dra­ma­tique du kabu­ki tout en adop­tant le sen­su­al­isme des danseuses. Même esthé­tique typ­ique­ment Edo et mêmes emprunts aux trames du kyô­gen dans le raku­go, l’art des con­teurs-fan­tai­sistes du cabaret yose — mais le kyô­gen a aus­si lais­sé sa mar­que jusque dans le shinge­ki brechtien et, plus récem­ment encore, dans le tra­vail de nom­bre de dra­maturges fort influ­encés par le théâtre de l’ab­surde : il n’y à pas si loin, après tout, de Godot à Tsuki­mi Zatô8, si ce n’est une demi-douzaine de siè­cles !

D.D.B. : Et sur quoi fonc­tion­nent tous ces gen­res comiques ? Qu’est-ce qui fait rire lé pub­lic japon­ais ?

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