Portrait de groupe avec l’Odin

Portrait de groupe avec l’Odin

Le trentième anniversaire

Le 19 Déc 1994
Kazuo Ohno. Photo Flora Bemporad.
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Kazuo Ohno. Photo Flora Bemporad.
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Article publié pour le numéro
Lettres aux acteurs-Couverture du Numéro 46 d'Alternatives ThéâtralesLettres aux acteurs-Couverture du Numéro 46 d'Alternatives Théâtrales
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À LA SURPRISE de ses proches, un vil­la­geois déci­da de renon­cer aux hari­cots pour semer des lions. La risée fur générale… Au début, ses champs restèrent stériles, mais, obstiné, le provo­ca­teur n’a­ban­don­na pas ec ain­si, quelques années plus tard, il finie par récolter des lap­ins. Tou­jours pas de lions ! Rien . n’y fic… et notre homme n’en­ten­dit pas rai­son. Des lap­ins, plus beaux, plus laids, mais point de lions ! Une fois le père more, son fils, dans l’in­dif­férence générale, pour­suiv­ie les semailles qui jadis fai­saient glouss­er roue le pays jusqu’au jour où, las, découragé, il déci­da de capit­uler. Alors il replan­ta des hari­cots et il eut des hari­cots. Mais, autour de lui, cha­cun dis­ait : Quel déclin ! Son père semait des lions et, lui, il se con­tente de hari­cots ».

C’est avec cette parabole qu’Eu­ge­nio Bar­ba accueil­lit les invités pour l’an­niver­saire des trente ans de l’Odin. Il s’i­den­ti­fie, nul douce, au père rêveur de lions et obligé de se résign­er aux lap­ins, tout en rap­pelant que, par l’a­ban­don de la gageure démesurée, le fils ren­tre dans le rang. Il y a des défaites par­tielles qui valent plus que l’ac­cord dépourvu de révolte. Le fils sac­ri­fie le demi-rêve accom­pli au prof­it d’une lucid­ité qui restau­re la norme. Bar­ba, lui, déter­miné, annonce que cane que ses pieds pour­ront le main­tenir debout, l’Odin ne dis­paraî­tra pas. Mais, désor­mais, pour le groupe, le pari con­siste à résis­ter à l’e­sprit du temps et non plus à l’in­car­n­er comme lors des utopiques années 60. Bref, com­ment ne pas cess­er de « semer des lions » quand tout invite au réal­isme bien tem­péré !

De l’Odin je con­nais­sais tout, sauf le lieu. Les livres et les spec­ta­cles, mais nulle­ment Holsce­bro qu’au­jour­d’hui le guide du pays désigne comme « la ville d’Eu­ge­nio Bar­ba et son groupe ». Ici, sur une place pas plus grande qu’un mou­choir de poche, se dresse la sil­hou­ette frag­ile de cerce femme de Gia­comet­ti que la mairie acheta au prix d’ef­forts dif­fi­cile­ment con­sen­tis par les con­tribuables, can­dis que sur les bor­ds se des­sine le ter­ri­toire de l’Odin. Juste à côté des pom­piers, voisi­nage sym­bol­ique pour ces incen­di­aires inas­sou­vis.

Au cœur du por­tail orné de fleurs ec de fruits est implan­té le ’ chiffre anniver­saire. La déco­ra­tion ren­voie aux cou­tumes nordiques cout en faisane ressur­gir dis­crète­ment les sou­venirs des années hip­pies. À l’in­térieur du jardin, ici et là, des traces de voy­ages, des affich­es et pho­tos… ailleurs, bib­lio­thèque, cui­sine et salles de répéti­tion. Le lieu témoigne de l’i­den­tité de !‘Odin forgée dans le labeur ec la dis­ci­pline, lieu de tra­vail de même que lieu de retour pour le groupe le plus nomade du siè­cle. Si Holsce­bro ne fut à l’o­rig­ine qu’un refuge, elle a fini par être le foy­er « où nos enfants sont nés » die Bar­ba. Ici, sur cerce marge de l’Eu­rope s’en­racine l’Odin… D’emblée Bar­ba, comme Gro­tows­ki, cher­cha une ville à l’é­cart et ce que la Norvège lui refusa, le Dane­mark le lui accor­da. Aujour­d’hui, les gens d’Hol­ste­bro aiment dire que l’Odin les empêche de s’en­dormir. Insom­ni­aque, il veille à côté des pom­piers aux petites voitures rouges.

L’Odin a fait du local sa terre d’ap­pui et de l’in­ter­na­tion­al sa rai­son d’être. Il a voy­agé, tis­sé des liens, con­sti­tué une galax­ie d’amis donc la présence ici s’in­scrit dans un véri­ta­ble « por­trait de groupe ». Tan­dis que Bar­ba par­le du « fil des noms » sur lequel lui et ses acteurs one sou­vent avancé, le regard se promène dans la salle où il recon­naît les intel­lectuels ital­iens pro­fondé­ment impliqués dans la réflex­ion esthé­tique de l’Odin, les gens de théâtre d’Amérique du Sud, le con­ti­nent de choix, les maîtres ori­en­taux, des sci­en­tifiques et des pro­gram­meurs… il y a aus­si des tach­es blanch­es et l’on s’in­ter­roge alors sur la place qu’oc­cupe l’in­con­nu sur la carre de l’Odin. Cette carre ne définit pas seule­ment un ter­ri­toire avec son cen­tre et ses points périphériques, mais aus­si. une durée, car des col­lab­o­ra­teurs de jadis sont là de même que des amis très jeunes. Bar­ba égrène des noms comme les per­les d’une fidél­ité jamais démen­tie… Plus tard, Iben Nagel Ras­mun­sen, son actrice fétiche, va allumer une poutre et dans le noir de cette chapelle ardente impro­visée, les mores seront évo­qués, les amis autant que les grands dis­parus du théâtre : Bar­rault et Decroux, Cies­lak et Cru­ciani. Les morts de l’Odin. Nos mores.

Photo Georges Banu.
Pho­to Georges Banu.

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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