Rencontre avec Jerzy Grotowski

Rencontre avec Jerzy Grotowski

Le 18 Déc 1994

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Lettres aux acteurs-Couverture du Numéro 46 d'Alternatives ThéâtralesLettres aux acteurs-Couverture du Numéro 46 d'Alternatives Théâtrales
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Je me sou­viens encore de lui, ron­delet et solen­nel, lors de notre pre­mière ren­con­tre en 64 à Milan où il était venu avec Euge­nio Bar­ba présen­ter les réflex­ions ini­tiales de son « Théâtre pau­vre» ; puis trois ans après, en proie à la migraine, dans le cadre tri­om­phal qui accueil­lir à Spolète la douloureuse et ver­tig­ineuse tra­jec­toire du PRINCE CONSTANT, inter­prété par Ryszard Cies­lak. Je me sou­viens de sa mai­greur, de son pro­fil bar­bu et émacié et Je son sac de globe-trot­ter, à la Bien­nale de Venise où il fai­sait ses adieux anticipés, en présen­tant APOCALYPSIS CUM FIGURIS. Dans les années soix­ante, les spec­ta­cles ful­gu­rants du Théâtre Lab­o­ra­toire ont, de Opole à Wro­claw, changé la façon de faire le théâtre. Une fois ceux-ci entrés dans la légende, Jerzy Gro­tows­ki est ensuite passé de la représen­ta­tion à la phase des ren­con­tres inter­per­son­nelles, à cette recherche tou­jours plus pro­fonde, théâ­trale à nou­veau, mais située « à l’autre extrémité de la même chaîne » que Peter Brook a appelée « l’art comme véhicule ». Au Work­cen­ter, créé en 1986 à Pont­ed­era, son tra­vail se pour­suit sans spec­ta­teurs et tend à la fois à per­fec­tion­ner une tech­nique expres­sive et à réin­ven­ter l’ex­pres­siv­ité secrète des chants anciens qu’il fait revivre sous forme de « mys­tères » en guidant la for­ma­tion d’élèves triés sur le volet. Retiré dans son Cen­tre, il dis­tille les ren­con­tres publiques et depuis des années est peu enclin à accorder des inter­views ; il est devenu désor­mais un prophète – le théâtre doit compter avec sa présence invis­i­ble – et s’est con­stru­it une autre légende de par son silence.

Fran­co Quadri

Le choix de l’Italie

D’un cer­tain point de vue, c’est l’I­tal­ie qui m’a choisi ; d’un autre, c’est moi qui ai choisi l’I­tal­ie. Depuis des années, j’avais une sorte de rela­tion théâ­trale liée aux stages aux con­nais­sances, aux milieux cul­turels du pays ; ici, un cer­tain niveau de pen­sée théâ­trale est très vivant. L’I­tal­ie était idéale pour mon type de recherche. C’est Rober­to Bac­ci, le directeur du Cen­tre Théâ­tral de Pont­ed­era avec qui j’ai depuis des années un rap­port d’ami­tié artis­tique, qui, par l’in­ter­mé­di­aire de Car­la Pol­las­trel­li venue me trou­ver aux Etats-Unis, m’a pro­posé de m’in­staller ici, c’est-à-dire d’avoir un endroit pour un vrai tra­vail sur le méti­er de l’artiste per­for­matif et sur son développe­ment à tra­vers l’art.

L’exil

J’ai quit­té la Pologne à cause de « l’é­tat de guerre » qui y avait été proclamé. Pour moi, ça a été une déci­sion inévitable, parce que dans une telle sit­u­a­tion il y a une dif­férence énorme entre diriger (comme le fai­saient les autres met­teurs en scène) un théâtre qui fait des spec­ta­cles pour un vaste pub­lic nation­al – même s’il est financé par un État con­sid­éré comme oppresseur, et diriger (comme moi à l’époque) un lab­o­ra­toire inter­na­tion­al fer­mé, tout en util­isant l’ar­gent d’un pays où sont en vigueur des lois spé­ciales. J’ai obtenu le droit d’asile aux États-Unis.

Le théâtre de notre siècle

Si je jette un regard his­torique sur ce siè­cle de théâtre, par­mi les choses impor­tantes, je vois tout d’abord la pre­mière grande réforme, c’est-à-dire Stanislavs­ki, Mey­er­hold, Vakhtan­gov égale­ment, tout ce mou­ve­ment si vivant déclenché par les grands met­teurs en scène russ­es, tan­dis qu’en Europe il y en a eu d’autres comme Craig, Pis­ca­tor, Copeau qui ont représen­té cette époque ; et d’une manière com­plète­ment dif­férente, non ordon­née, folle, vision­naire, Artaud a joué un grand rôle. C’est la pre­mière grande réforme de théâtre qui a imposé l’ex­is­tence du met­teur en scène, et dans une cer­taine mesure égale­ment celle du scéno­graphe, et le nou­v­el art de l’ac­teur qui com­porte la néces­sité d’ap­pren­dre cer­taines tech­niques, de trou­ver le moyen que les répéti­tions ne se déroulent pas automa­tique­ment et à la hâte, mais de démon­tr­er com­ment l’ac­teur est capa­ble de se dévelop­per, quels rôles il doit inter­préter dans le cadre d’une com­pag­nie théâ­trale per­ma­nente. C’est cette révo­lu­tion qui a créé le grand théâtre européen ; puis, comme tou­jours sur les routes du monde, l’élan s’est affaib­li : la crise économique a con­tribué à faire tomber les grands rêves de la pre­mière grande réforme du théâtre, tan­dis que la guerre se pro­fi­lait à l’hori­zon. Ensuite est arrivée la sec­onde réforme du théâtre, à savoir les années soix­ante, qu’on regarde générale­ment aujour­d’hui avec un sourire un peu pro­tecteur, comme quelque chose de peu sérieux, mais elles ont vu la réal­i­sa­tion de grandes œuvres et l’ap­pari­tion de très grands met­teurs en scène. Et ceux qui sont apparus à cheval entre les deux péri­odes comme par exem­ple Brecht, trop jeune pour la pre­mière réforme et déjà dis­paru avant la sec­onde, ont beau­coup influ­encé cette dernière. Les grandes per­son­nal­ités de cette réforme ont été Peter Brook, Bob Wil­son, André Gre­go­ry, Joe Chaikin, Julian Beck et Judith Mati­na, Peter Schu­mann, Tadeusz Kan­tor, et un peu plus tard Euge­nio Bar­ba et Ari­ane Mnouchkine.

Je voudrais soulign­er le grand rôle des Améri­cains durant cette péri­ode. Mais la deux­ième réforme a subi égale­ment la même fin que la pre­mière ; c’est-à-dire que les années soix­ante ont été des années opu­lentes, la péri­ode des vach­es grass­es, et ceci a aidé à obtenir de l’ar­gent pour la recherche ; mais déjà les années qua­tre-vingt ont été désas­treuses, par­ti­c­ulière­ment en ce qui con­cerne le théâtre, pas telle­ment à cause des dif­fi­cultés économiques, mais en prenant comme pré­texte ces dernières. En Amérique surtout, le théâtre comme ensem­ble,c’est-à-dire comme com­pag­nie per­ma­nente, a presque dis­paru, parce que la péri­ode de répéti­tion est tou­jours plus brève et con­traint les acteurs à utilis­er ce qu’ils savent déjà, alors que la créa­tiv­ité c’est décou­vrir l’in­con­nu. Il arrive que les spec­ta­cles pré­parés pen­dant une longue péri­ode et sans final­ité com­mer­ciale soient des ini­tia­tives privées des acteurs et du met­teur en scène, comme par exem­ple le splen­dide ONCLE VANIA mis en scène par André Gre­go­ry à New-York. La vie de la com­pag­nie théâ­trale per­ma­nence a été presque minée, spé­ciale­ment en Amérique. Mais en Europe et en Ital­ie aus­si, le théâtre comme esem­ble est men­acé.

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