“Notre Besoin de consolation est impossible à rassasier”

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“Notre Besoin de consolation est impossible à rassasier”

Le 1 Sep 2020
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, création 2020, texte Stig Dagerman, conception et interprétation Simon Delétang, création musicale et interprétation Fergessen (Michaëla Chariau et David Mignonneau), Théâtre du Peuple, Bussang. Photo de Jean-Louis Fernandez.
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, création 2020, texte Stig Dagerman, conception et interprétation Simon Delétang, création musicale et interprétation Fergessen (Michaëla Chariau et David Mignonneau), Théâtre du Peuple, Bussang. Photo de Jean-Louis Fernandez.

Fin août à Bus­sang, virage vers l’automne. Le mythique Théâtre du Peu­ple ouvre ses portes – lit­térale­ment, comme sou­vent dans ce lieu-cabane à la Thore­au – pour une représen­ta­tion du texte de Stig Dager­man.

Notre besoin de con­so­la­tion est impos­si­ble à ras­sas­i­er.

Le poème est à l’aune de ce titre-man­i­feste. Mélan­col­ique, pro­fond, som­bre et lumineux, d’une den­sité ver­tig­ineuse… Nous sommes sur le plateau à prox­im­ité des inter­prètes :  Simon Delé­tang, maître des lieux, acteur et met­teur en scène, avec Michaëla Chari­au et David Mignon­neau (groupe Fer­gessen), com­pos­i­teurs et inter­prètes en direct de leur musique. Devant nous, la salle vide et l’édifice en forme de navire ren­ver­sé. Der­rière nous, la célèbre ouver­ture wal­di­enne avec son « hêtre remar­quable », c’est-à-dire classé comme un Mon­u­ment His­torique naturel.

Thore­au avait encore la forêt de Walden – mais où est main­tenant la forêt où l’être humain puisse prou­ver qu’il est pos­si­ble de vivre en lib­erté en dehors des formes figées de la société ?

Stig Dager­man, Notre besoin de con­so­la­tion est impos­si­ble à ras­sas­i­er, Actes Sud, 1955 pour le texte orig­i­nal, 1981 pour la tra­duc­tion française.
©JeanLouisFernandez0.

Orchestrée par Simon Delé­tang, le texte de Dager­man résonne haut et clair dans ce théâtre han­té par la mémoire de Mau­rice Pot­tech­er. On peut d’ailleurs se recueil­lir devant la tombe de ce dernier dans le jardin, et Simon recon­naît le faire avant chaque spec­ta­cle, pour s’attirer ses bonnes ondes. Il paraît que ce haut lieu du théâtre pop­u­laire, bâti à la fin du XIX e siè­cle et dirigé pen­dant plusieurs décen­nies par un des pio­nniers de la décen­tral­i­sa­tion, abrite de belles âmes vos­gi­en­nes et autres spec­tres dra­ma­tiques : celle de Pot­tech­er bien sûr, natif de Bus­sang (1867 – 1960), mais aus­si les esprits de Shake­speare ou Fey­deau1.

Simon Delé­tang tient égale­ment aux voies du présent. Plus con­quis par le bâtis­seur vos­gien et sa vision human­iste d’un théâtre pop­u­laire, que par son pro­jet lit­téraire, le jeune directeur nom­mé en 2017 per­pétue et renou­velle l’aventure avec pas­sion. Il pour­suit la tra­di­tion en invi­tant des ama­teurs pour les créa­tions esti­vales. Entière­ment con­stru­it en bois, aux abor­ds d’une colline arborée, l’édifice a des airs de datcha tchekhovi­enne. D’heureux auteurs y élisent égale­ment domi­cile pour des rési­dences d’écriture.

Des spec­ta­teurs qui vien­nent aus­si bien des Vos­ges et de Lor­raine que de la Suisse toute proche, fréquentent avec fidél­ité ce lieu de nature et de cul­ture pour tous. Dans cette veine, Simon Delé­tang leur a d’ailleurs con­coc­té en 2019 un pro­jet poé­tique hors norme, qui sera repris l’an prochain : un par­cours autour de Lenz pour marcheur invétéré. Au départ de Bus­sang, Simon Delé­tang avait alors tra­ver­sé les Vos­ges com­tois­es pour rejoin­dre le Bal­lon d’Alsace, et lu chaque soir  le texte mythique de Georg Büch­n­er, de vil­lage en vil­lage…

©JeanLouisFernandez0.

Avec Stig Dager­man, c’est une autre expéri­ence qu’il offre aux publics. Une plongée philosophique et poé­tique, une réflex­ion pro­fonde sur la vie et la mort, pro­posée par l’écrivain sué­dois (sui­cidé en 1954). Dans sa mise en espace épurée, le comé­di­en-met­teur en scène livre posé­ment les mots de l’auteur, sans pathos, en mar­quant des temps néces­saires à l’écoute de ce texte ver­tig­ineux. La ques­tion du sui­cide et de la lib­erté comme corol­laire est posée, irré­solue. Celle de la dépres­sion et du sel de la vie aus­si. Pour accom­pa­g­n­er cette lec­ture au micro, le groupe Fer­gessen a com­posé une musique autour d’un frag­ment qui revient en boucle, « En atten­dant le bon­heur ». Avec leurs belles voix rauques et douces à la fois, leur univers mélan­col­ique et roman­tique sur fond de musique élec­tro-rock, Michaëla et David ten­tent d’ouvrir un chemin vers l’espoir.

Telle est ma seule con­so­la­tion. Je sais que les rechutes dans le dés­espoir seront nom­breuses et pro­fondes, mais le sou­venir du mir­a­cle de la libéra­tion me porte comme une aile vers un but qui me donne le ver­tige : une con­so­la­tion qui soit plus qu’une libéra­tion et plus grande qu’une philoso­phie, c’est-à-dire une rai­son de vivre.

Stig Dager­man 
©JeanLouisFernandez0.

  1. « Mau­rice Pot­tech­er a écrit pour le Théâtre du Peu­ple un réper­toire de plus cinquante pièces, dont l’unité repose sur la sim­plic­ité et la lis­i­bil­ité des enjeux dra­ma­tiques. Son réper­toire célèbre tout à la fois l’attachement à la terre vos­gi­en­ne et lor­raine, l’appel à la réc­on­cil­i­a­tion et la con­damna­tion de toute forme de divi­sion au sein des com­mu­nautés humaines. Ces valeurs human­istes et chré­ti­ennes sont portées par une langue poé­tique, qu’elle soit en vers ou en prose. La visée morale de ces textes explique en par­tie le pro­gres­sif décalage dont le Théâtre du Peu­ple souf­fre dans la sec­onde moitié du XXe siè­cle. À par­tir de 1973, le réper­toire s’ouvre à d’autres auteurs (Shake­speare, Beau­mar­chais, Tchekhov, Brecht, Ibsen…) et l’exigence artis­tique asso­ciée au théâtre d’art est main­tenue. Aujourd’hui, les pièces présen­tées mêlent grands textes du réper­toire, œuvres con­tem­po­raines et com­man­des de pièces écrites spé­ci­fique­ment pour le lieu, renouant ain­si avec la tra­di­tion pot­teche­ri­enne. ↩︎
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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