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JE NE SAIS PLUS s’il y avait une question précise préalable à l’entrevue. J’ai le souvenir, lors d’une réunion de rédaction, que l’on avait évoqué la visite d’un lieu mental, d’un champ privilégié de théâtralité personnelle – espace physique ou abstrait, peuplé ou déserté – où la parole s’écrirait d’abord pour être proférée et ce faisant, donner bouches et corps, sens et action à des êtres de mots. Viendrait ainsi l’exploration de cette population d’individus, posés fatalement comme autant de miroirs face à la tête qui les pense, porte-parole obligés de ce que l’auteur ne dit que par eux. De là le risque que rien d’autre ne sorte de la bouche de l’auteur que ce qu’il fait dire à ses personnages. L’ennuierais-je donc à lui demander de sous-titres ses pièces ? Non. Je n’ai jamais su ce qui a fait qu’à chaque rencontre, à un moment très précis, j’ai eu immanquablement l’impression que l’auteur répondait à cette question que pourtant je n’avais pas posée. Il était au centre même de cette interrogation, avec pour réponse improbable, un constat qu’il formulait comme un aveu. Nous étions en somme, dans ce lieu mental indéfinissable où la question du pourquoi j’écris pour le théâtre ou pour qui et comment peut se poser en toute inquiétude. Loin du commentaire, voilà donc leurs paroles d’auteurs. Comment ne pas y reconnaître, surtout dans celles qui simulent une réponse structurée, cet aveu qui définit l’origine même de leur écriture dans l’impuissance à répondre au pourquoi ?
A l’écoute, seulement, je revois leurs yeux. Mobiles jusqu’au frémissement. Désarmants d’être à ce point capables de rester si consciencieusement tournés vers l’intérieur. Regardant dedans comme ils font lorsqu’ils sont seuls, puis soudain revenant vers moi, l’intrus, pour me chuchoter d’un sourcil parti en éclaireur : « Ce que tu es venu entendre, ça ne se dit pas comme ça, si je parle, c’est parce que tu souris, parole d’auteur ».
- William Shakespeare, LA TEMPÊTE. ↩︎