Le théâtre est d’abord un spectacle

Le théâtre est d’abord un spectacle

Entretien avec Liliane Wouters

Le 12 Oct 1995

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Werner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives ThéâtralesWerner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives Théâtrales
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PIETRO PlZZUTI : Devant la page blanche, qu’est-ce qui a fait que vous écriv­iez pour le théâtre ? Quelles sont les images de votre théâtre ?

Lil­iane Wouters : Les per­son­nages. C’est tou­jours par eux que cela com­mence. Des per­son­nages que je visu­alise, dont j’ai une per­cep­tion très physique et qu’il faut que je nomme.

A l’o­rig­ine, il y a eu Claude Eti­enne1, c’é­tait en 1963. Il m’a envoyé une let­tre dans laque­lle il me demandait de lui écrire une pièce. J’ai été extrême­ment sur­prise· je ne le con­nais­sais pas per­son­nelle­ment, il ne savait pas si j’é­tais capa­ble d’align­er deux répliques et il me demandait une pièce ! En fait, depuis très longtemps, je pen­sais au théâtre, je fai­sais même plus qu’y penser, j’avais des débuts de pièces dans mes tiroirs, j’avais écrit de cour­tes comédies à l’é­cole, vers treize­ qua­torze ans, et elles avaient été jouées lors de fêtes sco­laires. Mais, curieuse­ment, je n’o­sais pas me lancer « pour de bon » dans l’écri­t­ure dra­ma­tique. On peut dire que Claude Eti­enne a été un catal­y­seur. Je lui ai répon­du affir­ma­tive­ment et je l’ai ren­con­tré. J’ai com­pris alors pourquoi il avait con­fi­ance : « Il y a des per­son­nages dans vos poèmes ». C’é­tait vrai, ça ne l’est plus guère aujour­d’hui, sans doute parce que je les con­duis immé­di­ate­ment dans leur lieu naturel : à la scène.

Vous voyez que les per­son­nages étaient déjà le moteur de l’ac­tion dra­ma­tique, ils le sont tou­jours. Même précédés de quelque thème, de quelque vague, très vague idée, eux seuls don­nent corps à la pièce.

P. P.: S’ag­it-il d’un théâtre de poète ?

L. W.: Oui et non. Prenez LA SALLE DES PROFS, elle n’a rien de poé­tique. Là, c’est d’abord le thème qui m’a ten­tée, l’en­vie d’écrire une pièce sur les enseignants. Il me fal­lait un lieu unique, j’ai immé­di­ate­ment pen­sé à la salle où ils se réu­nis­sent, boivent du café, cor­ri­gent des copies, etc. Ce n’est qu’à ce stade que j’ai pen­sé aux per­son­nages. J’ai cher­ché des types très courants, j’en ai fait des amal­games, j’ai dressé leur carte d’i­den­tité, il ne s’agis­sait pas de rêver mais de ser­rer de près ce que j’avais vu.

J’ai par­lé de per­cep­tion physique. Il faut que celle-ci soit très forte, que je voie les per­son­nages et aus­si : que j’en­tende com­ment ils par­lent. C’est à la fois visuel et audi­tif. Et pour que leur présence s’im­pose, il est urgent de les nom­mer. On ne dira jamais assez le rôle du nom. Regardez autour de vous : les gens qui s’in­téressent vrai­ment aux êtres deman­dent tou­jours leur nom. Avoir un nom, c’est exis­ter. Dans les camps, les pris­on­niers n’é­taient plus que des numéros.

Dans mon théâtre, il existe un lien entre le nom et l’aspect physique. Je ne conçois pas l’un sans l’autre. Prenez L’ÉQUATEUR. Vous y trou­vez un cap­i­taine de bateau très matéri­al­iste, un bon vivant, qui ne se pose pas trop de ques­tions, un san­guin qui pompe l’air autour de lui, il lui fal­lait un nom tout rond mais dur. D’in­stinct, j’ai choisi « Budoc ». Réflex­ion faite, au plan de la tech­nique poé­tique, cela donne une rime mas­cu­line. Et les rimes mas­cu­lines de ce type ont un impact plus fort que les rimes féminines, même dans des noms mas­culins. Prenez Octave, Alces­te ou Cli­tan­dre et com­parez.

Par­fois, je suis influ­encée par une sym­bol­ique, des références. La femme de Budoc s’ap­pelle Hilde­garde à cause d’Hilde­garde de Bin­gen, grande mys­tique rhé­nane. Il y a, d’une part, l’eau – ici le Rhin –, d’autre part le côté religieux, prophé­tique. Dans la pièce, Hilde­garde a des crises pen­dant lesquelles elle par­le en vers et prédit l’avenir. D’où la référence.

Dans L’ÉQUATEUR, la symholique est d’ailleurs omniprésente. La pièce se passe en mer et, d’une part, tous les noms ont un rap­port avec l’eau, d’autre part, ils ont leur sig­ni­fi­ca­tion pro­pre. J’ai déjà par­lé d’Hilde­garde. Quant à Budoc, c’é­tait un saint bre­ton dont la légende dit qu’il voy­agea dans un ton­neau (Budoc, tout rond, le ton­neau). Jonas, c’est le per­son­nage biblique que la baleine avale au cours d’un naufrage. J’ai oublié l’o­rig­ine de Nix,je sais seule­ment qu’elle a quelque chose à voir avec une divinité marine mal­faisante. Ajoutez à cela qu’il est nihiliste et que le son « nix » ressem­ble au « niets » (rien) néer­landais, ou à son équiv­a­lent alle­mand : nichts. Lady Mor­gan, c’est un clin d’œil à la fée Mor­gane, fée bre­tonne, clone liée à l’océan…

P. P.: Une fois les per­son­nages nom­més, d’où naît leur dia­logue ?

L. W.: Il s’établit très vite, intu­itive­ment, ce n’est pas une démarche intel­lectuelle. J’ai remar­qué que les débuts de scène ont sou­vent l’air de sor­tir d’un con­texte, comme si je pre­nais la con­ver­sa­tion au vol, en plein dans son cours. J’ai aus­si remar­qué que je par­tic­i­pais physique­ment à ces cüa­logues, par un cer­tain mimétisme.

P. P.: Vos per­son­nages ont vos opin­ions ?

L. W.: Surtout pas, ils ont les leurs. Bien sûr que je leur donne une part plus ou moins grande de moi, c’est fatal, mais je peux aus­si met­tre en scène quelqu’un qui se trou­ve aux antipodes de ma nature. Cela per­met de faire enten­dre des choses que l’on ne dirait – ne penserait – jamais.

Bien enten­du, chaque per­son­nage a une façon per­son­nelle de s’ex­primer, voire des manies, des tics. Dans LA SALLE DES PROFS, par exem­ple, Madame Fir­quet, l’in­sti­tutrice popote, qui ne lit que des mémoires de vedettes, ne par­le pas comme Made­moi­selle Jau­main, capa­ble de citer Oscar Wilde.

Une chose épou­vantable, ce sont ces pièces vis­i­ble­ment bâties autour d’une idée (comme si le théâtre était une idée!), où tous les per­son­nages s’ex­pri­ment de la même façon, ce n’est pas pos­si­ble, ça ne passe pas la rampe. Ce genre de théâtre est d’ailleurs sou­vent le fait d’in­tel­lectuels purs et durs. Il ne faut jamais oubli­er qu’a­vant d’être une œuvre lit­téraire, le théâtre est d’abord un spec­ta­cle.

P. P.: Avec ou sans rap­port avec le réel ?

L. W.: C’est selon. Pour LA SALLE DES PROFS, j’ai dû tra­vailler en plein réal­isme. J’avais un matéri­au vécu impor­tant, je l’ai exploité. Tout en prenant dis­tance. On me demande sou­vent si j’ai peint les per­son­nages tels quels, si c’é­taient mes col­lègues. « Avez-vous con­nu Mon­sieur Van­dam ?» J’ai con­nu plusieurs Mon­sieur Van­dam, c’est-à-dire des insti­tu­teurs de ce genre, ou du genre Fir­quet – ô com­bi­en ! – ou du genre Dini, mais aucun d’eux n’est inspiré par tel ou tel col­lègue. Cha­cun est une super­po­si­tion de vis­ages fam­i­liers, cha­cun représente un type pré­cis – et courant – d’en­seignant de l’é­cole pri­maire. Je me suis beau­coup amusée en écrivant cette pièce. Comme je me suis beau­coup amusée en écrivant récem­ment une autre comédie inti­t­ulée MOHAMMED ET JULIETTE.

La plu­part de mes pièces relèvent plutôt du genre poé­tique. Le sym­bol­isme y a plus de poids que la réal­ité. EUes sont aus­si moins con­stru­ites. Ain­si VIES ET MORTS DE MADEMOISELLE SHAKESPEARE, pièce exces­sive, dés­espérée, fut écrite dans une péri­ode dif­fi­cile de mon exis­tence, j’avais beau­coup de choses à régler, j’ai abor­dé cette pièce comme une sorte de psy­ch­analyse sauvage. Ça m’a fait du bien.

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Liliane Wouters
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