Léa Drouet : Faire confiance à ce qui nous touche

Théâtre
Portrait

Léa Drouet : Faire confiance à ce qui nous touche

Le 25 Déc 2020
Frédéric Bernier, Madeleine Fournier, Catherine Hershey, Simon Loiseau, Marion Menan et Bastien Mignot dans Boundary Games, mise en scène Léa Drouet, créé au festival Performatik, Kanal-Centre Pompidou (Bruxelles)
Frédéric Bernier, Madeleine Fournier, Catherine Hershey, Simon Loiseau, Marion Menan et Bastien Mignot dans Boundary Games, mise en scène Léa Drouet, créé au festival Performatik, Kanal-Centre Pompidou (Bruxelles)
Frédéric Bernier, Madeleine Fournier, Catherine Hershey, Simon Loiseau, Marion Menan et Bastien Mignot dans Boundary Games, mise en scène Léa Drouet, créé au festival Performatik, Kanal-Centre Pompidou (Bruxelles)
Frédéric Bernier, Madeleine Fournier, Catherine Hershey, Simon Loiseau, Marion Menan et Bastien Mignot dans Boundary Games, mise en scène Léa Drouet, créé au festival Performatik, Kanal-Centre Pompidou (Bruxelles)
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Bruxelles, ce qui s'y trame
142

En écrivant aujourd’hui cet arti­cle au sujet du tra­vail de Léa Drou­et*, que j’assiste depuis la créa­tion de Bound­ary Games (2017), je mesure à quel point ses hypothès­es de créa­tion nour­ris­sent une atten­tion par­ti­c­ulière à pren­dre soin de ce qui l’entoure. Hypothès­es organ­isées par des inter­prètes agis­sants dans leurs rap­ports et sur l’espace dans Bound­ary Games ou par une parole soli­taire, habitée par ses fan­tômes et son besoin de jus­tice dans Vio­lences ou encore incar­nées par la prise de risque d’un groupe de ska­teurs avec Mais au lieu du péril croit aus­si ce qui sauve et par l’occupation errante d’une gare désaf­fec­tée dans Déraille­ment ou depuis peu par le dessin d’un lieu de théâtre au 210, Léa Drou­et n’a de cesse de vouloir penser et panser ce qui la tra­vaille intime­ment. Et ceci se résume — s’il fal­lait intro­duire notre dia­logue par sa fin car il sem­blerait depuis quelques mois que pren­dre les choses à rebours serait sans doute une manière saine d’éviter le piège du con­fort­able lieu de la con­clu­sion aveu­gle — j’introduirai donc notre échange par cette phrase de Léa : « il s’agit de faire con­fi­ance à ce qui nous touche ».

Léa Drouet dans Violences, mise en scène Léa Drouet, création au Centre dramatique national de Nanterre- Amandiers, septembre 2020. Photo Cindy Séchet.
Léa Drou­et dans Vio­lences, mise en scène Léa Drou­et, créa­tion au Cen­tre dra­ma­tique nation­al de Nan­terre- Amandiers, sep­tem­bre 2020. Pho­to Cindy Séchet.

Ce qui touche Léa a tout à voir avec la volon­té de remet­tre de la vital­ité aux fix­ités mal­heureuses dans lesquelles nous nous tenons par­fois. Des prob­lé­ma­tiques migra­toires à celles des assig­na­tions iden­ti­taires, des affects tristes aux sen­ti­ments d’impuissance, des désirs d’hospitalités face aux incon­forts de l’altérité, de l’amour pour l’intelligence col­lec­tive con­fron­tée aux con­di­tions lib­er­ti­cides, sa recherche pro­longe son engage­ment et pose une forme d’activisme déli­cat dans le champ qui lui est pro­pre, l’espace théâ­tral. Espace qu’elle ouvre et déplace du plateau (Vio­lences) à la rue (Squig­gle, per­for­mance-con­ver­sa­tion dans l’espace pub­lic à Athènes), de l’atelier (Bound­ary Games à Nan­terre-AMandiers) au Skate Park (Mais au lieu du péril croit aus­si ce qui sauve, KFDA).

Ce désir de déplace­ment et d’attention à ce qui demeure affec­té en elle n’est pas un leurre d’empathie pétrie de bonnes inten­tions ou de douceur recou­vrante mais bien au con­traire
une atten­tion poli­tique claire et attachée à la puis­sance de ren­verse­ment pos­si­ble de nos regards et de nos gestes. Faire con­fi­ance à ce qui nous touche dans la manière dont nous pou­vons sup­port­er le monde dans toute la poly­sémie de ce verbe. Faire con­fi­ance à nos seuils d’intolérance. Faire con­fi­ance aux points incon­fort­a­bles qui per­sis­tent dans l’inquiétude et leur tir­er les vers du nez avec le plus de pré­ci­sion pos­si­ble.

J’emploie cette image sans inno­cence, car oui il s’agit à mon sens de pen­sées en forme de par­a­sites, d’habitantes, de ce qui grouille en nous de soulève­ment comme de gêne au lieu-même de nos vital­ités, de nos mal­adies sociales, de nos plaies poli­tiques, de nos his­toires de famille et de celles des autres qu’on aimerait voir se rassem­bler ou au con­traire se diluer, de ces murs qui hantent, empêchent, con­cen­trent et divisent à la fois, de ces héritages trou­bles ou vidés par le poids des silences, de nos obses­sions à décon­stru­ire pour tenir puis re-con­stru­ire si pos­si­ble ou sim­ple­ment laiss­er vivre.
Autrement dit, c’est la con­sid­éra­tion des para­dox­es faisant nos vies con­tem­po­raines (et l’actualité le crie plus que jamais) que Léa Drou­et se pro­pose de tra­vers­er et de ques­tion­ner avec les spec­ta­teurs.

Nous, nos, notre… comme autant de ter­mes me per­me­t­tant d’écrire ici à quel point ce que Léa Drou­et cherche dans son écri­t­ure du plateau est d’une pro­fondeur qui se partage et s’expérimente car ce dont elle « par­le », pourquoi et avec qui elle « par­le » pour­rait bien être un « nous » en forme de ques­tion.

Ce « nous » ques­tion­né, exposé, ren­ver­sé et en dia­logue avec la pen­sée de Camille Louis, dra­maturge des dernières pièces de Léa Drou­et et co-fon­da­trice du col­lec­tif kom.post, n’a rien de com­plaisant. Il mène au con­traire dans les zones déli­cates de l’expérience du dis­sensus et de l’apparition des sin­gu­lar­ités au lieu-même du com­mun. Par­tic­u­lar­ité qui opère d’ailleurs tout autant sur le plateau qu’à son alen­tour, c’est à dire dans les modes même d’invention et de dia­logue que rend pos­si­bles — encore- la créa­tion artis­tique, des pre­mières pier­res de l’écriture au partage avec les spec­ta­teurs.

Savoirs, savoir-faire, intu­itions, affects et émo­tions ont ici la place de se crois­er et de s’épaissir les uns les autres. C’est un savoir bien par­ti­c­uli­er que celui de la mise en scène chez Léa Drou­et car il appelle l’implication respon­s­able de chaque sin­gu­lar­ité qu’elle con­voque, de la créa­tion musi­cale (Èlg, Yann Leguay, Jean-Philippe Gross, David Stampfli) à la scéno­gra­phie (Élodie Dau­guet, Gaë­tan Rus­quet) en pas­sant par la dra­maturgie (Camille Louis), la lumière (Gégo­ry Rivoux, Léonard Cornevin, Math­ieu Fer­ry), l’administration (France Morin), l’assistanat mais aus­si l’implication sin­gulière des spec­ta­teurs eux-mêmes (assis sur des prat­i­ca­bles en archipel, déam­bu­lant dans une gare ou par­tic­i­pant à une con­ver­sa­tion à l’intérieur d’une cabane en con­struc­tion).

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Laurie Bellanca
Laurie Bellanca est lectrice, comédienne et assistante à la mise en scène pour differents metteurs...Plus d'info
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