De Max, une star est de retour

Théâtre
Portrait

De Max, une star est de retour

Le 20 Jan 2021
Parution, Claudette Joannis.
Edouard de Max, Gloire et décadence d’un prince de la scène française (1869 – 1924). 
Collection Saint – Germain des Près Inédit 

Dans ce livre rare Claudette Joan­nis s’engage sur les traces d’un acteur hors pair, Edouard de Max, venu de Roumanie, plus pré­cisé­ment de Iassy, pour s’imposer à Paris et finir dans son refuge hétéro­clite du 66 rue Cau­martin. Lui qui a tant aimé clamer les mots et pro­jeter ses pas­sions, assumera sur le ton de l’aveu tes­ta­men­taire l’association des deux pays entre lesquels son des­tin se noua : « Vive la France ! Vive la Roumanie ! ».

De Max, réputé pour ses per­for­mances auprès de Sarah Bern­hardt ou au sein de la Comédie Française, apprend-t-on ici qu’il s’inscrit par­mi les pio­nniers de l’Avant-garde représen­tée à la fin du XIXe siè­cle par André Antoine, Lugné-Poe, Paul Fort, Adolphe Appia. Qui sait aujourd’hui qu’il fut présent dans la représen­ta­tion de Ros­mer­sholm, la pre­mière pièce d’Ibsen jouée en France ou dans Man­fred, spec­ta­cle réal­isé  par Appia ? Ce livre brouille son homogénéité  de star « académique »  et nous le révèle dans la com­plex­ité de son errance. Et ain­si nous l’aimons davan­tage. Com­ment ne pas être sen­si­ble à son pas­sage du Théâtre de l’œuvre, foy­er de la moder­nité, à celui de « la divine » Sarah ou au Français ? Et com­ment ne pas être sur­pris par cet appel d’Henry Bataille : « Il me faut De Max », exige l’auteur à suc­cès de l’époque. Un écrivain et un acteur aus­si dif­férents… qui l’eût cru !

De Max, nous le savions, déploya presque con­stam­ment l’excès vocal, et sa voix, à gorge déployée, réson­na sur les scènes de France et d’Amérique mais jamais elle ne parvint à un épanouisse­ment aus­si absolu que dans le plein air des arènes de Béziers où il incar­na avec une fougue inouïe Prométhée. Il dis­po­sait, selon les dires éton­nants du maître du « nat­u­ral­isme », André Antoine, du « lyrisme du grand acteur ».  Ses déchaîne­ments ont sus­cité des ent­hou­si­asmes autant que des réserves, comme chez Gide qui l’aime davan­tage lorsqu’il est moins expan­sif et agres­sif, plus retenu. De toute manière « il n’est jamais com­mun » va con­clure Sarah Bern­hardt !  La gloire de De Max ne fut pas unanime­ment célébrée et Claudette Joan­nis, avec dis­cré­tion, inven­to­rie les éloges autant que les piques : De Max, un héros per­cé de flèch­es, tel Saint Sébastien, le patron des homo­sex­uels, dont il se récla­mait avec fran­chise.

Sur tout acteur étranger reste mar­qué le sceau de sa langue mater­nelle. Elle l’habite et per­dure comme une nappe phréa­tique, langue des sources. Pro­pos que De Max con­firme car il n’a jamais pu se dépar­tir de son accent d’origine. Accent qual­i­fié tan­tôt d’«exotique », tan­tôt de « satanique », per­sis­tance roumaine qui ressur­git dans la voix de cet émi­grant ain­si dénon­cé. Elle restera insur­montable sans qu’il veuille pour autant la dis­simuler. Mal­gré le reten­tisse­ment de ses envolées sonores, De Max ne sera pas tout à fait d’ici et ain­si, sur la scène, sa voix attestera vocale­ment sa déchirure. L’accent le préservera de l’intégration inté­grale !

De Max n’a nulle­ment cher­ché à pass­er sous silence, à oubli­er son orig­ine. Et, nous l’apprenons, à Paris il est resté en con­tact avec la Roumanie et ses acteurs, en par­ti­c­uli­er Maria Ven­tu­ra ou avec Mar­ta Bibesco et son fils Antoine dont Proust était épris, mais aus­si avec sa ville natale et son pays à l’heure de la guerre mal­gré l’indécision qui fit entr­er la Roumanie en guerre seule­ment en 1916. Ces aveux implicites d’appartenance et d’intimité avec la colonie roumaine sur­pren­nent chez le dandy qu’il était et le ren­dent encore plus attachant. Il ne fut pas pris­on­nier de son pays de départ, mais il ne se détacha pas de lui comme un ser­pent de sa peau !

De Max fut, explicite­ment, un pio­nnier du com­bat homo­sex­uel. Il ne s’en cacha pas, il s’afficha dans toute sa voca­tion sex­uelle par­fois avec éclat, sou­vent avec humour. Ne dira-t-il pas à Sarah « la patronne », lors d’une scène con­flictuelle : « Madame, je suis aus­si femme que vous » ou à Alice Cocéa qui, après un con­cours raté, éplorée, se blot­tis­sait con­tre lui : « Tu sais, je ne suis pas trop du côté des femmes. Tu me com­pro­mets ! ». Il joua en trav­es­ti dans des cabarets et ne dis­sim­u­la rien, au risque de porter préju­dice à sa car­rière. De Max a séduit Cocteau jeune, Gide ne res­ta pas indif­férent à son aura, mais aucun ne fut présent à son enter­re­ment. De qui s’étaient-ils éloignés : de l’acteur extraver­ti ou de l’homosexuel excen­trique, qui, de con­cert, avaient agité les milieux parisiens ?

De Max a affir­mé con­join­te­ment sa pas­sion du spec­ta­cle et son homo­sex­u­al­itéen affichant la théâ­tral­ité du luxe au quo­ti­di­en : vête­ments extrav­a­gants et acces­soires voy­ants – bou­tons de manchettes, bagues, tabatières – fai­saient par­tie du réper­toire de ses appari­tions parisi­ennes. Cer­tains s’en sont amusés, d’autres, plus cru­els, les ont con­sid­érés comme des résidus provin­ci­aux,  rap­pelant, dis­ait avec mépris l’un d’entre eux,  « le goût d’un pédi­cure de Bucarest ». De Max souhaitait ne pas dress­er une fron­tière entre la scène et la vie, sans cesse il voulait « jouer » tout autant des per­son­nages imag­inés par d’autres que son pro­pre per­son­nage, conçu et assumé par lui ! Comme une star qui, au-delà de la scène, ne cesse pas de « célébr­er » son art et sa biogra­phie. De Max a cul­tivé obstiné­ment leur asso­ci­a­tion. Il se récla­mait ain­si de ce per­son­nage hors-normes qui lui fut cher, de même qu’à Antonin Artaud, Héli­o­ga­bale ! Par son goût pour la déca­dence il s’apparentait à lui et procé­dait à l’expansion du théâtre au-delà du plateau. Pris­on­nier du vis­i­ble, propen­sion de star….

De Max fut un excen­trique et un per­son­nage ludique comme on n’en trou­ve plus aujourd’hui. On le décou­vre ici dans ses per­for­mances théâ­trales et sociales, tou­jours « acteur » dans l’acception la plus noble comme la plus dérisoire. Mais, lui, pris­on­nier nar­cis­sique de lui-même, n’a pas hésité à s’impliquer dans la Grande Guerre, d’un côté ou de l’autre, celui de la France ou celui de la Roumanie ! N’oublions pas cet engage­ment qui le rap­proche de Sarah ! Comme elle, De Max est allé au front, a réc­ité, con­solé des sol­dats plongés dans la tour­mente qui ébran­la l’Europe ! Un acteur au cœur du… Feu !  Feu qui a détru­it tant d’artistes, Apol­li­naire, Braque, Franz Marc…

De Max ne s’est pas dérobé à l‘exercice raf­finé de la réc­i­ta­tion des vers, surtout de Baude­laire, son idole. Séduit par la beauté des vers et attiré par « la malé­dic­tion du des­tin » dont il se sen­tait proche. L’acteur qu’il était, sans nulle pré­cau­tion, aspiré par ce ver­tige enivrant, plongea dans l’intensité de l’univers baude­lairien. Il répon­dit par ailleurs à l’invitation de la comtesse de Bearn et par­tic­i­pa à l’ouverture du Théâtre byzan­tin devenu aujourd’hui le fleu­ron de l’ambassade de Roumanie à Paris.  De Max, un acteur, juif et homo­sex­uel, a hon­oré ce lieu qui préserve encore la bib­lio­thèque de Paul Valéry mais qui a oublié « le prince » de la scène. Les acteurs, c’est leur des­tin ! Ce livre s’y oppose sans rhé­torique mémorielle ! Il invite à retrou­ver des étoiles éteintes comme De Max.

De Max n’a rien dis­simulé, il a tout assumé et affiché. Il fut bril­lant et insup­port­able, déchiré par son « écartèle­ment » entre deux pays, entre des courants artis­tiques opposés, entre deux siè­cles… Il n’a pas cessé de jouer comme un acteur absolu. « Nous n’existons qu’en scène. Toute ma vie tient dans mon art ». Sa scène fut celle du théâtre et celle du monde. Scènes réu­nies dont il a scel­lé avec ardeur les fiançailles. Elles lui ont per­mis de pleine­ment s’accomplir et, égale­ment, elles l’ont cal­ciné.

Ce livre nous per­met de retrou­ver de Max dans sa soli­tude déca­dente, dans son génie atyp­ique, dans sa con­di­tion dou­ble ! Fugi­tive renais­sance d’une légende oubliée !

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Edouard De Max
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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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