Entretien avec Thibault Sinay, Président de l’Union des Scénographes.
Thibault Sinay, vous êtes scénographe et présidez l’Union des Scénographes. À ce titre, vous êtes particulièrement concerné par les évolutions de votre métier face aux problématiques écologiques. Lors du colloque « La nature n’est plus un décor. Opus 1 », organisé par Agnès terrier (Opéra- Comique) et Isabelle Moindrot (Université Paris 8, IUF), les 2 et 3 juin 2021, vous avez évoqué la question du réemploi des matériaux préexistants, qui est l’une des options possibles pour une scénographie écoresponsable. Quels changements induit le réemploi des décors au niveau du processus de création ?
Th. S. Le réemploi de décors préexistants modifie radicalement le processus de création du scénographe, de la conception à la fabrication des décors. L’institution lyrique se positionne comme producteur et demande à l’équipe artistique un rendu de maquette au moins un an avant la création. Mais l’objectif du réemploi des décors interroge justement l’idée même d’une maquette : que peut-on présenter à la direction d’une structure, si on doit d’abord chercher dans le stock de matériaux ? On ne peut pas imaginer des formes, ni concevoir un espace si le projet scénographique dépend principalement de ce qu’on va trouver. C’est d’ailleurs très difficile de travailler dans ce sens. Car le temps du rendu de maquette est lui-même modifié : il implique, avant même sa conception, un temps de recherche dans le stock, et bien sûr un temps de discussions différent avec le metteur en scène.
Le temps de recherche dans le stock de matériaux est complexe. Il faut aller visiter avec les directeurs techniques, chercher ce qui pourrait intéresser, et le montrer au metteur en scène. Si par exemple je travaille sur Carmen de Bizet et que je dois choisir parmi les éléments de décors du Vaisseau Fantôme de Wagner, alors forcément il y aura des éléments qui ne me conviendront pas. Quant aux éléments choisis, je serai obligé de leur donner une esthétique nouvelle, de les rassembler autrement, de les transformer, de les repeindre, et pour cela il faut encore un autre espace-temps, à savoir un temps pour manipuler tous ces éléments et un espace pour les désassembler, les remodeler, avec un atelier de construction et des équipes techniques formées à ce travail.
Si je comprends bien, avec le temps, les ateliers de construction vont devenir des ateliers d’assemblage ?
Th. S. Oui, il faut bien comprendre que tous les opéras n’ont pas d’atelier de construction et tous les ateliers de construction ne veulent pas devenir des ateliers d’assemblage. Or il en faudrait ! Parce qu’il est bien plus compliqué de partir d’un matériau préexistant et de l’emmener dans une direction choisie, que de fabriquer un décor à partir d’une maquette. Si je décide de faire une fenêtre et que je tombe sur une armature de l’autre côté, ou si je transforme un mur préexistant en un plafond, ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux techniques. Pour de telles transformations, il faut jouer sur les contraintes physiques en permanence. Ce nouveau processus de création doit être très suivi, et pour garantir la sécurité de ces nouveaux décors, il faudrait aussi revoir les normes de certification.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur ces normes de certification ? S’agit-il de normes de sécurité ?
Th. S. Oui. Ces normes de sécurité sont définies par la DGSCGC (la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des crises) au ministère de l’Intérieur, car les opéras sont des ERC (établissements recevant du public). Prenons le certificat d’ignifuge. Il est obligatoire pour tous les décors d’obtenir un certificat d’ignifuge, accordé le plus souvent par les pompiers de l’opéra. On utilise pour cela un produit chimique essentiellement constitué de sel de Borre qui rend les structures et matériaux ininflammables. Or la certification d’ignifuge est attribuée pour le décor dans sa totalité. Si je prends un élément du décor au profit d’un nouvel assemblage, il perd sa certification. Je suis donc obligé de reignifuger l’ensemble de mon nouveau décor pour obtenir mon certificat, ce qui est un non-sens car rajouter ce produit chimique n’est pas vraiment un gain de réemploi écologique.
Il n’existe pas d’alternatives à ce produit chimique ?
Th.S. Aujourd’hui, en France, il n’existe pas vraiment d’alternative écologique et personne n’a demandé au ministère de l’Intérieur de réévaluer les conditions d’usage de ce produit pour les ERC, ni à l’industrie de développer un nouveau produit plus écologique.
Le ministère de l’Intérieur jouerait donc un rôle clé dans la question du réemploi du décor ?
Th. S. Oui, exactement car aujourd’hui, aucun directeur technique, à ma connaissance, n’accepterait de faire du réemploi de décors, tant pour la technique que pour les modifications des décors, sans la mise à jour de ces normes de sécurité. Car de nombreuses questions se posent, auxquelles les directeurs techniques n’ont pas les réponses, et ils ne prendront pas de risques tant qu’un bureau d’études n’aura pas tout évalué. C’est cohérent, d’ailleurs. Dans le cas d’un mur transformé en plafond, si ce dernier venait à s’écrouler ou à avoir des défaillances, la question des responsabilités du décor se poserait puisqu’à la base, pour reprendre mon exemple, il n’aurait pas été prévu pour être un plafond mais un mur. En cas d’accident technique, c’est le directeur technique qui sera jugé responsable. Par conséquent, les directeurs préfèrent construire un décor et valider un processus de création garanti plutôt que de se lancer dans le processus du réemploi des décors qui n’auraient pas été initialement conçus pour.
1 commentaire
Jean-Guy Lecat
Je fais du réemploi depuis très longtemps. J’imagine un projet ensuite je cherche dans le stock du théâtre ou de l’opéra ce qui peut servir mon idée et j’ajuste. Pas de problèmes.