La scénographie et les (trop) vastes enjeux de la transition écologique

Entretien
Opéra

La scénographie et les (trop) vastes enjeux de la transition écologique

Le 8 Juil 2021
Scénographie du Barbier de Séville de Rossini (Thibault Sinay), mise en scène Damien Robert, Théâtre des Champs-Élysées, 2017. Photo Thibault Sinay.
Scénographie du Barbier de Séville de Rossini (Thibault Sinay), mise en scène Damien Robert, Théâtre des Champs-Élysées, 2017. Photo Thibault Sinay.
Scénographie du Barbier de Séville de Rossini (Thibault Sinay), mise en scène Damien Robert, Théâtre des Champs-Élysées, 2017. Photo Thibault Sinay.
Scénographie du Barbier de Séville de Rossini (Thibault Sinay), mise en scène Damien Robert, Théâtre des Champs-Élysées, 2017. Photo Thibault Sinay.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145
Entretien avec Thibault Sinay, Président de l’Union des Scénographes.

Thibault Sinay, vous êtes scéno­graphe et présidez l’Union des Scéno­graphes. À ce titre, vous êtes par­ti­c­ulière­ment con­cerné par les évo­lu­tions de votre méti­er face aux prob­lé­ma­tiques écologiques. Lors du col­loque « La nature n’est plus un décor. Opus 1 », organ­isé par Agnès ter­ri­er (Opéra- Comique) et Isabelle Moin­drot (Uni­ver­sité Paris 8, IUF), les 2 et 3 juin 2021, vous avez évo­qué la ques­tion du réem­ploi des matéri­aux préex­is­tants, qui est l’une des options pos­si­bles pour une scéno­gra­phie écore­spon­s­able. Quels change­ments induit le réem­ploi des décors au niveau du proces­sus de créa­tion ?

Th. S. Le réem­ploi de décors préex­is­tants mod­i­fie rad­i­cale­ment le proces­sus de créa­tion du scéno­graphe, de la con­cep­tion à la fab­ri­ca­tion des décors. L’institution lyrique se posi­tionne comme pro­duc­teur et demande à l’équipe artis­tique un ren­du de maque­tte au moins un an avant la créa­tion. Mais l’objectif du réem­ploi des décors inter­roge juste­ment l’idée même d’une maque­tte : que peut-on présen­ter à la direc­tion d’une struc­ture, si on doit d’abord chercher dans le stock de matéri­aux ? On ne peut pas imag­in­er des formes, ni con­cevoir un espace si le pro­jet scéno­graphique dépend prin­ci­pale­ment de ce qu’on va trou­ver. C’est d’ailleurs très dif­fi­cile de tra­vailler dans ce sens. Car le temps du ren­du de maque­tte est lui-même mod­i­fié : il implique, avant même sa con­cep­tion, un temps de recherche dans le stock, et bien sûr un temps de dis­cus­sions dif­férent avec le met­teur en scène.

Le temps de recherche dans le stock de matéri­aux est com­plexe. Il faut aller vis­iter avec les directeurs tech­niques, chercher ce qui pour­rait intéress­er, et le mon­tr­er au met­teur en scène. Si par exem­ple je tra­vaille sur Car­men de Bizet et que je dois choisir par­mi les élé­ments de décors du Vais­seau Fan­tôme de Wag­n­er, alors for­cé­ment il y aura des élé­ments qui ne me con­vien­dront pas. Quant aux élé­ments choi­sis, je serai obligé de leur don­ner une esthé­tique nou­velle, de les rassem­bler autrement, de les trans­former, de les repein­dre, et pour cela il faut encore un autre espace-temps, à savoir un temps pour manip­uler tous ces élé­ments et un espace pour les désassem­bler, les remod­el­er, avec un ate­lier de con­struc­tion et des équipes tech­niques for­mées à ce tra­vail.

Thibault Sinay et montage de décor, Opéra de Marseille, 2015. Photo Thibault Sinay.
Thibault Sinay et mon­tage de décor, Opéra de Mar­seille, 2015. Pho­to Thibault Sinay.

Si je com­prends bien, avec le temps, les ate­liers de con­struc­tion vont devenir des ate­liers d’assemblage ?

Th. S. Oui, il faut bien com­pren­dre que tous les opéras n’ont pas d’atelier de con­struc­tion et tous les ate­liers de con­struc­tion ne veu­lent pas devenir des ate­liers d’assemblage. Or il en faudrait ! Parce qu’il est bien plus com­pliqué de par­tir d’un matéri­au préex­is­tant et de l’emmener dans une direc­tion choisie, que de fab­ri­quer un décor à par­tir d’une maque­tte. Si je décide de faire une fenêtre et que je tombe sur une arma­ture de l’autre côté, ou si je trans­forme un mur préex­is­tant en un pla­fond, ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux tech­niques. Pour de telles trans­for­ma­tions, il faut jouer sur les con­traintes physiques en per­ma­nence. Ce nou­veau proces­sus de créa­tion doit être très suivi, et pour garan­tir la sécu­rité de ces nou­veaux décors, il faudrait aus­si revoir les normes de cer­ti­fi­ca­tion.

Pour­riez-vous nous en dire davan­tage sur ces normes de cer­ti­fi­ca­tion ? S’agit-il de normes de sécu­rité ?

Th. S. Oui. Ces normes de sécu­rité sont définies par la DGSCGC (la Direc­tion Générale de la Sécu­rité Civile et de la Ges­tion des crises) au min­istère de l’Intérieur, car les opéras sont des ERC (étab­lisse­ments rece­vant du pub­lic). Prenons le cer­ti­fi­cat d’ignifuge. Il est oblig­a­toire pour tous les décors d’obtenir un cer­ti­fi­cat d’ignifuge, accordé le plus sou­vent par les pom­piers de l’opéra. On utilise pour cela un pro­duit chim­ique essen­tielle­ment con­sti­tué de sel de Borre qui rend les struc­tures et matéri­aux inin­flam­ma­bles. Or la cer­ti­fi­ca­tion d’ignifuge est attribuée pour le décor dans sa total­ité. Si je prends un élé­ment du décor au prof­it d’un nou­v­el assem­blage, il perd sa cer­ti­fi­ca­tion. Je suis donc obligé de reignifuger l’ensemble de mon nou­veau décor pour obtenir mon cer­ti­fi­cat, ce qui est un non-sens car rajouter ce pro­duit chim­ique n’est pas vrai­ment un gain de réem­ploi écologique.

Il n’existe pas d’alternatives à ce pro­duit chim­ique ?

Th.S. Aujourd’hui, en France, il n’existe pas vrai­ment d’alternative écologique et per­son­ne n’a demandé au min­istère de l’Intérieur de réé­val­uer les con­di­tions d’usage de ce pro­duit pour les ERC, ni à l’industrie de dévelop­per un nou­veau pro­duit plus écologique.

Pan de la scénographie du Barbier de Séville déclassée. Recyclerie Artstock, 2020. DR.
Pan de la scéno­gra­phie du Bar­bi­er de Séville déclassée. Recy­clerie Art­stock, 2020. DR.

Le min­istère de l’Intérieur jouerait donc un rôle clé dans la ques­tion du réem­ploi du décor ?

Th. S. Oui, exacte­ment car aujourd’hui, aucun directeur tech­nique, à ma con­nais­sance, n’accepterait de faire du réem­ploi de décors, tant pour la tech­nique que pour les mod­i­fi­ca­tions des décors, sans la mise à jour de ces normes de sécu­rité. Car de nom­breuses ques­tions se posent, aux­quelles les directeurs tech­niques n’ont pas les répons­es, et ils ne pren­dront pas de risques tant qu’un bureau d’études n’aura pas tout éval­ué. C’est cohérent, d’ailleurs. Dans le cas d’un mur trans­for­mé en pla­fond, si ce dernier venait à s’écrouler ou à avoir des défail­lances, la ques­tion des respon­s­abil­ités du décor se poserait puisqu’à la base, pour repren­dre mon exem­ple, il n’aurait pas été prévu pour être un pla­fond mais un mur. En cas d’accident tech­nique, c’est le directeur tech­nique qui sera jugé respon­s­able. Par con­séquent, les directeurs préfèrent con­stru­ire un décor et valid­er un proces­sus de créa­tion garan­ti plutôt que de se lancer dans le proces­sus du réem­ploi des décors qui n’auraient pas été ini­tiale­ment conçus pour.

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Leyli Daryoush
Leyli Daryoush
Leyli Daryoush est musicologue de formation et docteure en études théâtrales. Dramaturge, chercheuse, spécialiste de l’opéra,...Plus d'info
1 commentaire
  • Je fais du réem­ploi depuis très longtemps. J’imag­ine un pro­jet ensuite je cherche dans le stock du théâtre ou de l’opéra ce qui peut servir mon idée et j’a­juste. Pas de prob­lèmes.

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