En tant qu’artiste-chercheuse engagée dans la pratique, la recherche et l’enseignement des arts du spectacle et, en particulier, de la performance, tu développes, à l’Université Fédérale de l’État de Rio de Janeiro (UNIRIO) des recherches avec le Collectif « Performers sans Frontières » qui possède une ramification en France et peut-être, bientôt, en Belgique. À travers ce dernier, il s’agit de mener des actions artistiques dans des zones de trauma. Comment est née cette approche artistique spécifique ?
Dans nos parcours d’artistes-chercheur.se.s, il y a toujours des moments-clés. Pour moi, l’un de ces moments s’est produit lors d’un projet que j’ai débuté en 2015 et qui s’intitulait The Bed Project. J’ai réalisé ce projet pendant plusieurs années consécutives, dans plusieurs pays du monde, notamment en France, au Togo, en Belgique… Il consistait à installer mon lit dans des espaces publics pour inviter les passants à m’y rejoindre. Nous faisions alors ensemble des vidéos qui parlaient de leurs logements, leurs quartiers, etc. Un jour, alors que je m’apprêtais à commencer les rencontres dans une communauté de Los Angeles1, j’ai vu qu’il y avait une énorme queue de personnes qui attendaient impatiemment leur moment d’entrer dans le lit. Au fil des dialogues, j’ai compris ce qui s’était passé : le leader de la communauté avait expliqué aux habitants qu’il y aurait des séances de thérapie au lit avec une artiste pour ceux qui ne voulaient pas se rendre chez un.e psychologue. Il n’avait pas utilisé d’expression comme « performance » ou « projet participatif » pour expliquer ce qui allait se passer mais des mots qui faisaient sens pour les habitants. Cela a confirmé ce que j’avais déjà senti dans les années 2000 quand j’avais décidé de quitter les salles de théâtre et d’exposition pour travailler avant tout dans la rue, en proposant des performances relationnelles et des projets participatifs : quand je vais à la rencontre de personnes, ce qui est intéressant, c’est de leur proposer quelque chose qui fait sens pour elles, plutôt que de projeter ce que je pense qui devrait faire sens pour elles. Pour savoir cela, il faut prendre du temps, écouter, être dans la rue, dans les quartiers. En fonction de cette expérience, j’ai décidé de m’outiller en suivant une formation de trois ans en tant que thérapeute du trauma (Somatic Experiencing ®), et d’autres en Yoga du Rire, Access Bar, Communication Non Violente, massothérapie… Ces diverses formations m’ont fait découvrir des outils que je peux utiliser pendant mes performances. Qu’il s’agisse de collecter des rires à domicile dans un quartier défavorisé de Marseille2, de proposer des danses à domicile pour créer du lien entre les voisins3, de collecter des câlins de 15 minutes au Brésil pour les apporter ensuite personnellement aux victimes des tremblements de terre au Népal4, de réinvestir affectivement les rues de Bruxelles avec des câlins après les attentats5, de collecter les plus belles histoires d’amour d’une ville pour les restituer aux habitants6 ou de faire des performances destinées aux animaux7, je mélange les outils artistiques et thérapeutiques pour développer une thérapeutique sociale, une sculpture sociale, comme dit Beuys, dans la perspective des arts du Care, de prendre soin de. Le projet de recherche que je développe à l’Université consiste, entre autres, à systématiser les approches possibles pour ce type de projets et les rendre accessibles à d’autres. Mon dernier livre Manuel pour performers et non performers – 21 actions artistiques pour produire du bonheur, publié au Brésil en novembre 2020 et en cours de traduction pour le français, propose 21 programmes performatifs que j’ai déjà réalisés, avec toutes les instructions, et qui peuvent être reproduits sans droits d’auteur par des artistes, enseignants, acteurs sociaux, activistes… Ce sont des projets qui ont pour objectif de provoquer l’imaginaire par des expériences positives, créatives et surtout, de créer du lien.
À la différence de certains artistes de la performance qui développent des actions violentes pour perturber et ainsi éveiller les spectateurs, tu considères qu’il y a une véritable visée politique dans la performance relationnelle telle que tu la développes.