Hippolyte et Aricie – une histoire de nature et d’amour au temps du COVID-19

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Hippolyte et Aricie – une histoire de nature et d’amour au temps du COVID-19

Le 9 Sep 2021
Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau, mise en scène Jeanne Candel, Opéra Comique, 2020. © Stephan Brion
Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau, mise en scène Jeanne Candel, Opéra Comique, 2020. © Stephan Brion
Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau, mise en scène Jeanne Candel, Opéra Comique, 2020. © Stephan Brion
Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau, mise en scène Jeanne Candel, Opéra Comique, 2020. © Stephan Brion
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

Hip­poly­te et Aricie, le pre­mier opéra com­posé par Jean-Philippe Rameau, créé en 1733 en sus­ci­tant nom­breuses réac­tions et la fameuse querelle entre des Lullystes et des Ramistes, c’est-à-dire entre les Anciens et les Mod­ernes, a été pré­paré pen­dant près de deux ans pour être présen­té sur la scène de l’Opéra-Comique pen­dant la sai­son 2020/2021. Néan­moins, mal­gré l’espoir longtemps main­tenu, la deux­ième vague du COVID-19 a presque empêché le pub­lic parisien de voir cette pro­duc­tion. L’équipe artis­tique menée par la met­teuse en scène Jeanne Can­del et le chef d’orchestre Raphaël Pichon a fait une vaste recherche dra­maturgique et musi­cale avant de com­mencer à envis­ager cette pro­duc­tion, qui a finale­ment eu lieu dans le seul for­mat pos­si­ble alors – filmé dans la salle vide et dif­fusé sur le site offi­ciel de l’Opéra-Comique et sur Arte Con­cert.

Si l’on veut voir les choses du bon côté, dis­ons que mal­gré les dif­fi­cultés, imprévus et obsta­cles, les créa­teurs de cette pro­duc­tion ont été poussés à explor­er des moyens et des tech­niques, qu’ils n’auraient pu envis­ager dans des cir­con­stances nor­males. Par exem­ple, l’orchestre a été haussé au niveau de la scène et les chanteurs ont ain­si pu échang­er, com­mu­ni­quer et avoir une inter­ac­tion directe non seule­ment avec le chef d’orchestre, mais avec les instru­men­tistes aus­si, ce qui a don­né une nou­velle dimen­sion à leur inter­pré­ta­tion. C’était par­ti­c­ulière­ment intéres­sant pour une œuvre comme Hip­poly­te et Aricie, le pre­mier opéra de l’histoire du genre lyrique dans lequel l’orchestre est doté d’un rôle act­if dans la dra­maturgie de l’œuvre – Rameau l’a traité presque comme un per­son­nage de l’opéra. D’un autre côté, l’absence du pub­lic dans la salle a facil­ité les con­di­tions de tour­nage, avec des caméras sur la scène même, ce qui n’aurait pas été pos­si­ble si le pub­lic avait été là. Les gros plans et la dynamique du fil­mage (réal­isé par François Rous­sil­lon) ont créé une œuvre dif­férente de celle qui avait été soigneuse­ment plan­i­fiée et pré­parée. Et nous pou­vons saluer la flex­i­bil­ité et l’adaptabilité mon­trées par tous les par­tic­i­pants à ce pro­jet.

Dans cet opéra, basé sur le même mythe que Phè­dre de Racine, l’histoire trag­ique est racon­tée depuis le point de vue des deux jeunes amants et c’est ce change­ment de per­spec­tive qui a inspiré le plus la met­teuse en scène. En tra­vail­lant étroite­ment avec Lionel Gon­za­lez (chargé de la dra­maturgie et de la direc­tion d’acteurs) sur le mythe de Phè­dre et de Thésée, en tra­ver­sant les ver­sions antiques aus­si bien que celle de Racine, il s’agissait au départ de faire d’Hippolyte et Aricie des per­son­nages « con­sis­tants ». Mais, selon la met­teuse en scène, le résul­tat final a été plutôt une représen­ta­tion de leur par­cours « chao­tique ».

Le rôle de Deus ex Machi­na ici est con­fié à Diane, la déesse de la chas­se, mais aus­si de la chasteté, la divinité que nous lions tou­jours avec la nature. Elle est la pro­tec­trice des deux jeunes amants, et elle vient à leur rescousse. Ses représen­tants sont présents sur la scène depuis le début, mais cela n’est pas évi­dent. Dans la pre­mière scène, le chœur des chas­seurs est armé de fusils dont les balles sont rem­placées par des couleurs qu’ils pro­jet­tent (par les tirs de leurs « fusils de chas­se ») sur une grande toile blanche.

Les élé­ments liés à la nature dans cet opéra, comme la berg­erie, la pas­torale ou la mer, ont été visuelle­ment omis de cette pro­duc­tion, mais des sym­bol­es por­tant en eux un mes­sage écologique sous-jacent appa­rais­sent tout au long de l’œuvre et leur sig­ni­fi­ca­tion est soulignée dans la scène finale.

Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau, mise en scène Jeanne Candel, Opéra Comique, 2020. © Stephan Brion
Hip­poly­te et Aricie de Jean-Philippe Rameau, mise en scène Jeanne Can­del, Opéra Comique, 2020. © Stephan Brion

Les décors conçus par Lisa Navar­ro restent les mêmes tout au long de l’opéra. Une con­struc­tion métallique représen­tant l’escalier, un motif sou­vent util­isé sur la scène lyrique quand il faut mon­tr­er la descente en enfer, ici sym­bol­ise aus­si l’intériorité et les émo­tions de Phè­dre – son organ­isme agité par des émo­tions trop fortes, qui à un moment don­né com­mence à saign­er (la pein­ture rouge). Les change­ments des lieux et de l’atmosphère sont réal­isés par la lumière mais aus­si par le jeu très engagé du chœur.

La met­teuse en scène Jeanne Can­del, mem­bre de la com­pag­nie artis­tique La vie brève et co-direc­trice du Théâtre de l’Aquarium, est famil­ière de ces créa­tions où la musique et le théâtre sont entremêlés dans une recherche d’alternatives durables en matière d’éco-conception. Dans cette ver­sion d’Hip­poly­te et Aricie, qui s’achève sur l’air Rossig­nol amoureux inter­prété par Léa Desan­dre, une bergère, en tenue mod­erne, por­tant un sac à dos et pous­sant un vélo, nous rap­pelle que cette his­toire nous con­cerne directe­ment.

Hip­poly­te et Aricie se ter­mine par un silence glacial qui oblige les spec­ta­teurs à réfléchir sur les con­di­tions actuelles, mais aus­si sur notre pro­pre respon­s­abil­ité.

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Jeanne Candel
Jean-Philippe Rameau
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Sofija Perovic
Sofija Perovic est doctorante en études théâtrales à l’Université Paris 8, docteure en arts musicaux...Plus d'info
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