Place des Héros : testament et épitaphe ?

Place des Héros : testament et épitaphe ?

Le 7 Mai 1991

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Théâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives Théâtrales
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« LE débat autour de l’austro-fascisme ne s’est allumé qu’en 1986 et s’est retrou­vé à l’automne 1988 sur la scène du Burgth­e­ater. Thomas Bern­hard, spé­cial­iste de courts drames des obses­sions (sou­vent guère plus que des mono­logues mis­an­thropiques, avec des rôles de vieil­lards pleins d’effets des­tinés à Bernard Minet­ti) avait imag­iné un Juif rap­a­trié dés­espérant de l’Autriche. PLACE DES HÉROS, ain­si s’appelle cette pièce en trois actes, comme le lieu du rassem­ble­ment lors duquel en mars 1938, l’Autrichien le plus célèbre fêta le « retour » de sa patrie dans le Reich alle­mand. En cette année de com­mé­mora­tion du cinquan­te­naire de l’Anschluss et de celle du cen­te­naire de l’inauguration du Burgth­e­ater am Ring, des choses incom­pat­i­bles se sont trou­vées mêlées : la dis­cus­sion autour des actions ou inac­tions, en 1942/43 dans les Balka­ns, d’un lieu­tenant Kurt Wald­heim, devenu entre-temps prési­dent de la République d’Autriche, et l’indignation à pro­pos de l’outrecuidance de Claus Pey­mann, directeur du Burgth­e­ater depuis 1986 (…) La dis­pute autour de Pey­mann et de son « auteur-mai­son » Bern­hard divisa l’opinion publique et même la troupe du Burgth­e­ater. L’auteur mis­an­thrope mit une fin rad­i­cale à cette querelle : il inter­dit dans son tes­ta­ment de jouer, imprimer ou lire publique­ment ses œuvres en Autriche. Ensuite, il se sui­ci­da (févri­er 1989).» (Hans Daiber dans HISTOIRE DU THÉÂTRE ALLEMAND, Suhrkamp, 1989). Que Thomas Bern­hard « se sui­ci­da » sem­ble vis­i­ble­ment être un fait cer­tain pour les fins con­nais­seurs non autrichiens. En tout cas, notre his­to­rien du théâtre alle­mand des édi­tions Suhrkamp (qui con­fond mal­heureuse­ment l’aus­tro-fas­cisme et le nation­al-social­isme et qui, dans son appré­ci­a­tion de T. Bern­hard se four­voie tout de même d’une façon plutôt ahuris­sante) admet sans grande hési­ta­tion comme un fait établi le sui­cide poten­tiel de Bern­hard. Dans son pays, en revanche, la thèse du sui­cide de Thomas Bern­hard n’a jamais été vrai­ment exam­inée large­ment et publique­ment.

Cepen­dant, la prob­a­bil­ité que Thomas Bern­hard ait cal­culé ou même « mis en scène » sa pro­pre mort n’est pas invraisem­blable. Ain­si, le faiseur de théâtre est mort « juste­ment » le jour du quar­an­tième anniver­saire de la mort du proche qu’il aimait le plus : Johannes Freumbich­ler, écrivain et grand-père de Thomas Bern­hard.

- «… Que le bien le plus pré­cieux de l’homme était de pou­voir de son plein gré se sous­traire au monde par le sui­cide, se tuer quand cela lui plai­sait. Lui-même avait, toute sa vie durant, spéculé sur cette pen­sée, c’était la spécu­la­tion qu’il menait avec le plus de pas­sion, je l’ai reprise à mon compte. A n’importe quel moment, quand nous le voulons, dis­ait-il, nous pou­vons nous sui­cider, si pos­si­ble de la façon la plus esthé­tique qui soit. Pou­voir pren­dre la clef des champs, dis­ait-il, est la seule pen­sée effec­tive­ment mer­veilleuse ». C’est ce qu’écrivait Thomas Bern­hard par exem­ple dans son auto­bi­ogra­phie UN ENFANT à pro­pos de son influ­ent grand-père. Et ailleurs, dans L’ORIGINE, le petit-fils note ceci :

- «… Encore plus sou­vent que chez ma mère, j’étais chez mes grands-par­ents. Car c’est là que je trou­vais tou­jours l’affection et la com­préhen­sion et la bien­veil­lance et l’amour que je ne trou­vais nulle part ailleurs, et j’avais entière­ment gran­di soumis aux soins vig­i­lants de mon grand-père et à sa dis­crète édu­ca­tion. Mes plus beaux sou­venirs sont ces prom­e­nades avec mon grand-père, des march­es des heures durant dans la nature et les obser­va­tions faites au cours de ces march­es, obser­va­tions qu’il a su peu à peu dévelop­per chez moi en un art de l’observation. Atten­tif à tout ce que mon grand-père m’indiquait et me mon­trait, je peux con­sid­ér­er que ce temps avec mon grand-père fut ma seule école utile et déter­mi­nante pour ma vie entière, car c’est lui, et per­son­ne d’autre, qui m’a enseigné la vie et m’a famil­iarisé avec la vie en me famil­iarisant tout d’abord avec la nature. Toutes mes con­nais­sances peu­vent être ramenées à cet homme, déter­mi­nant en tout pour ma vie et mon exis­tence ».

Le 11 févri­er 1949, Johannes Freumbich­ler mou­rut à Salzbourg. Thomas Bern­hard a été trou­vé mort par son frère et médecin per­son­nel Hans Fab­jan à Gmunden le matin du 12 févri­er 1989· Est-ce que Bern­hard a « mis en scène » sa pro­pre mort ? La facil­ité sans com­plexe avec laque­lle notre his­to­rien du théâtre alle­mand des édi­tions Suhrkamp admet cette thèse comme un fait établi sem­ble au moins plus fondée que sa façon de dis­qual­i­fi­er l’écrivain comme pro­duc­teur de « rôles de vieil­lards pleins d’effets des­tinés à Bern­hard Minet­ti ». Toute­fois, la pos­si­bil­ité d’un pur hasard existe !

Évidem­ment, une phrase comme celle de Freumbich­ler recom­man­dant de pren­dre la clef des champs « de la façon la plus esthé­tique qui soit » nous con­duit dans une autre direc­tion con­cer­nant la fin de Thomas Bern­hard. Elle sem­ble ren­voy­er à la dernière pièce de Bern­hard, celle que nous avons déjà citée, PLACE DES HÉROS, par laque­lle l’auteur, voué à la mort par sa grave mal­adie, prend lit­térale­ment la clef des champs « de la façon la plus esthé­tique qui soit ». PLACE DES HÉROS est la dernière mise en scène de lui-même par Thomas Bern­hard, son tes­ta­ment et épi­taphe à la fois.

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